Chypre après le "sauvetage" (1/2) : la fin d'un modèle

Par Romaric Godin  |   |  1130  mots
Un euro chypriote.
En choisissant de frapper les dépôts, les Européens ont détruit le moteur principal de l'économie de l'île.

 Alors que les inspecteurs de la Troïka sont toujours à Chypre et devraient encore accorder un satisfécit au gouvernement de Nicosie pour leurs « efforts » dans la mise en œuvre du « plan d'ajustement »,  ils sont en revanche nettement moins loquaces et inspirés lorsqu'il s'agit de définir ce que sera, à la suite de cet ajustement, le nouveau modèle économique de leur pays.

Un modèle économique dépassé

Car l'économie chypriote telle qu'elle existait depuis une vingtaine d'années a vécu. Et tout est à reconstruire. Quel était le modèle économique de l'île jusqu'alors ? Dans les années 1980, pour en finir avec une dépendance quasi exclusive au tourisme et accélérer le développement du pays, les dirigeants chypriotes ont voulu faire de leur pays une référence des implantations offshore pour les entreprises internationales.

Comment Chypre est devenue une plate-forme offshore

Chypre bénéficiait d'un certain atout avec l'héritage de la colonisation britannique (1878-1960) qui permettait d'offrir un environnement juridique et financier connu et stable aux multinationales ainsi qu'une bonne qualité de services. Nicosie a encore favorisé ces implantations avec un taux d'impôt sur les sociétés des plus attractifs à 10 %. Mais c'est l'effondrement du bloc de l'est qui va consacrer le décollage de l'île comme plate-forme offshore pour des oligarques de l'ex-URSS qui ont fait de Chypre la première étape de leurs montages financiers.

Un "tuyau" dans les montages des oligarques

Logiquement, un secteur bancaire important a accompagné ces implantations. Chypre n'était souvent qu'un « tuyau. » Les fonds transitaient en grande partie par l'île pour aller alimenter des comptes dans d'autres « paradis fiscaux » (Gibraltar, Man, Cayman) avant de revenir et d'être investi, par l'intermédiaire des comptes chypriotes dans les Etats de l'ex-CEI. Chypre a ainsi été le premier investisseur en Ukraine jusqu'en 2010.

Les dépôts irriguent l'économie

Mais si l'économie de l'île ne vivait pas directement de ces montages (Chypre était en déficit courant chronique), son développement a été alimenté par ce secteur bancaire. Riches des dépôts russes et des bénéfices réalisés sur les transactions, les banques chypriotes ont alimenté la croissance de Chypre en alimentant le secteur immobilier et la consommation. La croissance était alors vertigineuse. Mais cette petite économie s'est retrouvée à la merci d'un secteur bancaire hypertrophié.

L'Europe a décidé la fin du modèle...

Désormais, ce modèle économique n'existe plus. Si, à Chypre, on assure que « les Russes sont encore là » et « qu'ils ne veulent pas partir », c'est en grande partie parce qu'ils ne le peuvent pas. Outre le contrôle des capitaux, les oligarques savent que tout départ massif ruinerait la valeur de leurs propriétés, de leurs investissements et de leurs dépôts. Mais ils savent aussi que l'Europe a voulu faire un exemple avec Chypre précisément parce qu'elle était « leur » plate-forme. » Sans doute, alors, éviteront-ils Chypre à l'avenir. Pour preuve, selon la Banque centrale de Chypre, depuis mars, 13 milliards d'euros ont été retirés des banques chypriotes, soit un cinquième du total. Le robinet des dépôts qui avait tant alimenté l'économie chypriote est tari pour longtemps.

... sans proposer d'alternatives

Comme le fait remarquer Michailis Persianis, journaliste financier au quotidien Kathimerini, « les membres de l'Eurgroupe ne se sont pas posé cette question simple : comment restaurer la confiance dans les banques après ce « bail-in » (le renflouement des banques par les déposants) ? » Et d'ajouter : « c'est pourtant une question qu'aurait pu se poser n'importe quel étudiant en économie en regardant le fonctionnement de l'économie chypriote

Fragilités bancaires persistantes

De son côté, le secteur bancaire chypriote, désormais constitué de la Bank of Cyprus, qui a avalé la Laïki Bank, et des banques coopératives, très présentes dans le financement des particuliers, des PME et des collectivités locales, doit à tout prix éviter une nouvelle recapitalisation. Son renflouement lui a certes donné l'apparence de la stabilité.Mais les risques sur les bilans bancaires chypriotes restent immenses. Et lorsque l'on évoque les futurs stress tests de la BCE en 2014 devant le directeur général de la Bank of Cypris, Charis Pouangare, on n'obtient qu'un rictus un peu gêné et un furtif : « on verra bien

Crédit crunch

Il est vrai que l'équation qu'il doit résoudre est délicate. Avec la récession et l'éclatement de la bulle immobilière, les emprunts inscrits dans le bilan de ces banques sont en effet de moins en moins sûrs et le nombre de créances douteuses est très élevé. Il est difficile d'avoir un chiffre précis sur ce point, mais à Chypre, on parle d'un quart de l'ensemble des créances qui seraient « non performantes. » Autrement dit perdues. Comme les banques ne peuvent plus compenser ces pertes par des dépôts, elles doivent couper le robinet du crédit et tenter de recouvrir ce qui peut l'être. Les prêts aux entreprises ont reculé de 4,3 % sur un an en septembre, tandis que les crédits à la consommation ont reculé sur la même période de 9,7 % et les crédits immobiliers de 4,6 %.

L'économie chypriote asphyxiée

Privée de liquidité, l'économie de l'île est asphyxiée. Le ministre des Finances, Harris Georgiades, ne cache du reste pas que « le principal problème pour nous est celui du crédit. » « Je connais des entreprises qui ont dû renoncer à des marchés, faute de crédit. Je connais des entreprises saines qui ont dû fermer en raison de la situation du marché du crédit », ajoute-t-il. De fait, le nombre de faillites ne cesse d'augmenter. Et le chômage explose. La perte de revenu induite par les pertes d'emploi ainsi que la réduction drastique du soutien public à l'économie viennent à leur tour pénaliser l'activité. Chypre entre inévitablement dans une spirale dangereuse.

Correction ou crise structurelle ?

Les autorités chypriotes continuent, comme Harris Georgiades, de chercher à dédramatiser la situation et à parler de simple  « correction. » C'est la vision officielle défendue par l'Union européenne et la BCE. On perce la bulle pour retrouver un nouveau « niveau d'équilibre ». Sauf que dans le cas de la petite économie chypriote (d'environ 17 milliards d'euros), il est bien difficile de trouver ce que sera le futur moteur de sa croissance. C'est la pièce qui manque dans le puzzle du « sauvetage » d'une île qui n'avait pas choisi par hasard le développement financier. Plusieurs projections sont faites par les autorités de l'île, plus ou moins convaincantes.

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