Retraites complémentaires : ce qu'il faut savoir pour suivre la négociation

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1065  mots
Si rien n'est fait, l'Agirc (retraite complémentaire des cadres) pourrait ne plus avoir de réserves financières dès 2018.
Organisations patronales et syndicales débutent aujourd'hui une importante négociation pour trouver des remèdes financiers aux déficits des régimes de retraite complémentaire Arrco et Agirc. Tous les paramètres sont sur la table, dont le départ retardé à la retraite.

Il y a le feu. Selon les scénarios de croissance retenus, plus ou moins optimistes, les déficits annuels des régimes de retraites complémentaires Arrco (tous les salariés) et Agirc (cadres) pourraient atteindre 4 ou 7... voire 20 milliards d'euros jusqu'en 2040.

Pis, selon certaines hypothèses, l'Arrco pourrait avoir épuisé ses réserves en 2025. Pour l'Agirc, c'est pire, l'absence de réserves pourrait se produire dès 2018... Mais avec déjà moins de trois mois d'allocations de réserve dès 2016.

L'Agirc et l'Arrco, les deux régimes gérés par les organisations patronales et syndicales, seront donc au cœur d'une négociation qui s'ouvre ce mardi 17 février et qui devrait durer jusqu'à l'été. Objectif : gagner du temps et, dans un premier temps, retarder autant que possible l'épuisement des réserves.

Tour d'horizon des problèmes à régler et des solutions possibles.

1,24 milliard d'euros de déficit pour l'Agirc et 405 millions pour l'Arrco

L'Arrco est le régime le moins menacé... pour l'instant. Selon les données du régime, son déficit net atteint 405 millions d'euros pour 18,1 millions de cotisants. Le nombre des retraités de ce régime s'élevait fin 2013 à 11,9 millions (9,01 millions touchant une retraite directe, 1,29 million une pension de réversion, et 1,6 million cumulant une retraite directe et une pension de réversion) pour un montant total d'allocations versées de plus de 48 milliards d'euros.

Pour l'Agirc, c'est beaucoup plus grave. Son déficit en 2013 atteignait 1,24 milliard d'euros. Or, le montant de la retraite complémentaire représente environ 60% du montant total de la pension retraite des cadres. L'Agirc comptait, en 2013, 4 millions de cotisants et 2,7 millions de retraités (2,17 millions touchant une retraite directe, 520.000 une pension de réversion, et 82.000 les deux).

Le régime a versé au total plus de 23 milliards d'allocations en 2013. Le montant annuel de la retraite directe Agirc (c'est-à-dire hors réversion) s'élève à 10.564 euros en moyenne pour les hommes (soit 880,33 euros par mois) et à 4.235 euros pour les femmes (soit près de 353 euros par mois). Le montant moyen annuel de la réversion est, lui, de 2.565 euros pour les hommes, 6.322 euros pour les femmes.

Ce qui fait dire à Jean-Louis Malys, négociateur et grand spécialiste des retraites à la CFDT: "L'urgence absolue est de trouver une solution pour l'Agirc." En d'autres termes, il faut prendre des mesures qui repoussent le seuil d'épuisement des réserves de l'Agirc pour avoir le temps de prendre les mesures de pilotage qui s'imposent pour le plus long terme .

Vers un départ à la retraite retardé?

Et chacun à sa petite recette. Côté patronal, on insiste beaucoup sur le recul de l'âge de départ à la retraite. Plusieurs pistes ont ainsi étaient explorées, via des projections commandées au GIE qui regroupe l'Arrco et l'Agirc. Par exemple, a été étudié le cas d'un recul progressif à 64 ans (au lieu de 62 ans à partir de la génération 1955) de l'âge possible de liquidation de la retraite et de l'âge du taux plein à 69 ans (au lieu de 67): dans la meilleure des hypothèses, les réserves pourraient tenir jusqu'à 2035.

Une autre projection consiste à reculer l'âge de départ à 65 ans à partir de la génération 1961, tout en maintenant à 67 ans l'âge du taux plein. Cela rapporterait, dans la fourchette haute, 1,1 milliard en 2017 et plus de 5 milliards en 2020. Et cela repousse l'épuisement des réserves à 2040.

Le patronat songe aussi à pratiquer des abattements sur les pensions Agirc/Arrco. Par exemple, une personne disposant de ses droits à la retraite à 62 ans et choisissant d'arrêter de travailler ne toucherait sa retraite complémentaire à taux plein qu'à partir d'un certain âge (64 ou 65 ans, voire au-delà ). L'effort serait alors provisoire. L'abattement pourrait être fixe ou dégressif.

Mais ces mesures d'âge ne plaisent absolument pas aux syndicats. Pour FO, "il n'est pas question que l'on réduise les droits à la retraite", pas plus que de toucher aux bornes d'âge".

Les pensions de réversion sont aussi une piste possible. Elles pèsent pour 15% du total des dépenses. Le Medef a évoqué la possibilité de réduire le taux des pensions de réversion à 54%, contre 60% pour aujourd'hui. Il a également proposé de porter l'âge d'accès à la pension de réversion de l'Arrco de 55 à 60 ans.

Geler les pensions et/ou augmenter les cotisations?

Bien entendu, un durcissement des règles de revalorisation des pensions est aussi sur la table. Syndicats et patronat avaient déjà décidé en 2013 de revaloriser les pensions en 2013, 2014 et 2015 d'un point de moins que l'inflation. Mais la mesure n'a pas eu la totalité de l'effet escompté en raison de la faiblesse de l'inflation.

Maintenir cette mesure en 2016 et au-delà rapporterait 774 millions pour les deux régimes en 2017. L'accord de 2013 prévoit également une clause plancher grâce à laquelle le montant des pensions peut, au pire, stagner mais en aucun cas baisser.

Reste aussi les cotisations. C'est notamment la thèse défendue par la CGT qui estime qu'il manque 2,45 points de cotisation Agirc au-dessus du plafond de la Sécurité sociale (actuellement fixé à 3.170 euros par mois). Selon Sylvie Durand, administratrice CGT du GIE Arrco/Agirc :

"Une telle augmentation permettrait d'équilibrer le régime dès 2023. Si l'on prend la clé de répartition classique des augmentations de cotisation, à savoir 48% à la charge des salariés et 62% à la charge des entreprises, pour un salaire de 4.000 euros mensuels, ceci correspondrait à une augmentation de 7,40 euros pour les salariés, par mois."

En fait, les partenaires sociaux peuvent jouer sur deux taux. Le taux d'appel, d'abord, qui entre dans le calcul de la cotisation mais ne génère pas de points. Actuellement, ce taux est égal à 125%. C'est-à-dire que l'on cotise à 125% mais les points obtenus ne le sont que sur la base d'une cotisation de 100%. Il pourrait donc être décidé d'augmenter encore le taux d'appel.

Le taux de cotisation, ensuite. Déjà, L'accord national interprofessionnel du 13 mars 2013 avait prévu l'augmentation des taux contractuels obligatoires de cotisation Arrco et Agirc de 0,1 point par an sur deux ans en 2014 et 2015. On trouvera dans le tableau ci-dessous les cotisations en cours pour l'année 2015

Pendant quatre mois, les partenaires sociaux vont donc examiner tous les paramètres. Sous l'œil attentif du gouvernement qui pourraient s'inspirer de leurs décisions pour faire évoluer les règles de la retraite de base...