Et si l'Ecosse indépendante gardait la livre malgré le refus de Londres ?

Par Romaric Godin  |   |  1770  mots
Un camion à nourriture à la "frontière" anglo-écossaise. L'Ecosse indépendante pourrait continuer d'user de la livre sterling.
Les partis britanniques veulent refuser une union monétaire avec l'Ecosse en cas d'indépendance. Mais le nouveau pays pourrait, quand même, utiliser la livre sterling...

La bataille monétaire se poursuit avant le référendum écossais sur l'indépendance qui se tiendra le 18 septembre prochain. Alors que les partisans de l'indépendance ont toujours promis d'établir une union monétaire avec Londres en cas de rupture de l'union, le Guardian de ce mercredi indiquait que les trois principaux partis anglais, le Labour, les Conservateurs et les Libéraux-démocrates, s'étaient entendus pour refuser une telle union. Voici dix jours, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, avait déjà fait part de ses doutes concernant une telle union.

Le choix de la « dollarisation » ?

Pour autant, le refus de Londres de conclure une union monétaire formelle signifierait-elle nécessairement que les Ecossais dussent renoncer à la livre ? Nullement. Car il ne suffit pas de ne pas vouloir partager sa monnaie pour ne pas la partager. Edimbourg pourrait ainsi faire le choix d'une « dollarisation » en livres sterling de son économie, autrement dit décréter que la monnaie britannique est la seule ayant cours légal en Ecosse. Au nez et à la barbe de Londres qui ne pourrait rien faire puisque l'Ecosse sera devenu un pays souverain.

Les exemples de « dollarisation » en dollars... et en euros !

Sous ce terme générique de « dollarisation », on comprend l'utilisation par un Etat souverain de la monnaie d'un autre Etat souverain, souvent sans le consentement de ce dernier. C'est donc la formation d'une union monétaire de facto n'engageant pas formellement la puissance émettrice de la monnaie. On utilise le terme de « dollarisation » parce que les premiers cas d'utilisation d'une monnaie étrangère comme monnaie nationale ont eu lieu en Amérique latine et ont concerné le dollar américain. Dès 1904, le Panama (pays créé il est vrai qui était un protectorat américain de fait) a adopté le dollar comme monnaie nationale.

Dans les années 1990, plusieurs autres pays ont suivi pour briser le cercle de l'hyperinflation. Le cas le plus connu est celui de l'Equateur qui, en 1999, a mis fin à la circulation du sucre, sa monnaie historique pour adopter le « Greenback. » Mais il y a également des économies « dollarisées » en euro : le Monténégro qui, avant même son indépendance en 2008, a abandonné le dinar yougoslave pour adopter unilatéralement l'euro, et le Kosovo où seul l'euro a cours légal.

La livre sterling est déjà la monnaie écossaise

Rien n'empêche donc l'Ecosse de continuer d'utiliser la livre. Certes, avec un PIB de quelques 220 milliards de dollars, l'Ecosse serait le pays le plus important à prendre cette voie. Jusqu'ici, l'Equateur et ses 84 milliards de dollars de PIB était l'économie dollarisée la plus importante. Néanmoins, le nouveau pays aura une tâche moins difficile que les pays cités précédemment, puisque la livre sterling est déjà la monnaie écossaise. Il n'y aurait donc aucun risque lié à la conversion des actifs des banques ou à des pertes de valeur des fonds détenus par les particuliers et les entreprises. Les entreprises, les épargnants et les déposants écossais disposent déjà de livres sterling. Pour eux, rien ne changerait. Et le apys disposera déjà d'une importante masse monétaire en livre sterling.

De la petite monnaie « écossaise » ?

Mais tout ne sera pas pour autant comme aujourd'hui. La nouvelle Banque centrale écossaise devra constituer des réserves de livres sterling pour alimenter l'économie. Elle ne pourra en imprimer. Pour autant, il lui sera possible d'émettre une certaine forme de monnaie. Souvent, en effet, les pays « dollarisés » utilisent des pièces de monnaie de leur propre crû pour favoriser les transactions courantes. En Equateur, il existe ainsi des « centavos » qui ont la même valeur que les cents américains, mais qui sont émises, jusqu'à 50 centavos, par la banque centrale équatorienne. Evidemment, ces pièces n'ont cours légal qu'en Equateur, ce qui n'est pas gênant car leur fonction n'est que de faciliter les transactions courantes dans le pays, pas de servir de monnaie de transaction internationale.

Là encore, l'Ecosse peut s'appuyer sur la situation présente puisqu'elle a déjà ses propres billets libellés en livre sterling et émis par les banques commerciales écossaises (la Bank of Scotland, la Royal Bank of Scotland et la Clydesdale Bank) avec la bénédiction de la Banque d'Angleterre. Si cette tolérance est levée par Londres, comme c'est probable en cas d'indépendance, il suffira à la nouvelle banque centrale écossaise de limiter cette émission à de petites coupures pour ne pas créer une « double circulation » monétaire, mais pour les Ecossais le changement sera minime au quotidien.

Comment trouver des livres ?

Il faudra cependant trouver assez de livres pour alimenter une économie de 220 milliards de dollars. Comment ? L'Ecosse a plusieurs atouts. On a vu que celui d'utiliser déjà la livre en est un. L'importance internationale de la livre, même si elle est moins forte que celle du dollar ou de l'euro, en est un autre. La livre est la troisième monnaie de transaction du monde selon Swift. Il y a donc des livres disponibles dans le monde.

