Le Kosovo veut abandonner... l'euro

Par Romaric Godin  |   |  943  mots
Un poids lourd franchit la frontière entre le Kosovo et l'Albanie. Le Kosovo utilise l'euro depuis 1999.
Le Kosovo pourrait introduire sa propre monnaie et cesser d'utiliser l'euro comme c'est le cas depuis 1999. La nouvelle monnaie pourrait s'appeler le dardan.

Un pays va abandonner l'euro. Sans que personne ou presque ne s'en émeuve. Mais il faut préciser que ce pays n'est pas membre de la zone euro : c'est le Kosovo. Selon le quotidien autrichien Der Standard, citant le journal local Gazeta Tribuna, le gouverneur de la banque centrale kosovare (BQK), Bedri Hamza, aurait annoncé lors d'un sommet qui s'est tenu voici quelques jours à Becici au Monténégro son intention d'introduire une monnaie nationale pour la jeune république balkanique.

Héritage de la guerre de 1999

Après la guerre de 1999, le Kosovo a été de facto séparé de la Serbie et placé sous administration internationale. Comme après la guerre en Bosnie-Herzégovine en 1995, la monnaie la plus prisée par les habitants était alors le deutsche mark, déjà devenu une subdivision de l'euro. Logiquement, l'euro est donc devenu la monnaie légale dans cette région qui a proclamé son indépendance en février 2008. A la différence de la Bosnie, néanmoins, aucune monnaie nationale n'est venue se substituer à l'euro. Le Kosovo, comme le Monténégro, est donc en régime de « dollarisation. » Son économie utilise une monnaie sans l'accord des autorités monétaires concernées, en l'occurrence la BCE. Le Kosovo doit donc utiliser ses réserves de change pour irriguer son économie.

Avantages et inconvénients de la « dollarisation »

Cette situation procure l'avantage de la stabilité financière, d'un endettement nécessairement limité et d'une inflation naturellement maîtrisée. Mais un tel choix a également beaucoup de désavantages, car le pays n'a aucune maîtrise non seulement de sa politique monétaire, mais également de l'évolution de sa masse monétaire. Cette politique oblige l'économie à se concentrer sur les exportations pour pouvoir rapatrier suffisamment de devises et assurer le bon fonctionnement de l'économie. Si l'économie n'est pas suffisamment ouverte, la « dollarisation » peut amener une forme d'anémie de l'activité. C'est pour cela que le Kosovo, petite économie encore enclavée, pourrait avoir besoin de dispose de sa propre politique monétaire.

La peu probable union avec le lek albanais

Selon Tribuna, la possibilité d'adopter le lek albanais, pays qui est le débouché naturel de l'économie kosovare et son accès vers le reste du monde, serait également à l'étude, mais, selon Tribuna, cette option aurait peu de chance d'aboutir. Il est vrai que cette union monétaire avec l'Albanie pourrait être comprise comme le prélude à une fusion des deux pays et serait alors très mal perçue par la communauté internationale qui a fait, depuis 1999, de la séparation entre les deux pays, un des fondements de son action. C'est encore plus vrai aujourd'hui, alors que l'occident a beaucoup critiqué l'annexion de la Crimée, mais que Moscou s'est souvent prévalu du cas kosovar pour justifier le référendum d'indépendance criméen. A l'agacement des autorités kosovares, d'ailleurs...

Quel régime pour le « dardan » ?

Il y a donc fort à parier que le Kosovo va adopter sa propre monnaie. Selon Tribuna, le choix du nom n'est pas encore effectué, mais il pourrait s'agir du « Dardan », nom qui rappelle le nom antique la région, la Dardanie. Reste à savoir quel régime il choisira. Lorsque la Bosnie avait introduit le mark convertible en parallèle du mark allemand, sa banque centrale avait eu pour tâche de maintenir la stabilité de cette nouvelle monnaie autour du taux d'un mark bosnien pour un mark allemand. Progressivement, Sarajevo avait pu limiter puis interdire l'usage de l'euro. Le pays était donc passé dans un régime de « currency board » où la politique monétaire sert principalement à maintenir stable le taux de change avec la monnaie de référence. Quoique plus souple que le système kosovar actuel, il limite beaucoup l'indépendance monétaire du pays, mais est une garantie contre l'inflation. Néanmoins, les récentes émeutes en Bosnie-Herzégovine ont montré combien ce régime peinait à améliorer le niveau de vie de certains pays.

Vers un régime de change administré ?

Si le Kosovo opte pour plus d'indépendance, il peut choisir d'autres régimes de change. Faire flotter sur le marché sa monnaie sera difficile car le marché sera étroit et il sera aisé de spéculer sur ce marché. Par ailleurs, cette monnaie risque de se déprécier rapidement, faute de confiance dans un Etat kosovar qui reste une énigme pour beaucoup. L'autre possibilité est un régime de taux de change administré comme en pratiquent de nombreux Etats dans le monde. Mais ce régime peut être source à la fois d'inflation et de fuite des investissements étrangers, car il oblige à un contrôle étroit des flux financiers.

Indépendance et élections

Quoiqu'il en soit, cette évolution aura des conséquences sur l'économie kosovare et ne manquera pas d'être suivie de près par la communauté internationale et par l'UE qui ont beaucoup aidé ce pays. D'autant que la corruption et l'immixtion politique dans les affaires monétaires restent une inquiétude. La nomination de Bedri Hamza l'an dernier par le chef du gouvernement Hashim Thaçi avait soulevé quelques protestations, car le nouveau gouverneur était très lié au parti au pouvoir, le PDK. Les élections qui ont eu lieu le 8 juin au Kosovo : elles ont été marquées par une forte abstention et ont mis Hashim Thaçi en difficulté. Une coalition d'opposition tente en effet de se former pour le renverser (il est au pouvoir depuis 2008). La décision d'introduire une monnaie nationale n'est peut-être pas étrangère à cette situation.