L’État se désintéresse-t-il des collectivités d’outre-mer du Pacifique ?

Par Fabien Piliu  |   |  1021  mots
La Polynésie et les COM du Pacifique sont au centre du monde, d'un certain point de vue
C’est le sentiment des élus locaux et des forces vives de Polynésie française, de Nouvelle-Calédonie et de Wallis et Futuna qui organisent un colloque à Paris pour plaider leur cause auprès de l’exécutif.

Ils sont venus en bloc. Pour que l'Etat français prenne davantage en considération les Collectivités d'outre-mer (COM), l'Association des Chambres de commerce et d'industrie (CCI) d'outre-mer et la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM) représentant les forces vives de Polynésie française, de Nouvelle-Calédonie et de Wallis et Futuna organisent ce mercredi à l'Assemblée nationale un colloque à Paris pour plaider leur cause auprès du gouvernement.

Trois doléances seront formulées lors de ce colloque. "Nous souhaitons que le gouvernement décide enfin de lancer officiellement une conférence économique régionale avec ses voisins, à savoir l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore Fidji et Vanuatu", propose Jean-Pierre Philibert, le président de la FEDOM, rappelant qu'une conférence de ce type existe déjà dans la zone des Antilles et que cette idée a déjà été portée par Victorin Lurel en 2013 lorsqu'il était ministre des Outre-mer. Depuis, cette idée reste... une idée.

L'impact de la défiscalisation

Enfin, tout en reconnaissant que l'effort de l'État restait relativement stable au fil des années - 2 milliards d'euros par an dont 500 millions d'euros environ pour les COM du Pacifique -, Jean-Pierre Philibert réclame un traitement équitable de ces collectivités par l'État. "Certes, nos territoires bénéficient d'un régime de défiscalisation avantageux. Mais, comme l'a rappelé la Cour des comptes dans un rapport publié en novembre 2013, nous ne sommes pas un paradis fiscal, loin s'en faut. Le taux de prélèvement obligatoire s'élève à 35,8%, proche de la moyenne des pays de l'OCDE (36,5%) contre 45% en Métropole. Sans cette défiscalisation, la plupart des projets du secteur privé, et donc de nombreux emplois, n'auraient pas vu le jour », explique-t-il, rappelant que les entreprises de cette zone ne peuvent bénéficier des principaux crédits d'impôt qui permettent de stimuler leurs homologues métropolitaines comme le crédit impôt recherche (CIR) ou le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Une fiscalité attractive mais qui ne compense pas la cherté de la vie

Des "oublis" qui, il faut bien l'admettre, sont en partie compensés par l'absence d'impôt sur le revenu, de droits de succession ou encore d'impôt sur la fortune (ISF) ou par un taux de TVA plus faible qu'en métropole. Il s'élève au maximum à 16% en Polynésie française.

Quant au taux de l'impôt sur les sociétés, il varie de 35% à 45 % des bénéfices. Mais si les chefs d'entreprises restent en nom propre, ils sont soumis à l'impôt sur les transactions qui s'élève à 5 % du chiffre d'affaires. Par ailleurs, comme le relève le rapport de la Cour des Comptes, le taux de recouvrement est plus faible, de 20 points en moyenne, qu'en Métropole. En Polynésie française, il est de l'ordre de 40 % pour l'impôt sur les sociétés, de 38 % pour l'impôt sur les transactions, mais de seulement 5,8 % pour la contribution des patentes.

Des avantages fiscaux qui, selon André Desplat, le président de l'Association des chambres de commerce et d'industrie des Outre-mer (ACCIOM), permettent de compenser un coût de la vie supérieur de 30% à celui observé en Métropole. L'essentiel des biens consommés par la population et les entreprises est importé et certains services publics ne bénéficient pas de la péréquation tarifaire. C'est le cas de l'électricité, dont le coût est 2,5 fois plus élevé qu'en Métropole, et des services postaux. L'Europe vient-elle au secours de ces territoires ? "Un Polynésien reçoit en moyenne 111 euros par an de l'Union européenne, soit 21 fois moins qu'un Métropolitain ou un ... Guyanais", affirme Jean-Pierre Philibert.

Enfin, plus qu'une révision de la tuyauterie fiscale, c'est surtout une prise de conscience de la richesse maritime de la France et tout particulièrement de ses COM que les intervenants à ce colloque veulent provoquer. "En raison de l'accroissement du trafic maritime dans cette zone, de l'émergence de nouvelles sciences associées au développement durable comme la chimie du vivant ou encore l'exploitation prometteuse de ressources minérales marines, le Pacifique est l'océan du XXIe siècle. La France doit se saisir de ses opportunités pour rester compétitive", avance Lionel Loubersac, le cofondateur du cluster maritime de Nouvelle-Calédonie. " D'autres pays, comme la Chine qui est désormais le troisième partenaire commercial des pays du Pacifique sud, rêveraient de disposer de ces ressources et d'un espace maritime aussi vaste », poursuit-il.

Un territoire en expansion ?

La question se pose avec d'autant plus d'acuité que ce territoire pourrait à brève échéance s'agrandir si la France sait jouer de son influence pour étendre, via le programme Extraplac, sa Zone économique exclusive (ZEE).

Selon les calculs de Lionel Loubersac, celle des COM pourrait s'agrandir de 400.000 kilomètres carrés, ce qui permettrait à la France d'afficher un domaine maritime mondial de 11,4 millions de kilomètres carrés, soit le plus vaste mondial, dépassant ainsi les États-Unis. "Il ne faut pas répéter l'erreur faire à Saint-Pierre et Miquelon. En se désintéressant du sujet, l'exécutif a laissé filer une grande partie de sa ZEE au profit des Canadiens. Ce serait d'autant plus regrettable que le coût du kilomètre carré est estimé à 15 euros ! », avance l'expert. Reste à savoir ce que la France, qui n'a toujours pas donné aux COM les moyens financiers de briser leur insularité, notamment en multipliant les infrastructures de transport inter-îles et en développant des relations commerciales avec ses voisins, pourrait faire de ses kilomètres carrés supplémentaires si aucune stratégie économique, diplomatique et scientifique n'est établie.

Certes, des initiatives institutionnelles existent déjà. Bruxelles a lancé sa stratégie "Croissance bleue"  à l'horizon 2020 pour explorer des « possibilités de croissance durable dans les secteurs marin et maritime ». Mais sans le relais et la vision de Paris, cette initiative peut-elle avoir sur les COM du Pacifique ? La réponse pourrait bien être dans la question...