Quel crédit accorder aux propositions de Nicolas Sarkozy ?

Par Ivan Best et Jean-Christophe Chanut  |   |  2931  mots
Pourtant, si l'on examine de près les propositions de Nicolas Sarkozy, il s'avère qu'elles ne sont pas non plus spécialement modernes.
Dans un entretien accordé au Figaro, l'ancien chef de l'Etat dévoile ses propositions économiques "alternatives" à la politique menée par François Hollande. Suppression de l'ISF, non remplacement des fonctionnaires, négociation sur la durée du travail, défiscalisation des "heures sup", limitation des dépenses publiques... On retrouve de "vieilles" recettes de 2007 et 2012, aménagées.

On l'attendait ! Le président de l'UMP Nicolas Sarkozy a enfin dévoilé un condensé de ses « nouvelles » idées dans le domaine économique dans un long entretien au quotidien Le Figaro. Pour l'ancien chef de l'Etat, il n'y a qu'un seul mot d'ordre : "Il nous faudra engager ni plus ni moins une révolution des esprits, débarrassée de tous les dogmes, afin de mettre l'entreprise [...] au centre de toutes les décisions économiques du gouvernement".
Et de reprocher en la matière à son successeur à l'Elysée François Hollande d'être un « homme prisonnier des idéologies du siècle dernier ».

Pourtant, si l'on examine de près les propositions de Nicolas Sarkozy, il s'avère qu'elles ne sont pas non plus spécialement modernes. Au contraire, l'ancien chef de l'Etat donne plutôt l'impression de recycler son projet de la campagne de 2012, voire même celui de 2007. Tour d'horizon.


Durée du travail, aux entreprises de négocier

Pour Nicolas Sarkozy :

" Les entreprises qui souhaitent sortir des 35 heures doivent pouvoir le faire par la négociation. Comprendre les besoins de l'économie française, c'est oser dire qu'il faut faire confiance aux entreprises, aux entrepreneurs et aux salariés pour négocier à leur niveau le temps de travail ".


L'ancien chef de l'Etat, à la différence de son ancien Premier ministre François Fillon, ne plaide donc pas pour une suppression pure et simple de la référence à une durée légale du travail, en l'occurrence 35 heures hebdomadaires. Il souhaite juste que les entreprises qui désirent fixer une autre durée hebdomadaire puissent le faire via la négociation... Or, c'est exactement ce que prévoit déjà le code du Travail : la durée effective de travail dans l'entreprise peut être négociée, elle peut même être unilatéralement fixée par l'employeur (dans les limites européennes de 44 ou 48 heures) à la condition qu'il respecte les règles en vigueur en matière d'heures supplémentaires qui se déclenchent à compter de la trente-sixième heure de travail. Pour preuve, actuellement, la durée effective du travail frôle les 40 heures hebdomadaires, soit près de cinq heures de plus que la durée légale qui n'est qu'une référence servant de seuil de déclenchement des « heures sup ».

En réalité, Nicolas Sarkozy a davantage l'air de suggérer que s'il revenait aux commandes, il laisserait la possibilité aux entreprises de fixer par accord leur propre seuil de déclenchement des heures supplémentaires qui pourrait donc ne plus être fixé unilatéralement à 35 heures  mais à 36 ou 37 heures...

Mais, curieusement, toujours s'agissant de la durée du travail, Nicolas Sarkozy ajoute : "Et, bien entendu, je propose de rétablir dans les entreprises le principe des heures supplémentaires défiscalisées". Une suggestion un peu paradoxale avec son idée précédente. Quel serait l'intérêt pour des syndicats de signer un accord relevant le seuil de déclenchement du mécanisme des « heures sup », si celles-ci sont fiscalement exonérées ? Concrètement, chaque salarié préférera que « les heures sup » continuent de se déclencher au-delà de la 35e heure plutôt que de la 37e pour avoir un maximum de revenus exonérés. Tout ceci n'est pas très incitatif pour les syndicats à conclure des accords.

Par ailleurs, sur le fond de la proposition, rien de plus normal, dans l'absolu, pour un président de l'UMP,  alors que le pouvoir d'achat est en berne et que le sentiment de « ras-le-bol fiscal » n'a jamais été aussi prégnant, que de proposer un retour du double mécanisme de défiscalisation et d'exonération de cotisations sociales de sécurité sociale des heures supplémentaires qui fût en vigueur entre 2007 et 2012.

