Quantitative easing : ce que la BCE pourrait faire

Par Romaric Godin  |   |  990  mots
La BCE planche sur un Quantitative Easing centré sur le rachat de titres d'Etat notés AAA.
La BCE ne lancera sans doute pas son QE ce jeudi. Mais elle préparerait un rachat massif d'obligations souveraines sûres pour éviter la déflation.

Malgré le ralentissement de l'inflation en zone euro en mars qui est passée de 0,7 % à 0,5 %, la Banque centrale européenne pourrait demain poursuivre son attentisme ponctué de petites phrases, comme elle le fait depuis le mois de novembre. C'est en tout cas ce que pensent la plus part des observateurs. Chez BNP Paribas, par exemple, on estime que l'effet de calendrier complique la lecture du chiffre de l'inflation et que la BCE va préférer « attendre et observer. » Chez Royal Bank of Scotland, on n'attend pas davantage d'actes, mais « plein de paroles accommodantes. »

Une QE sous haute surveillance

Pour autant, la BCE ne peut rester les bras croisés. En réalité, la Banque centrale pourrait, selon des sources internes, préparer un Quantitative Easing. Mais la voie qui lui est offerte est assez étroite. Les méthodes les plus agressives du QE, notamment le rachat d'actifs privés, semblent pour le moment écartées. L'attente du jugement de la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) concernant l'OMT pèse sur les services de la BCE. De fait, la décision des juges de Karlsruhe de transmettre à la CJUE la décision sur l'OMT tout en l'accompagnant d'une censure et de menaces implicites semblent avoir conduit la BCE à renoncer à des opérations de rachats de titres risqués.

Un rachat de titres sûrs non stérilisés

Que faire alors ? La BCE pencherait sur un rachat massif de titres souverains sans risques sur le marché secondaire. Ces rachats - qui ne seraient pas stérilisés comme le programme SMP de 2010-2011 - permettraient mécaniquement d'augmenter la masse monétaire de la zone euro, d'offrir aux investisseurs la possibilité d'acquérir ainsi des actifs plus risqués, de faire ainsi baisser de façon générale les taux et de peser sur l'euro. Autant d'éléments qui, in fine, pourraient renforcer la hausse des prix et permettre d'éviter la déflation. La BCE s'inspirerait ainsi de ce qu'ont fait les banques centrales japonaise, britannique et étatsunienne, sans mettre en danger son bilan, ce qui permettrait de contrer les futures plaintes auprès de Karlsruhe.

Que racheter concrètement ?

Quels actifs sûrs la BCE va-t-elle racheter ? A Francfort, on avance à demi-mot l'idée de ne racheter que des obligations souveraines de la zone euro notées AAA, autrement dit, ceux des Pays-Bas, du Luxembourg, de l'Allemagne et de la Finlande. Dans ce cas, les taux de ces pays, principalement les taux allemands chuteraient fortement. Le pari serait alors que les investisseurs utilisent les euros créés par la BCE pour acheter également la dette du reste de la zone euro, plus rémunératrice, et ainsi de faire également chuter les taux. Comme le taux des pays triple A deviendra très faible, les investisseurs pourraient être tentés de vendre leurs titres (à la BCE) pour acheter des titres plus rémunérateurs. Une forme d'équilibre pourrait être ainsi trouvé et les spreads, les écarts de taux, pourraient alors ne pas augmenter entre les pays triple A et les autres.

Un encouragement à l'austérité ?

L'opération n'est cependant pas sans risque. Il faudra d'abord s'assurer que les euros créés irriguent à terme l'économie réelle de la zone euro. Par ailleurs, certains pays en difficulté budgétaire - on pense à la France - pourraient être victimes de ces mesures, puisque les investisseurs pourraient préférer les titres plus rémunérateurs des pays périphériques qui, eux, ont renforcé leur position budgétaire. Du coup, il n'est pas certain que la dette française profite de ce QE de la BCE. Paris devra, pour cela, renforcer la consolidation budgétaire et dont mener une politique plus récessive, ce qui pourrait jouer négativement sur la conjoncture en zone euro. La BCE peut espérer que l'effet négatif sera compenser par la création monétaire. Mais cela reste à prouver.

Eviter « l'aléa moral »

Mais là encore, la manœuvre pourrait être voulue par la BCE. Elle permet de briser l'argument avancé par la cour de Karlsruhe dans le jugement sur l'OMT selon lequel la politique de rachat de titres renforce « l'aléa moral », autrement dit la propension des Etats à laisser glisser leurs déficits, sûr qu'ils sont de compter sur les rachats de la BCE. Avec le QE prévu par la BCE, aucun risque : pour réduire le spread, les Etats devront faire preuve de vertu budgétaire. Voici comment la BCE espère couper l'herbe sous le pied de Karlsruhe. On peut même dire qu'il s'agit d'une invitation pour les pays de la zone euro à parvenir au sein graal du triple A. Une resacralisation de cette note suprême. Mais l'affaire est, on l'a vu, risquée.

Comment sortir ?

Autre risque, la difficulté de sortir de ce schéma. On le voit avec le tapering de la Fed. La remontée des taux pour les pays AAA risque d'être douloureuse, mais l'effet sur les taux des autres pays sera également redoutable, que l'on voit l'effet de la politique de la Fed sur les pays émergents… Il faudra donc attendre que la croissance soit assez vive pour renverser la vapeur. Le danger est alors que l'objectif de l'inflation à 2 % sera difficilement en danger…

Avis de décès de l'OMT

L'efficacité de l'opération reste donc à prouver. A la différence de ses homologues britannique, japonais et étatsunien, la tâche de la BCE est plus difficile : elle ne dispose pas que d'un type d'obligation souveraine à racheter et le cadre juridique est plus rigide. Du reste, si le choix de la BCE se porte sur ce type d'opérations, ce sera la preuve que les juges de Karlsruhe ont, en fait, bel et bien tué l'OMT. Le QE par les pays triple A viendrait alors en substitution à la « potion magique » de Mario Draghi.