Pourquoi la Grèce doit encore restructurer sa dette

Par Romaric Godin  |   |  1351  mots
La Grèce demande une nouvelle restructuration de sa dette souveraine.
La Grèce veut un nouvel aménagement de sa dette, toujours aussi insupportable, et propose d'en lisser le remboursement sur 50 ans.

Chacun le sait, la Grèce a rétabli ses finances publiques. Le gouvernement grec, non sans la complicité d'Eurostat, a trouvé une méthode pour afficher un excédent budgétaire de 1,5 % du PIB en 2013, satisfaisant ainsi les demandes de la troïka formée par le FMI, la BCE et la Commission européenne. Les marchés ont sanctionné ce redressement par leur gourmandise vis-à-vis des titres à 5 ans mis sur le marché en avril. Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Ou presque. Car le ministre hellénique des Finances Yannis Stournaras est venu à l'Eurogroupe de ces deux derniers jours avec une demande qui peut apparaître en décalage avec cette vision idyllique de la situation financière de la Grèce. Il veut un nouvel aménagement de la dette grecque. Pourquoi ? Tout simplement parce que le niveau de la dette grecque aujourd'hui est intenable pour l'économie.

Dette alourdie par le sauvetage

Rappelons que le « sauvetage de la Grèce » s'est effectué par deux restructurations de la dette privée assez lourde (la seconde a réduit de plus des deux tiers la valeur de la dette privée), mais aussi par le financement des besoins de l'Etat grec par les Etats de la zone euro et le FESF devenu Mécanisme européen de Stabilité (MES). La Grèce n'a donc jamais cessé de s'endetter davantage durant son « redressement. » La réduction de la dette privée a été largement compensée par une augmentation  de l'endettement vis-à-vis des créanciers publics ou parapublics : Etats de la zone euro, banque publique allemande KfW, MES, BCE… Aujourd'hui les prêts détenus par ces institutions représentent 225 des 321 milliards d'euros de la dette publique grecque.

Jusqu'à 18 milliards d'euros à rembourser sur une année

Quatre ans après le début de la crise, le ratio dettes sur PIB de la Grèce est passé de 120 % du PIB (niveau qui avait exclu le pays de l'accès aux marchés) à 175 % du PIB. C'est un des niveaux les plus élevés du monde. Et c'est évidemment un poids pour le budget grec qui entrave toute marge de manœuvre de la puissance publique. Le montant des remboursements à effectuer chaque année par la Grèce est ainsi supérieure à 4 milliards d'euros jusqu'en 2047. Entre 2023 et 2043, il faudra rembourser plus de 7 milliards d'euros par an avec des points effrayantes de 18,2 milliards d'euros à rembourser en 2039, 14,1 milliards d'euros en 2037 et 13,6 milliards d'euros en 2038.  A ces sommes s'ajoute le « service » de la dette, le paiement des intérêts. Par ailleurs, la Grèce s'est aussi financée par le recours à la dette « flottante » à court terme (celle qui dispose d'une maturité de moins d'un an), qui pèse beaucoup sur le budget. En 2013, elle représentait 12 % de la dette totale, soit 39,9 milliards d'euros qu'il faut refinancer au cours des 12 prochains mois. 

Chère, très chère dette

Avec de telles sommes à rembourser, le pays va devoir mobiliser l'intégralité de ses excédents primaires (en les augmentant) au remboursement de la dette. Une solution qui risque de freiner considérablement la reprise. Surtout, en cas d'une baisse de régime de la croissance, elle contraindra Athènes à encore accélérer l'austérité, ce qui pourrait provoquer une nouvelle récession. Certes, le pays, qui a, de nouveau, accès au marché pourrait utiliser cet accès pour se refinancer, mais avec un tel niveau d'endettement et malgré l'effet de l'assurance OMT (le programme de rachat d'obligations souveraines de la BCE), les taux demandés par les investisseurs seront toujours plus élevés que ceux du MES ou à ses partenaires. Athènes paiera en effet pour son premier plan d'aide de 53 milliards d'euros un taux de 0,83 % pour un prêt de 17 ans de maturité. Malgré le succès de son placement à 5 ans, elle a dû accorder le 10 avril un taux de 4,95 % ! L'effet sur les finances publiques n'est naturellement pas le même et, passé l'effet d'annonce, Athènes préférerait se passer de devoir demander l'aide des investisseurs. Sans compter que l'accès au marché peut, en cas de retour de l'aversion au risque, se fermer aussi vite qu'elle s'est rouverte.

