Comment Bruxelles a créé l'illusion de l'excédent primaire grec

Par Romaric Godin  |   |  983  mots
L'Europe tente de bâtir le mythe d'une "success story" hellénique
Eurostat a utilisé une méthode spécifique pour calculer le déficit primaire de la Grèce à des fins de communication.

Hourrah ! Mercredi, Eurostat a confirmé que la Grèce avait dégagé en 2013 un « excédent primaire » de ses comptes publics. Un excédent de 1,5 milliard d'euros qui représente 0,8 % du PIB hellénique. Aussitôt, les sectateurs de la politique menée depuis 2010 y ont vu une preuve du succès de cette stratégie de réduction radicale et rapide des déficits puisque la troïka s'attendait encore à un déficit pour l'an dernier. L'austérité aurait donc fait preuve d'une efficacité redoutable et l'idée selon laquelle, en détruisant la croissance elle rend la consolidation budgétaire plus difficile serait donc battue en brèche.

Les faits sont cependant un peu plus complexes. En réalité, ces chiffres ont subi un traitement statistique « sur mesure. » Comme le soulignent les journalistes du Guardian et du Wall Street Journal ce jeudi, les chiffres ne ressemblent en rien à ceux donnés et par le gouvernement grec et par Eurostat. Jusqu'ici, on pensait naïvement que le « solde primaire » des comptes publics excluait simplement les intérêts de la dette. C'est du reste le seul attrait de ce solde : mesurer la capacité d'autofinancement d'un Etat pour pouvoir évaluer les besoins d'appel à la dette pour se refinancer dans le futur.

Une nouvelle façon de calculer le solde primaire

Selon ce critère, la Grèce affiche un déficit de 15,8 milliards d'euros, soit 8,7 % de son PIB puisque, selon les données mêmes du ministère hellénique des Finances, le déficit budgétaire grec était de 23 milliards d'euros et les intérêts de la dette de 7,2 milliards d'euros. Comment alors Athènes a-t-elle pu dégager ce fameux excédent ? En appliquant une méthode statistique pour « mieux refléter la position budgétaire structurelle » de la Grèce selon un porte-parole de la Commission européenne citée par le Wall Street Journal.

Du coup, Eurostat a ôté du calcul plusieurs éléments. D'abord, les dépenses d'aide aux banques grecques, ce qui réduit le déficit « primaire » de 10,8 % du PIB. L'effet « positif » du transfert des bénéfices de la BCE sur le rachat d'obligations grecques (1,5 % du PIB) a été également exclu du calcul. Au final, le solde « corrigé » donne un excédent de 0,8 %.

Une correction « spécifique »

Tout ceci est d'autant plus étonnant que, de l'aveu même de la Commission, il s'agit d'une méthodologie « spécifique » à la Grèce. Autrement dit, si un autre pays de l'UE avait investi 10,8 % de son PIB pour sauver son secteur bancaire, Bruxelles l'aurait intégré dans le calcul du déficit. Rappelons, pour faire bonne mesure, que la recapitalisation des banques grecques n'est pas le fruit d'un « cadeau » de l'UE, il s'agit d'une part des prêts accordés par le MES à la Grèce et qui devra faire l'objet d'un remboursement. Ce prêt a, également, été versé sous conditions : la politique d'austérité a dû être renforcée. A priori donc, on voit mal pourquoi Bruxelles a exclu cet effet des comptes helléniques.

A moins que, et c'est la position qui circule le plus aujourd'hui dans les médias européens, que l'Union européenne ait voulu à tout prix trouver un moyen de faire dégager un excédent primaire à la Grèce et, ainsi, de pouvoir présenter la stratégie européenne comme une « success story. » Il ne s'agirait alors ni plus, ni moins que d'une forme de manipulation.

L'austérité continue

En réalité, malgré son retour sur le marché et cet « excédent primaire » sur mesure, la Grèce n'est pas une « success story. » L'effondrement du PIB et du niveau de vie des Hellènes a été le prix très lourd à payer pour ces succès plus cosmétiques que réels. Et, surtout, la Grèce, comme tous les autres pays qui ont subi l'austérité, doit désormais faire face à des défis considérables.

Le premier, c'est que l'austérité est loin d'être achevée. Certes, une partie de « l'excédent » sera distribué à la population au titre du « dividende social », une somme de 500 à 1.000 euros qui sera versé à quelques 312.000 personnes jugées les « plus vulnérables. » Une goutte d'eau, car la Grèce, comme le souligne le quotidien Enet, « se prépare dans son programme de stabilité 2015-2018 à poursuivre les mesures d'austérité et à geler toutes les dépenses publiques pour les quatre prochaines années. »

Le poids de la dette

C'est que l'excédent primaire doit encore s'améliorer pour pouvoir supporter le poids de la dette, 178 % du PIB. A moins de réduire franchement le stock de dettes, il faudra encore longtemps attendre avant de lever cette chape de plomb. Certes, on parle d'une nouvelle coupe dans ce stock ("haircut"), mais désormais, l'essentiel de la dette grecque est détenue par des des institutions parapubliques européennes. Les États accepteront-ils de payer pour un pays que l'on dit « sauvé » ? Pas sûr. Mais si l'on fait porter l'essentiel du poids de la restructuration sur les créanciers privés, alors ce serait décourager les futurs investisseurs et cela obligera les États à garantir à nouveau une aide à Athènes. Le choix est difficile et risque de prendre du temps. Dans tous les cas, le mythe de la Grèce « en bonne santé financière » risque d'en prendre un coup.

Quel avenir pour la Grèce ?

Enfin, il ne faudra pas oublier l'essentiel : quel modèle économique pour la Grèce de demain ? L'amélioration de la compétitivité coût du pays pourra-t-elle soutenir l'ensemble de l'économie ? Sur quels secteurs ? Sans investissement public, le pays pourra-t-il se redresser ? Cet excédent primaire sera-t-il en mesure d'attirer suffisamment d'investissements étrangers pour améliorer le potentiel productif du pays ? Autant de questions auxquelles les exercice de communication de la Commission ne répondent pas.