Chypre : le parlement défie la troïka

Par Romaric Godin  |   |  758  mots
Une manifestation lundi devant le siège de l'entreprise publique d'électricité qui doit être privatisée.
Le parlement chypriote a ce jeudi soir rejeté la loi de privatisation exigée par la troïka. Un défi aux bailleurs de fonds européens.

Jusqu'à présent, la troïka n'avait que des louanges à la bouche concernant le comportement du gouvernement chypriote. L'exécutif, dirigé par le président conservateur Nikos Anastasiadis, avait en effet mené les « réformes » et les « ajustements » demandés par le protocole d'accord suivant le « sauvetage » de l'île signé en mars avec un zèle tout particulièrement remarqué à Bruxelles, Francfort et Washington.

Le parlement dit non aux prinvatisations

Mais ce jeudi soir, le parlement chypriote a, comme en mars lorsqu'il avait rejeté le premier plan « de sauvetage », défié la troïka. La loi sur les privatisations, exigée par les Européens et le FMI pour débloquer la prochaine tranche de l'aide le 10 mars prochain lors de la réunion de l'Eurogroupe, a été rejetée. En réalité, l'assemblée s'est divisée en deux : 25 voix pour, 25 contre et 5 abstentions. Mais il fallait 29 voix pour adopter le texte.

La coalition déchirée

Ce vote est le fruit de deux phénomènes. D'abord, la division du Parti démocratique, le Diko, sur le sujet. Ce parti, avait annoncé un peu plus tôt qu'il quittait la coalition conservatrice du président Nikos Anastasiadis, officiellement pour protester contre l'ouverture de pourparlers avec les autorités de la république turque autoproclamée de Chypre du nord. Ce départ privait le président de majorité au parlement. Et ce divorce a laissé les neuf élus du Diko face à leur conscience sur le vote de la loi de privatisations. Et le groupe s'est divisé. 

Manifestations

Il est vrai que la pression de la rue était forte. Ce projet de loi qui prévoit la vente de trois entreprises publiques : celle de l'électricité (EAC), celle des télécommunications (CyTA) ainsi que l'autorité portuaire de l'île (CPA). Lundi 24 février ,déjà, devant le parlement, les employés d'EAC se sont violemment affrontés aux forces de l'ordre. On a dénombré deux blessés. Jeudi, les employés concernés des trois entreprises avaient appelé à la grève et des manifestations ont eu lieu à Nicosie. Les élus de Diko n'ont sans doute pas voulu soutenir une loi désormais très impopulaire. 

Les ports de l'île en grève du zèle

Il est vrai que la situation devient délicate. Dans les ports de l'île, les dockers protestent par une grève du zèle depuis plus de dix jours contre la baisse de leurs heures supplémentaires. Ils ont annoncé que, ce week-end, aucun navire ne sera pris en charge, sauf ceux contenant des denrées périssables et les bateaux de croisière. La chambre de commerce chypriote s'est alarmé des conséquences de cette grève du zèle sur l'économie.

Le consensus pro-austérité craque

Ce vote du parlement et ces troubles prouvent désormais qu'a mesure que le pays s'enfonce dans la récession, le consensus autour de l'austérité tend à disparaître. Il est vrai que, malgré les satisfecits du gouvernement et de la troïka, Chypre est une économie désormais à la dérive.

Une économie à la dérive

L'économie s'est effondrée : le PIB a reculé de 6 % l'an passé et devrait encore reculer de 4,8 % cette année. Le chômage a explosé et est passé d'un taux de 8 % en moyenne en 2011 à 19,2% attendu cette année par Bruxelles.  Le secteur bancaire, affirme-t-on à Nicosie, se stabilise, mais il est toujours défendu par le contrôle des capitaux qui, contrairement aux promesses, n'a pas été levé en janvier et les banques dépendent encore du programme d'accès à la liquidité d'urgence de la BCE. La croissance devrait revenir en 2015, affirme-t-on à Bruxelles. Mais avec seulement un « rebond » de 0,9 % après une contraction de 10 % en deux ans. Et surtout, Chypre connaît une vraie spirale déflationniste. En janvier, les prix ont reculé de 1,6 % sur un an et de 1,1 % sur un mois.

Défi à l'Europe

Comment la troïka et l'Europe vont-ils réagir à ce défi ? On ose espérer que les leçons du passé vont être apprises et qu'on répondra aux représentants du peuple chypriote autrement que par la menace. En mars dernier, pour arracher l'accord des élus, la BCE avait menacé de couper l'aide d'urgence aux banques, ce qui aurait contraint Chypre à quitter en catastrophe la zone euro. Le défi qui a été lancé à l'Europe par Nicosie est désormais un test : le mea culpa de l'Europe sur l'austérité n'était-il que des mots ?