Abenomics : le modèle de croissance patine

Par Romain Renier  |   |  793  mots
Malgré des efforts colossaux déployés par Shinzo Abe, le Premier ministre japonais, pour relancer la croissance et mettre fin à la déflation, les effets ont été limités en 2013. Et les défis, en matière de gestion des deniers publics et de relance de la demande intérieure restent très importants. (Photo : Reuters)
La croissance du Japon a atteint 1,5% en 2013, une performance en demi-teinte pour les "Abenomics", cette politique de relance mise en place en grande pompe par le Premier ministre conservateur Shinzo Abe, mais dont les effets sont mitigés. Les défis à relever sont encore importants.

Les Abenomics, du Premier ministre japonais Shinzo Abe, patinent. Lundi, le gouvernement a en effet publié des chiffres de la croissance révisés à la baisse pour le quatrième trimestre 2013 et pour l'ensemble de l'an dernier. Entre octobre et décembre, la troisième économie mondiale à connu une expansion de seulement 0,2%, contre 0,3% initialement prévu. Pour l'année, la croissance du produit intérieur brut s'est limitée à 1,5%.

Déploiement d'efforts colossaux

C'est un tout petit peu mieux que le 1,4% de 2012. C'est aussi la meilleure performance de l'économie japonaise depuis 2010, aux prises avec la déflation depuis 15 ans. Mais le gouvernement de Shinzo Abe peut être déçu, au vu des efforts déployés.

En effet, cette croissance a été obtenue au prix d'un programme de relance publique de l'équivalent de 70 milliards d'euro en 2013, puis d'une rallonge de 35 milliards en ce début d'année 2014. Le Premier ministre a aussi forcé la main à la Banque du Japon (BOJ), afin qu'elle assouplisse sa politique monétaire de manière inédite.

La relance rate sa cible

Finalement, le principal résultat des efforts de Shinzo Abe a été la chute vertigineuse du yen qui a fait le bonheur des grandes entreprises exportatrices de l'archipel. Les investisseurs ont eux aussi eu droit à leur part du gâteau avec un indice Nikkei qui a connu sa meilleure performance depuis 40 ans en 2013 en progressant de 57%.

Mais les consommateurs, qui devaient bénéficier d'une hausse des salaires vivement réclamée par les syndicats, n'en ont pas profité. Pire, ils sont eux mêmes touchés par la hausse des prix des produits importés à cause de la faiblesse du yen, ce qui rogne directement leur pouvoir d'achat. Les trois quart des Japonais estiment d'ailleurs ne pas avoir profité des Abenomics, selon un récent sondage. Les excellents chiffres de la consommation ces derniers mois sont le fruit d'une anticipation de la hausse de la taxe sur la consommation de 5% à 8% au 1er avril. Mais les analystes s'attendent à ce que ce mouvement positif retombe comme un soufflet dès le mois d'avril. Quant aux investissements privés, ils n'ont pas non plus été à la hauteur des attentes.

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Détérioration du compte courant

Les inquiétudes se focalisent désormais sur le compte courant japonais, considéré comme le meilleur indicateur de la bonne santé d'une économie. Historiquement en excédent, il a été durant des décennies la grande force du Japon, qui pouvait ainsi financer sa très importante dette publique sans encombre.

Mais l'excédent courant japonais, en dent de scie, se réduit comme peau de chagrin. Le déficit commercial du pays, l'une des composantes du compte courant, bat en effet record sur record à cause du renchérissement des importations provoqué par la faiblesse du yen. En particulier des hydrocarbures, dont l'économie nippone est très gourmande depuis l'arrêt de ses centrales nucléaires après la catastrophe de Fukushima il y a trois ans. Les exportations en hausse ne suffisent pas à compenser cette explosion des importations. En janvier, le Japon a même connu un déficit des comptes courants record de l'équivalent de 11 milliards d'euros.

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Ouverture et hausse des salaires

L'enjeu de ces prochains mois pour le Japon est triple. D'une part, Shinzo Abe devra réussir à réaliser les réformes promises afin d'attirer, comme il le souhaitait mais sans grand effet, les investisseurs étrangers sur un territoire japonais encore très fermé. Ensuite, le Premier ministre japonais devra préparer son pays à un financement de la dette publique sur les marchés étrangers en raison de la détérioration de son compte courant.

L'État devra notamment relever le défi du financement de ses dépenses sociales, comme celui des retraites dans un pays vieillissant et dont la population active capable de supporter ces dépenses se réduit. La hausse de la taxe sur la consommation fait partie des mesures destinées à renflouer les caisses de l'État. Mais son impact négatif sur la consommation risque de poser problème.

C'est pourquoi, s'il veut s'en sortir, le Japon n'aura pas d'autre alternative qu'une augmentation des salaires capables de compenser la hausse des prix et des prélèvements. Hausse des salaires que la troisième économie mondiale est désormais largement capable de supporter sans connaître une chute de sa compétitivité grâce à la faiblesse du yen, mais qui tarde à venir malgré les appels du pied du Premier ministre conservateur et des syndicats.

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