Europe : la "flexibilité" budgétaire dépendra de la composition de la nouvelle commission

Par Romaric Godin  |   |  895  mots
la compositioon de la future commission sera déterminante pour l'application des règles budgétaires
Les chefs d'Etats et de gouvernements des 28 vont sans doute insister sur la flexibilité des règles budgétaires. Mais son application dépendra de la Commission.

Le refus d'Angela Merkel de changer les règles de calcul des déficits publics dans le cadre du pacte de stabilité et de pratiquer une vraie politique de relance de la croissance en Europe, donne désormais plus d'importance à la composition de la future commission européenne. Le Conseil européen devrait en effet se contenter d'affichage. La chancelière devrait, comme à son habitude, payer ses partenaires européens de mots. On insistera dans le document final sur l'importance de la « flexibilité » du pacte de stabilité et sur la nécessité d'une politique « équilibrée » entre consolidation budgétaire et croissance, comme l'indique le document préparatoire qui sera soumis aux chefs d'Etats et de gouvernement selon le Financial Times de ce vendredi.

La structure institutionnelle demeure

Dans les faits : la structure institutionnelle ne change pas. Le semestre européen reste en place, renforcé par le Six Pack et le Two Pack. L'objectif de ces procédures demeure le respect du pacte de stabilité et l'amélioration de la compétitivité externe des Etats. Si la Commission peut tolérer des écarts et accorder des délais (c'est le sens de la « flexibilité » qui sera célébrée ce vendredi à Bruxelles par le Conseil), la route doit rester celle de la consolidation budgétaire.

Déjà de la flexibilité

En réalité, cette politique de « flexibilité » est déjà celle qui était en vigueur aujourd'hui. La Commission dirigée par José Manuel Barroso a en effet accordé plusieurs délais aux Etats membres et elle n'a jamais engagé de procédure de sanctions, même vis-à-vis de pays qui, comme le Royaume-Uni ou la France, ont cumulé les déficits supérieurs aux 3 % prévus par le pacte. Même les Pays-Bas et l'Allemagne ont bénéficié de cette « flexibilité. » Les Français le savent bien puisque l'objectif d'un retour dans les clous du pacte de stabilité était prévu en 2013 et a été reporté à 2015. Et chacun sait que cet objectif n'est pas tenable. Comme la croissance française sera plus faible que prévu, la Commission aurait accordé, même sans les demandes du Conseil un nouveau délai.

Pas de changement de politique

Mais ces délais ne représentent pas une vraie politique de relance économique. Ils ne sont que des ajustements d'une politique visant à la consolidation budgétaire aux conditions existantes. Rien ne garantit que la future Commission puisse comprendre les termes de la déclaration du Conseil comme un blanc-seing à accorder à une politique qui pourrait temporairement creuser le déficit pour relancer l'activité comme le souhaite le président du Conseil italien Matteo Renzi.

Puissance nouvelle de la Commission

Dans ce domaine, le Conseil n'est plus souverain : c'est ce qu'il a décidé avec le Six Pack et le Two Pack. Si la Commission décide de sanctionner un pays, le Conseil doit obtenir une majorité qualifiée des deux-tiers (« la majorité qualifiée inversée ») pour la bloquer. Une poignée de pays orthodoxes peut donc suffire à faire passer cette sanction. Dans les faits, ceci donne une autonomie immense à la Commission.

Jean-Claude Juncker sera-t-il l'homme de la flexibilité ?

Du coup, cette flexibilité sera en réalité à l'appréciation de la Commission. C'est dire si sa composition et la répartition des tâches au sein du futur exécutif européen seront déterminants. Le calcul des Sociaux-démocrates européens, c'est que Jean-Claude Juncker, leur devant sa nomination, va se montrer très flexible. Mais c'est oublier un peu vite deux autres données. D'abord, Jean-Claude Juncker doit d'abord sa nomination à Angela Merkel et il sera son homme à Bruxelles. Or, la chancelière doit montrer sa fermeté en Europe à son opinion publique. On l'a encore vu à la manière dont elle a repoussé les propositions italiennes.

Compensation à la Commission pour Londres ?

Deuxième élément : Angela Merkel va chercher à donner une compensation à David Cameron pour sa « défaite » sur la présidence de la Commission. Déjà, dans le Financial Times de ce vendredi, on estime que le Royaume-Uni devrait hériter d'un « important portefeuille économique. » Ce commissaire britannique devrait être chargé par son gouvernement d'appliquer des « réformes structurelles » fortes et des mesures de libéralisation. S'il est le successeur d'Oli Rehn, il y a fort à parier qu'il ne se montre flexible qu'au prix fort en réclamant un paquet de mesures de réformes complet. Dans ce cas, la « flexibilité » du pacte sera obtenue au prix fort.

Italie et France devront jouer finement

C'est pourquoi les discussions portant sur la composition de la future commission sont désormais cruciales. Il faudra jouer finement. L'Italie et la France devront insister pour obtenir le commissaire aux affaires économiques et ne pas se laisser distraire par une présidence du conseil assez honorifique. Mais attention, même s'ils obtiennent raison sur ce point, la nomination d'un Enrico Letta ou d'un Pierre Moscovici ne sera pas un gage de « flexibilité », car un Italien ou un Français auront surtout à cœur de prouver qu'il ne joue pas la carte de son propre pays et de son propre camp. Il pourrait alors être plus sévère que de raison pour gagner de la respectabilité auprès des puissances du nord. Décidément, cette « flexibilité » budgétaire ne semble qu'un mot et la relance en Europe n'est pas pour demain.