Engagement de l'Eurogroupe

Le gouvernement grec, qui pense déjà aux prochaines élections et qui sait qu'il faut désormais reconstruire entièrement l'économie du pays ne peut se permettre un tel poids de la dette dans ses dépenses. Du reste, il peut s'appuyer sur un engagement de l'Eurogroupe qui, en novembre 2012, avait promis de réexaminer cette question à partir du moment où la Grèce aurait dégagé un excédent primaire de 1,5 % du PIB. C'est chose faite, il est donc temps de se pencher sur cette dette.

Pas question d'une coupe dans le capital de la dette

Sauf que, évidemment, il n'est pas question de couper encore dans le vif comme en 2012. D'abord parce que ceci causerait des pertes pour les Etats de la zone euro créanciers de la Grèce, pourrait déclencher les garanties apportées au FESF et, dans le cas allemand à la banque KfW (créancière de la Grèce pour le premier plan d'aide) et gêner au passage la BCE, détentrice de 38 % de la dette grecque en circulation selon Bloomberg. Sans compter que l'autre grand créancier de la Grèce, c'est la banque grecque Eurobank (18 % de la dette en circulation), dépendante de l'Etat pour son financement, ce qui complique encore l'équation. Enfin, une coupe dans les créances privées, comme en 2012, outre qu'elle n'apporterait rien compte tenu des faibles montants désormais détenus par les investisseurs privés, risquerait de briser le tout frais retour d'Athènes sur les marchés, ce que les Européens veulent absolument éviter. Comme, malgré les applaudissements de chacun, personne n'est prêt à « payer pour la Grèce », une coupe dans la dette n'est donc pas possible.

Repousser la maturité à 50 ans

D'où la proposition de Yannis Stournaras : repousser encore la maturité de la dette pour « lisser » l'effort de remboursement et le rendre moins douloureux. Athènes propose donc de ramener à 50 ans la maturité de tous les prêts issus du plan de sauvetage. Actuellement, les prêts du premier plan ont une maturité de 17 ans, les plans du second de 30 ans. Leurs maturités ont déjà été considérablement augmentées en novembre 2012 (de 10 et 15 ans respectivement). En moyenne, Athènes estime que le poids des remboursements serait réduit en moyenne de 6 milliards d'euros par an avec cette méthode. Cela dégagerait des moyens utiles à la croissance grecque. D'autre part, le pays souhaite obtenir des taux fixes et non plus dépendant de l'Euribor (le taux de référence interbancaire) pour pouvoir là encore ne pas voir le poids du service de la dette augmenter au cours des prochaines années.

Surtout, attendre

Toutes ces exigences semblent raisonnables. L'effet de l'endettement sera plus faible et Athènes pourra ainsi dynamiser sa croissance pour pouvoir rembourser plus aisément sa dette. A priori, l'impact sur les finances publiques européennes sera neutre. Le FESF et le MES financent leurs besoin sur le marché. Ils pourront certes subir quelques pertes liés aux taux d'intérêt du marché. Mais le MES dispose d'un capital de 80 milliards d'euros qui pourra encaisser le choc. Surtout, si la Grèce va mieux économiquement et non plus seulement financièrement, un risque majeur sera ainsi écarté de la zone euro. Mais, le plan Stournaras risque pourtant d'être repoussé par l'Eurogroupe et confié à une commission l'Euro Working Group pour examen. Il ne faut pas alimenter l'impression d'un « troisième plan d'aide » à la Grèce avant les élections européennes, surtout en Allemagne où le sujet est sensible et, rappelons-le, le parti anti-euro AfD à l'affût. Lundi, la Bild Zeitung s'indignait déjà de cette maturité de 50 ans ! Il est donc urgent de ne rien faire et d'attendre l'automne. Les efforts d'Athènes sont, d'un coup, devenus moins dignes de louanges…