En réalité, ceci n'aurait aucun sens, alors que la France connaît des records en matière de chômage et que les finances publiques doivent être plus que jamais tenues.
De fait, s'agissant de l'emploi, il est certain que le recours facilité aux heures supplémentaires n'incitera pas les entreprises à embaucher. Une fois que le chômage aura retrouvé un niveau satisfaisant, il sera peut-être utile pour stimuler la production d'accroître la durée du travail en incitant à effectuer des heures supplémentaires. Mais il convient sans doute d'attendre le retour à ce quasi plein emploi.

Pour autant, il n'existe pas de statistiques ou de simulations sur le nombre d'emplois perdus ou non créés depuis que la loi Tepa (comme Travail, Emploi et Pouvoir d'achat) de 2007 a institué la défiscalisation et l'exonération de cotisations sociales sur les heures sup, supprimées par François Hollande fin 2012. En revanche, selon des données de la Dares (service des statistiques du ministère du Travail), le nombre moyen d'heures supplémentaires effectuées par un salarié est passé de 7 heures au troisième trimestre 2007 à 11,3 heures à son apogée fin 2010 et 2011 pour redescendre à 9,7 heures au premier trimestre 2013

D'un point de vue budgétaire, la proposition de l'ancien chef de l'Etat est également étonnante, lui qui, par ailleurs, se fait le chantre de la réduction des dépenses publiques. Il convient en effet de rappeler quelques données consécutives à la loi Tepa. Selon l'Institut Montaigne, le coût des exonérations de charges sociales sur les heures sup s'élevait à 3,1 milliards d'euros en 2011 dont 2,4 milliards pour les exonérations salariales et 700 millions pour les exonérations patronales. Quant au coût de la défiscalisation des heures sup au titre de l'impôt sur le revenu, il s'élevait, lui, à 1,4 milliard d'euros. Au total, donc la mesure Tepa « coûtait » à l'Etat (et donc au contribuable) et à la Sécurité sociale environ 4,5 milliards d'euros en année pleine.

Aux entreprises de négocier le droit du travail


Nicolas Sarkozy estime que «  nous devons repenser tout notre Code du travail. Je propose en la matière une règle simple: ne garder que les droits fondamentaux des salariés dans le Code du travail et renvoyer le reste à la négociation d'entreprise ».

Une fois encore, l'idée de simplifier les règles est louable. Mais la piste proposée n'est peut-être pas la meilleure. Il faut d'abord rappeler que les règles de droit du travail ont également pour fonction d'assurer une certaine égalité concurrentielle entre les entreprises. Or, ce principe sera mis à mal entre une entreprise qui aura conclu un accord avec ses syndicats et une autre qui n'y sera pas parvenue. Par ailleurs, il n'est pas certain que la simplification soit au rendez-vous si chaque entreprise est libre de fixer son propre droit du travail, en dehors des règles fondamentales à respecter. Il n'y aura alors pas un droit du travail universel... mais des milliers de droit du travail différents. Cela fera certainement la joie des avocats mais pas forcément des tribunaux en cas de contentieux...


Haro sur la fonction publique.

Afin de revenir à un niveau de dépense publique équivalent à 50% du PIB (contre 57% environ aujourd'hui), l'ancien chef de l'Etat veut remettre au goût du jour sa vieille idée du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Mais il souhaite l'élargir "à la fonction publique territoriale, notamment en changeant la Constitution pour rendre cette règle compatible avec l'autonomie de gestion des collectivités territoriales".
Il propose alors une recette : "Il faut recruter prioritairement dans la fonction publique avec des contrats de cinq ans quand le poste le justifie. Il faut cesser de penser que pour un besoin qui peut être ponctuel, par exemple un informaticien sur un projet, on doit continuer à recruter pour trente ans"...
Une idée pleine de bon sens... mais déjà en vigueur. Actuellement, les non-titulaires (c'est-à-dire les salariés non fonctionnaires embauchés par une admiration avec un contrat de droit privé) et les contrats aidés sont au nombre de 1,4 million, soit un quart des 5,5 millions de salariés de la fonction publique. Ces non-titulaires ne sont pas embauchés « à vie », ils peuvent être licenciés ou leur contrat peut se terminer à la fin de leur mission.
Quant aux embauches de « vrais » fonctionnaires », Nicolas Sarkozy fait semblant d'oublier que les recrutements dans la fonction publique s'effectuent par concours et que le nombre de postes ouverts dépend des besoins estimés pour l'avenir. Par ailleurs, une fois recruté, un fonctionnaire n'est pas titulaire de son poste. Il peut être amené à se réorienter en fonction des besoins.
Par ailleurs, Nicolas Sarkozy juge "impératif d'augmenter le temps de travail des fonctionnaires". "Sur ce point, je souhaite que l'on renégocie les accords sur le temps de travail dans la fonction publique, il y aurait moins de jours de RTT mais en contrepartie je propose de rétablir les heures supplémentaires défiscalisées, pour inciter les fonctionnaires à travailler plus. Il faut aussi bien évidemment rétablir le jour de carence en cas de maladie dans la fonction publique que François Hollande a supprimé dès son arrivée".