Les entreprises exportatrices écossaises pourront donc n'accepter pour leurs transactions internationales que des paiements en livre sterling. Ce sera d'autant moins difficile que 60 % des futures exportations écossaises seront dirigés vers le  le Royaume-Uni résiduel. Les entreprises britanniques seront trop heureuses de pouvoir payer en livres etd éviter aisni les frais de transactions. Pour le reste, les paiements en devises fortes en poseera pas de problème de change en livres.

L'atout du secteur financier

Enfin, dernier atout pour l'Ecosse : son secteur financier est « britannique » : les bilans des banques qui évolueront dans le nouveau pays sera donc libellé en livre et ces banques seront présentes également au Royaume-uni où elles auront accès au refinancement en livres de la banque d'Angleterre. Sauf à ce que cette dernière demande une « nationalisation » des banques actives en Ecosse, ce qui est peu crédible, l'accès à la livre ne sera pas fermé pour les Ecossais. C'est là une grande différence avec les dollarisations du passé en faveur de l'Ecosse.
L'absence de prêteur en dernier ressort

Reste un point : la « dollarisation » de l'économie écossaise en livres sterling ôte à la banque centrale deux capacités essentielles : celle de définir une politique monétaire nationale et celle de jouer le rôle de prêteur en dernier ressort. Sur ce second point, c'est de peu d'importance pour la raison déjà mentionnée que les banques actives en Ecosse seront aussi « britanniques », autrement dit active également au Royaume-Uni. En cas de crise, même provoquée par l'Ecosse, Londres ne pourrait rester sans réagir. Pour éviter l'effondrement de son système financier, la Banque d'Angleterre jouera le rôle de prêteur en dernier ressort.

Pas de politique monétaire propre

En revanche, Edimbourg ne pourra pas définir une politique monétaire propre à son économie. Comme aujourd'hui, elle devra s'adapter à la politique « britannique. » Le changement pourrait cependant, là encore, ne pas être considérable. Certes, en théorie, aujourd'hui, la situation écossaise est inclue dans les facteurs pris en compte par la Banque d'Angleterre. Mais le poids de l'Ecosse dans l'économie britannique (7,7 % du PIB) rend cette influence assez faible. Il n'est pas certain que la politique monétaire britannique sans l'Ecosse diverge considérablement de la politique monétaire avec l'Ecosse. Pour l'Ecosse indépendante, le changement là encore sera donc sans doute insensible en cas de « dollarisation. »

Pas d'accès aux mesures non conventionnelles de la banque d'Angleterre

En revanche, l'Ecosse « dollarisée » en livres ne pourra pas, comme aujourd'hui, bénéficier du soutien « non monétaire » de la Banque d'Angleterre. Sauf accord entre les deux banques centrales, les programmes de soutien aux crédits immobiliers et aux crédits aux PME mis en place par les autorités monétaires londoniennes ne pourraient plus profiter qu'indirectement, via les exportations, à l'économie écossaise. Ceci limitera donc la capacité de l'Etat écossais à combattre les crises économiques. Mais compte tenu de l'imbrication des deux économies, on peut imaginer que Londres accepte ce type d'accord bilatéral en cas de crise grave.

Le problème budgétaire

Reste la question budgétaire. Cela a souvent un problème pour les économies dollarisées : les Etats n'ayant plus le moyen de recourir à la création monétaire et ne bénéficiant pas immédiatement de la confiance des marchés, ils doivent réduire fortement leurs déficits et mener une politique récessive pour la croissance.

C'est sans doute un des éléments les plus difficiles pour l'Ecosse. Pour avoir accès au marché international du sterling, Edimbourg devra faire ses preuves sur le plan budgétaire. Il existe en effet des craintes que, sans les transferts « britanniques », l'Etat écossais ne puisse assurer une politique budgétaire soutenable. Surtout, l'Ecosse perdra la possibilité d'un rachat de la dette britannique par la banque centrale, comme cela a été fait par la Banque d'Angleterre durant la crise. Il n'y aura plus de Quantitative Easing possible.

Pas de perte de souveraineté fiscale

La création d'une monnaie écossaise permettrait de créer à volonté de la monnaie pour financer le déficit. Mais avec un risque inflationniste et de perte d'accès au marché des capitaux. La dollarisation par la livre obligera sans doute à une cure d'austérité afin de réduire la consommation de livres de l'Etat et assurer son refinancement sur les marchés. Elle aura donc sans doute un effet récessif que les avantages de l'usage de la livre - notamment la stabilité financière et économique - pourrait compenser. Mais, une Ecosse usant de la livre sterling ne perdra pas sa souveraineté fiscale et budgétaire : elle sera libre de redéployer son effort fiscal et de réformer son système de recettes fiscales dans la mesure où ses objectifs budgétaires seront validés par le marché. Comme tous les grands pays en somme...

On le voit, globalement, la menace anglaise « d'exclure » Edimbourg de l'union monétaire n'est pas très convaincante. L'Ecosse devenue indépendante pourrait continuer à utiliser la livre sans l'accord de Londres avec de nombreux avantages, quoique sous certaines conditions. Il est même possible de se dire que ces conditions seraient, pour le pays, moins contraignantes que si l'Ecosse entrait dans une union formelle avec le Royaume-Uni (qui fixerait des objectifs figés) ou que si l'Ecosse créait sa propre monnaie.

Les chiffres de l'économie écossaises par le Financial Times