"La troïka a expérimenté la stratégie économique que l'Allemagne veut imposer à l'Europe"

Par Romaric Godin  |   |  800  mots
Liem Hoang Ngoc est député socialiste au parlement européen.
Liêm Hoang Ngoc, député européen PS et co-rapporteur du rapport d’enquête du parlement européen sur la troïka, se rend à partir de mercredi en Grèce. Il nous livre les ambitions de son investigation.

Quelle est l'objet de la commission d'enquête sur la troïka dont vous êtes co-rapporteur avec votre collègue autrichien Othmar Karas ?

Les socialistes ont toujours plaidé pour une commission d'enquête, mais le Parti populaire européen (PPE, conservateurs, ndlr) s'est toujours montré réticent afin d'éviter le procès de la troïka et des politiques de « réformes structurelles » qu'elle a mis en place partout. Nous sommes finalement convenus d'une formule « bâtarde. » Nous n'avons pas obtenu la mise en place d'une commission d'enquête à proprement parler mais celle d'un « rapport d'enquête ». La différence est plus que sémantique : un rapport dispose de moins de temps et de moyens qu'une Commission. Avec ces contraintes, nous tacherons d'aller aussi loin que possible dans l'analyse du fonctionnement et du bilan de la troïka. Notre rapport est par ailleurs également un rapport « d'initiative », ce qui veut dire que  nous avons la possibilité, au delà de tirer le bilan de la troïka, d'être prospectifs et de faire des propositions précises pour réformer les mécanismes d'assistance de l'Union, à la lumière des enseignements de notre enquête.

Quels sont vos premières conclusions ?

Mon collègue PPE Othmar Karas et moi ne serons sans doute pas d'accord sur l'appréciation des décisions prises par la troïka, mais j'espère que nous pourrons nous entendre sur un point : la troïka n'a pas de base légale pour agir. De ce fait, la Commission et la BCE ont largement outrepassé leurs prérogatives. Nous voulons par ailleurs demander que le Mécanisme européen de Stabilité (MES),  soit communautarisé c'est à dire que le Parlement soit désormais consulté dans le déploiement de l'assistance, notamment en ce qui concerne la conditionnalité des aides qui détermine la nature des mémorandums signée par les Etats.

Vous mettez donc en cause la légitimité de certaines décisions de la troïka ?

Dans le cas du « sauvetage » de Chypre, le manque de contrôle parlementaire a conduit la troïka à proposer une première taxe sur les dépôts qui était illégale, puisqu'elle ne prenait pas en compte la garantie des dépôts à hauteur de 100.000 euros adoptée au niveau européen. Mais surtout, on sait que la troïka a été divisée à plusieurs reprises entre une Commission qui voulait réduire rapidement les déficits et un FMI plus modéré. Mais alors, qui a tranché ? Qui a décidé ? Nul ne le sait. Or, c'est le parlement qui, en démocratie, doit trancher.

En quoi cette question du contrôle démocratique des assistances aux pays en difficulté de la zone euro est-elle importante ?

Angela Merkel tente de compenser la nécessaire mise en place d'une union budgétaire par une macro-conditionnalité basée sur ces fameuses « réformes structurelles. » C'est la carotte contre le bâton : financements contre réformes. La troïka a servi de laboratoire  pour expérimenter cette macro-conditionnalité que l'Allemagne veut désormais imposer à l'Europe entière. De mon point de vue, il est normal que l'on puisse débattre au parlement de ce choix de stratégie économique. Or, pour le moment, ce n'est pas le cas. Le Parlement est d'ores et déjà largement absent des premiers éléments de l'union budgétaire, mis en place ces deux dernières années. C'est notamment le cas dans le cadre du « semestre européen », qui vise à coordonner les budgets nationaux à l'échelle de l'UE. Le texte clés qui définit l'orientation des budgets nationaux, « l'examen annuel de croissance » de la Commission, n'est pas un acte législatif. Nous en débattons au Parlement, mais nous ne pouvons pas l'amender.

La troïka n'est-elle pas l'expression d'une idéologie visant à exclure le politique des choix économiques ?

Si une idéologie s'est imposée, c'est celle du fameux « There is no alternative » (il n'y a pas d'alternative), le Tina. Les technocrates sont amoureux de « Tina », mais, dans une démocratie, seul le peuple représenté par ses élus parlementaires, peut décider si une politique économique est bonne ou mauvaise. C'est en replaçant le Parlement au centre du processus de décisions économique que l'on restaurera la démocratie en Europe. Certain élus s'accommodent malheureusement de la situation actuelle, car ils sont au fond convaincus par Tina. Et ils sont aujourd'hui majoritaires, au Conseil, à la Commission et au Parlement européen. C'est là le véritable enjeu des élections européennes en mai. Plutôt que « pour » ou « contre » l'Europe, le peuple doit choisir s'il veut continuer sur la même voie d'une Europe étriquée, opaque et technocratique, ou aller vers une Europe efficace, transparente et démocratique.