Remonter rapidement l'âge de la retraite à 63 ans

Autre idée de Nicolas Sarkozy : remonter rapidement l'âge de départ à la retraite : « Il faudra à nouveau augmenter l'âge de départ et de manière très rapide. C'est en effet la rapidité avec laquelle on atteint le nouvel âge qui produit un maximum d'économies très vite, beaucoup plus que la borne d'âge elle-même. Concrètement, je préfère passer l'âge légal de départ à 63 ans pour bénéficier d'une retraite à taux plein, mais le faire à raison d'une augmentation de quatre mois par an. C'est-à-dire repousser l'âge de départ à 63 ans (et à 68 ans, sans décote), en trois ans. »

L'âge légal de départ à la retraite était de 65 ans avant d'être abaissé à 60 ans en 1982 au début du premier septennat de François Mitterrand. La réforme des retraites de 2010 (sous Nicolas Sarkozy donc) a depuis fixé cet âge légal à 62 ans, à partir de la génération née en 1955 (2017). L'an dernier, l'UMP avait proposé de le reculer à 65 ans en 2023. Par ailleurs, avec la dernière réforme des retraites adoptée par le gouvernement Ayrault en janvier 2014, la durée de cotisation pour une retraite à taux plein augmentera d'un trimestre tous les 3 ans, jusqu'à 43 ans en 2035 (41,5 ans avant la réforme). Concrètement, cela signifie, sauf pour les  "carrières longues" qui seront de moins en moins nombreuses, que la réforme prônait par Nicolas Sarkozy entre déjà dans les faits. Il va être en effet difficile avec 42 ou 43 années nécessaires de cotisation de liquider une retraite à taux plein avant l'âge de 63 ans.

 Inscrire dans la constitution une limite à la dépense publique: 50% du PIB

Que feriez-vous sur la question des déficits? demande le Figaro à Nicolas Sarkozy. "Il faut baisser le montant des dépenses publiques, qui auront augmenté de 100 milliards d'euros sur cinq ans à la fin du mandat de François Hollande" répond le président de l'UMP. "Nous devons revenir à un niveau de dépenses publiques équivalent à 50 % du PIB et inscrire ce chiffre dans la Constitution, pour qu'il ne puisse plus être dépassé."

L'objectif de ramener à 50% du PIB le niveau des dépenses publiques n'est pas vraiment nouveau chez Nicolas Sarkozy, et il est aussi celui de plusieurs économistes (dont Patrick Artus, chez Natixis). Le président de l'UMP innove en souhaitant l'inscrire dans la constitution. Cette proposition soulève deux problèmes principaux.
Premièrement, l'idée qu'il faut revenir à 50%, pour rejoindre la moyenne européenne, pose un certain nombre de questions, dont, au premier chef, celle de la comparabilité des systèmes de finances publiques. La question se pose surtout s'agissant de la protection sociale (c'est du reste elle qui explique la différence de dépenses publiques entre la France et les autres pays européens, sachant que les assurances - vieillesse, maladie - sont plus largement publiques dans l'Hexagone).
Sait-on que, pour comparer valablement la France à l'Allemagne, il faudrait retirer 3,5 points de PIB de dépenses côté français, correspondant aux retraites complémentaires ? En effet, ces pensions, qui représentent en France 70 milliards d'euros par an (soit 3,5% du PIB) existent aussi outre-Rhin. Mais elles n'y sont pas comptabilisées en dépenses publiques ! Tout simplement parce qu'elles sont gérées par les partenaires sociaux, sans que l'Etat ait son droit de regard. En France, elles sont également supervisées par les partenaires sociaux, mais l'Etat a décidé dans les années 1960 d'y apporter son imprimatur, leur donnant un statut légal. Les retraites complémentaires ont alors basculé dans le domaine des dépenses publiques (à l'époque, personne ne s'en préoccupait).
Il ne s'agit là que d'un exemple de la difficulté de comparer des systèmes sociaux conçus différemment, au cours de l'histoire. L'assurance maladie est, aussi, difficilement comparable, avec un système hospitalier allemand dominé par les religieux, qui explique pour une bonne part la différence d'emplois publics entre les deux pays.
Vouloir rejoindre la moyenne européenne, certes, mais encore faudrait-il que cela ait lieu sur des bases de calculs comparables...
Deuxièmement, vouloir constitutionnaliser ce seuil est encore plus curieux... Comment faire si la France se situe à 49,5% du PIB et qu'une récession a lieu ? Couper immédiatement dans les dépenses sociales, alors que le chômage augmente ? En outre, d'un point de vue simplement arithmétique, ce ratio dépenses/PIB peut s'accroître alors que la dépense est stable : il suffit que le PIB diminue.

