Ukraine : l'Union européenne a aussi sa part de responsabilité

Par Romaric Godin  |   |  969  mots
Les manifestations ont dégénéré mardi soir à Kiev, faisant trois morts.
L'escalade de la violence place l'Ukraine dans une situation périlleuse. Le pouvoir et l'opposition ont joué avec le feu. Mais Bruxelles aussi.

La situation a donc dégénéré à Kiev. Le sang a coulé et l'Ukraine est désormais au bord d'un conflit civil. L'indéniable brutalité du gouvernement ukrainien - soutenu et inspiré par la Russie de Vladimir Poutine - ne doit cependant pas dissimuler la responsabilité des parties les plus extrémistes de l'opposition. Pas plus qu'elle ne doit minimiser la responsabilité de l'Union européenne.

Car les responsables européens ont beau mercredi verser, comme José Manuel Barroso, des larmes sur les victimes, le comportement européen n'a pas peu contribué à faire monter la pression et à diviser encore plus un pays coupé en deux depuis son indépendance entre l'ouest et l'est. Dans cette affaire, l'UE et ses principaux dirigeants ont nié la réalité ukrainienne pour agir en toute inconscience.

L'erreur de Bruxelles dans les négociations

Ce fut d'abord lors de la négociation du traité d'association avec l'UE, ce traité rejeté deux jours avant le sommet de Vilnius par le président Viktor Yanoukovitch et qui a été le casus belli de la crise. Politiquement, l'UE a systématiquement rejeté toutes les concessions faites par Kiev pour se concentrer sur le cas Timochenko et réclamer, contre la signature de ce partenariat, le transfert de l'ancien premier ministre à Berlin. Comme le soulignait en novembre Cornelius Ochsmann, un expert de l'Europe orientale interrogé par le journal allemand Taz, « cette stratégie était peu réaliste. » Car le président ukrainien, qui avait jusqu'ici pris soin de ne jamais se présenter comme un « valet de Moscou », y a vu une critique implicite de sa légitimité et une immixtion dans les affaires intérieures du pays. Pour ne pas perdre la face, il a durci sa position sur ce point. Et progressivement, la situation est devenue parfaitement bloquée.

L'UE a pris Kiev pour Belgrade

Il faut le reconnaître, l'UE n'a pas cessé de faire la leçon et de malmener son futur « partenaire » durant toutes les négociations et jamais les discussions n'ont été menées sur un pied d'égalité. Elle a clairement laissé entendre qu'elle jugeait l'opposition plus légitime que le gouvernement. Bruxelles a été encouragée dans cette voie par l'exemple de l'ex-Yougoslavie lorsque la perspective d'une adhésion a progressivement fait céder les pouvoirs croates ou serbes sur la livraison des criminels de guerre au tribunal de La Haye ou sur la question du Kosovo. Mais l'Ukraine n'est pas la Serbie. Elle est un pays frontalier de la Russie et une partie de sa population est russophone. Elle avait, à la différence des pays des Balkans, une vraie alternative. Sûre de son fait, Bruxelles n'a pas cru que le pays pouvait oser lui tourner le dos. Elle s'est trompée, mais elle a durci les positions des anti- et des pro-russes dans le pays.

Les 20 milliards d'euros qui auraient pu tout changer

En novembre, L'Ukraine était au bord de la faillite. Viktor Yanoukovitch a naturellement fait monter les enchères. Selon un article du Financial Times de décembre, l'UE aurait proposé un prêt de 20 milliards d'euros à Kiev. Mais cet argent aurait été majoritairement prêté via le FMI et accompagné de conditions drastiques. C'était appliquer à l'Ukraine les recettes d'austérité que l'on a appliqué en 2009 à la Hongrie et à la Roumanie, avec en récompense, un simple partenariat avec l'UE. Or, Viktor Yanoukovitch voulait précisément éviter de passer à nouveau sous les fourches caudines du FMI avant les élections de 2015. L'UE a alors ouvert la voie à la générosité bien moins conditionnelle de Moscou. Une fois le traité d'association abandonné, Kiev a donc, naturellement, été prendre les 20 milliards d'euros dont elle avait besoin dans les mains de Vladimir Poutine, ce qui a encore radicalisé les positions en Ukraine.

Comment l'UE a caricaturé la situation

L'erreur de Bruxelles s'est encore aggravée lorsque les manifestations ont commencé dans le centre de Kiev. L'UE qui, on le sait, lutte contre une vague d'euroscepticisme inquiétant en son sein, y a sans doute vu une chance de redorer son blason en prouvant à son opinion publique combien l'UE pouvait être une chance et un espoir pour les « Ukrainiens opprimés. » Du coup, la situation a été rapidement caricaturée, comme le prouve ce tweet de Carl Bildt, ancien premier ministre suédois aujourd'hui ministre des Affaires étrangères du royaume scandinave : « l'Europe contre l'Eurasie, la répression contre les réformes, le pouvoir contre le peuple. »

 

L'UE a soufflé sur les braises

C'était nier l'Ukraine russophile et la légitimité du gouvernement russe, tout en encourageant les partis les plus extrémistes du camp pro-occidental, notamment les nationalistes du parti Svoboda, à chercher le conflit. L'Europe a, durant le mois de décembre, encore une fois surestimé ses forces, en soufflant sur les braises de la révolte de Kiev et en pensant que le pouvoir cèderait. Mais, désormais, fortement adossé à Moscou, le gouvernement n'a pas voulu céder d'un pouce. Encore une fois, l'UE, aveuglée par ses propres certitudes, s'est lourdement trompée.

Désormais, l'Ukraine de l'est et du sud est fait face à celle de l'ouest. Le fragile équilibre que le gouvernement avait réussi, tant bien que mal et malgré l'affaire Timochenko, à préserver a volé en éclats. L'avenir de l'Ukraine qui aurait pu être un pont entre l'UE et la Russie, semble bien sombre. Et la responsabilité européenne dans cette dégradation est loin d'être nulle. Reste que Bruxelles semble persister dans sa stratégie de la tension. Mercredi, José Manuel Barroso a menacé Kiev de prendre des mesures de rétorsions....