Libre-échange UE-USA : faut-il publier le mandat européen des négociations ?

Par Mounia Van de Casteele  |   |  770  mots
La ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq souhaite rendre public le mandat (européen) de négociation. Ce n'est pas le cas de tous les Etats membres, ni du président de la Commission qui préfèrerait laisser le document classé secret-défense.
La ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, souhaite rendre public le mandat (européen) de négociations. Ce n'est pas le cas de tous les Etats membres, ni du président de la Commission qui préfèreraient laisser le document classé "diffusion restreinte". Explications.

Faut-il publier le mandat de négociations du partenariat transatlantique ? La question semble légitime à l'heure où les révélations d'espionnage des Européens par la NSA (National Security Agency) agitent les médias et échauffent les esprits.

"De toute façon, le document a déjà fuité sur Internet"

En tout cas, la Commission est contre. En effet, elle estime que "pour réussir des négociations commerciales, il faut respecter un certain degré de confidentialité, autrement cela reviendrait à montrer son jeu à son adversaire durant une partie de cartes". Car pour l'instant, les Etats-Unis ne montrent pas leur jeu.

Mais cet argument ne tient pas la route pour Jean-Marc Siroën, professeur d'Economie à Paris-Dauphine:

"De toute façon, les Etats-Unis le [ le mandat des négociations, Ndlr] connaissent avant les autres ;  à partir du moment où l'on peut écouter Madame Merkel, cela paraît un peu ironique. Côté américain, le mandat va circuler entre les membres du Congrès, il va donc fuiter. Il semble évident que l'Union européenne est déjà au courant ou qu'elle le sera bientôt".

C'est pourquoi l'économiste estime que "le caractère secret est symbolique" et qu'il n'a pas lieu d'être "aujourd'hui dans un climat  un peu lourd".

En effet à quoi bon verrouiller le contenu du mandat, puisque de toute façon, son contenu finira par fuiter sur Internet, qui plus est de l'autre côté de l'Atlantique? N'est-ce pas ce qui s'est passé, avant que l'Humanité ne relaye le contenu du mandat. Son directeur, Patrick Le Hyaric, également député au Parlement européen (Front de gauche), déplorant lui aussi l'opacité des négociations, l'a d'ailleurs publié dans un livre intitulé Dracula contre les peuples:

Un document classé "diffusion restreinte"

Le mandat de négociation que se sont donnés les ministres des affaires étrangères et du commerce, le 14 juin 2013, porte le nom de : "Directive pour les négociations relatives au partenariat transatlantique du commerce et d'investissement entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique". C'est avec ce texte en main que la commission va négocier avec les Etats-Unis. Ce texte est classé "restreint UE/EU restricted", diffusion restreinte UE. Il est barré de la mention:

  • Ce document contient des informations classées en diffusion restreinte UE dont la divulgation non autorisée pourrait nuire aux intérêts de l'Union européenne ou à l'un ou plus de ses États-membres. La plus grande attention est exigée dans la gestion de ce document avec le soin particulier requis par les règles de sécurité du conseil, valant pour tout document classé en diffusion restreinte UE.

Jusqu'à ce jour en tant que député au Parlement européen, je ne l'ai officiellement d'aucune instance, ni de la Commission, ni du Conseil, ni de la Présidence du Parlement européen, ni du gouvernement.

Patrick Le Hyaric a donc outrepassé cette mise en garde afin que les citoyens concernés par ce contrat en connaissent les clauses.

L'opacité: une "erreur politique"

Au-delà de son caractère symbolique, la déclassification du mandat a un enjeu politique et stratégique.

Stratégique d'abord. Certes "la théorie des jeux voudrait que la meilleure solution soit la solution coopérative, où tout le monde dévoile son mandat en même temps", analyse l'économiste Bruno Jérôme, maître de conférence à Paris II-Assas.

Mais politiquement, dans la situation actuelle, Nicole Bricq estime qu'entretenir le trouble constitue "une erreur" de la part de la Commission "qui n'est pas au pinacle de sa popularité". Dans la mesure où "à travers ce problème, c'est toutes les institutions européennes qui sont remises en question". D'ailleurs Jean-Marc Siroën abonde dans son sens, évoquant une "erreur politique et tactique élémentaire".

D'où l'importance de déclassifier ce document car "l'opacité renforce la méfiance". Or, "il y a actuellement un climat de méfiance vis-à-vis de l'Europe", ajoute la ministre. Sachant qu'il semble "normal que les entreprises puissent voir ce qu'il y a dans le traité, tout comme les consommateurs", argue encore la ministre qui a d'ailleurs convaincu la majeure partie de ses homologues européens d'une telle nécessité.

Reste que la Commission a assuré qu'elle voulait bien rendre public le mandat - pourvu que les Etats membres le demandent - à une condition express : que ce soit réclamé à l'unanimité. Mais pour l'heure, trois pays font de la résistance: le Danemark et les Pays-Bas et… l'Allemagne.

Pour aller plus loin: la riposte de la NSA: les Européens nous aident à collecter les données