Réciproquement, c'est grâce à une forte progression du PIB que certains pays sont parvenus à diminuer le poids des dépenses : la Suède l'a réduit, alors que les crédits publics étaient stabilisés - mesurés en milliards de couronnes -, mais que la croissance du PIB atteignait des chiffres élevés, à la fin des années 1990.

Des propositions d'économies insuffisantes

Comment faire concrètement pour réussir une baisse de sept points des dépenses publiques? Réponse de Nicolas Sarkozy:

"Il faut d'abord s'attaquer résolument à ce qui pèse le plus lourd dans le budget de l'État et des collectivités locales: le nombre de nos fonctionnaires, car ce seul poste de dépenses représente 45 % du budget national et 60 % de celui des collectivités locales. Il faudra revenir à la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite et surtout l'imposer à la fonction publique territoriale, notamment en changeant la Constitution pour rendre cette règle compatible avec l'autonomie de gestion des collectivités territoriales.

En contrepartie, les collectivités doivent avoir la possibilité de négocier directement les rémunérations et le temps de travail avec leurs agents, sans être totalement soumises à des règles imposées par l'État."

Dans l'hypothèse où l'objectif de ramener les dépenses publiques à 50% du PIB serait avalisé, les économies avancées par Nicolas Sarkozy sont, de loin, insuffisantes. Revenir à ce niveau en cinq ans supposerait une centaines de milliards d'euros d'économies (compte tenu d'une petite hausse attendue du PIB). Or, revenir au non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite rapporte peu, en regard de cet objectif. Au maximum, selon les estimations officielles du ministère du Budget publiées en 2011 - sous Sarkozy, donc -, le gain sur le long terme serait un peu supérieur à un milliard d'euros par an. Le président de l'UMP veut étendre cette proposition à la fonction publique territoriale. Le gain supplémentaire serait de 500 millions par an.
Au total, les administrations publiques économiseraient donc 1,5 milliard par an. A cela s'ajouterait le recul de l'âge de départ à la retraite. Mais le passage à 63 ans sera progressif, et les économies le seront aussi.
Les propositions d'économies formulées par Nicolas Sarkozy sont donc bien loin de tangenter les 100 milliards d'euros nécessaires, pour atteindre l'objectif d'un ratio dépenses/PIB de 50%


Supprimer l'ISF : quel effet ?


Le président de l'UMP est prêt à oser. Ce qu'il ne voulait pas proposer en 2007, il l'avance désormais : la suppression de l'ISF. La preuve d'une maturation des esprits, de son point de vue ?
En tous cas, l'argumentaire selon lequel la France est le seul pays en Europe à disposer d'un ISF ne tient pas vraiment la route. Aucun pays, Espagne exceptée, ne prévoit un ISF sur le modèle français. Mais la taxation du patrimoine a lieu sous d'autres formes, peu ou prou équivalentes. En Italie, il existe une taxation élevée de la détention des biens immobiliers, bien supérieure à notre taxe foncière. De même en Grande-Bretagne, ou les « property taxes » constituent une ressource essentielle pour le Trésor public. La propriété d'un appartement y est bien plus taxée qu'en France.
Aux Pays Bas, il existe une taxe de 30% sur un revenu théorique du capital, qui équivaut à une taxation du patrimoine à hauteur de 1,2%, or l'ISF va de 0 à 1,8%.
La suppression de l'ISF priverait en outre l'Etat de recettes fiscales, à hauteur de 5,1 milliards d'euros (estimation officielle pour 2015), à moins que cette disparition de l'impôt symbole fasse revenir des exilés fiscaux qui investiraient massivement en France...
Pour certains secteurs - fondations, associations, philanthropiques, qui bénéficient à plein des mesures d'incitation en leur faveur, à destination des contribuables soumis à l'ISF -, la disparition de cet impôt serait catastrophique. Mais ce ne peut être l'argument dirimant...