Le "miracle allemand de l'emploi" peut-il continuer ?

Par Romaric Godin  |   |  1491  mots
Le chômage allemand s'est dégradé en données CVS en juin. Un mouvement durable ?
Le chômage en données corrigées des variations saisonnières s'est très légèrement dégradé en Allemagne en juin. Mais le glas ne sonne pas encore pour le plein emploi outre-Rhin.

Le miracle allemand de l'emploi marquerait-il une pause ? Certes, en chiffres bruts, l'Allemagne a compté en juin 49.000 chômeurs de moins en juin qu'en mai. Mais en données corrigées des variations saisonnières, le nombre de chômeurs a progressé de 9.000 personnes et c'est la deuxième hausse mensuelle consécutive en CVS.

Effet saisonnalité

Ce chiffre n'est cependant pas inquiétant outre mesure pour le président du bureau fédéral de l'emploi (BA), Hans-Jürgen Weise qui l'explique par un effet de saisonnalité plus marqué. L'hiver ayant été plus doux qu'à l'accoutumée, les réembauches de printemps auraient ainsi été plus faibles. Les chiffres CVS basés sur des moyennes sont donc impactés par ces variations. Mais ce recul reste inférieur aux attentes des économistes qui tablaient sur une hausse de 10.000 chômeurs en CVS en juin.

Un taux de chômage très faible

Rien d'inquiétant, donc. La situation de l'emploi en Allemagne demeure très bonne, notamment lorsqu'on la compare à ceux des autres pays européens. Le taux de chômage en calcul national est resté stable en juin à 6,7 %. En termes européens harmonisés, le taux en mai révélé par Eurostat ce mardi se situe à 5,1 %. C'est le deuxième plus bas taux européen après l'Autriche (4,7 %) et très loin de la moyenne de la zone euro (11,6 %). C'est d'autant plus remarquable que la population active continue de progresser (+0,9 % sur un an selon Destatis). Quant aux offres d'emploi, elles progressent elles aussi puisque l'indice BA-X qui reflète l'évolution de la demande de travail est, en juin, supérieur de six points à son niveau de juin 2013.

L'emploi dépend, comme la croissance, de la consommation et de la construction

Globalement, ce ralentissement sur le front de l'emploi traduit aussi un ralentissement attendu de la croissance au deuxième trimestre. Car l'emploi allemand repose désormais sur deux piliers principaux qui sont aussi les piliers principaux de la croissance allemande : la consommation des ménages et la construction. Au premier trimestre, ces deux secteurs ont, chacun, apporté 0,4 points de croissance au premier trimestre, ce qui a permis d'effacer l'apport fortement négatif de la contribution extérieure (- 0,9 point) et la faiblesse de l'investissement des entreprises (0,2 point). Au final, la croissance allemande a été de 0,8 % au premier trimestre, mais là encore il y a eu un effet déformant lié à la douceur de l'hiver qui a permis de maintenir l'activité dans la construction plus longtemps qu'à l'accoutumé. Il y aura donc une correction entre avril et juin. L'institut DIW table sur une croissance trimestrielle de 0,3 %.

Forte croissance tirée par la demande intérieure

Rien de préoccupant, cependant, si l'on en croit la plupart des économistes allemands qui, depuis quelques semaines révisent tous à la hausse leurs prévisions de croissance pour cette année. L'institut HWWI de Hambourg a ainsi revu à 2,2 % contre 1,7 % son estimation pour 2014. L'Ifo de Munich et le RWI d'Essen ont tous deux relevé leurs prévisions de 1,9 % à 2 %. Le gouvernement fédéral en reste pour le moment à sa prévision initiale de 1,8 %, mais pourrait aussi relever ce chiffre. C'est que l'économie allemande semble être entrée dans un cercle vertueux. L'amélioration de l'emploi conduit à une hausse des dépenses de consommation et de construction, ainsi qu'à un relèvement des salaires. Tout ceci favorise enfin l'emploi et permet aux importantes arrivées sur le marché du travail de trouver des postes.

Une situation durable ?

La question est évidemment de savoir si ce développement favorable peut durer longtemps et si l'économie allemande peut afficher - comme le prévoient la plupart des économistes - une croissance encore plus forte en 2015 qu'en 2014 sans l'aide du moteur du commerce extérieur qui aurait une contribution nulle à la croissance au cours des deux prochaines années.

La construction devrait tenir

A priori, le secteur de la construction devrait continuer à croître. Les taux extrêmement bas de la BCE favorisent l'accès des Allemands à la propriété dans un pays où l'on a longtemps préféré louer. Dans les grandes agglomérations, la Bundesbank s'est même ouvertement inquiété du risque de bulle immobilière, car il est vrai que cette politique de taux bas est là pour durer. Mais avant que cette bulle n'explose, l'emploi peut profiter de cette croissance dans la mesure où la productivité en Allemagne dans la construction est très faible. Selon Destatis, la productivité par agent dans la construction a reculé de 4 % depuis 2005. Le secteur consomme donc beaucoup de main d'œuvre.

La consommation aussi

A priori, la consommation devrait également continuer à progresser. Après plusieurs années de modération salariale (le salaire réel a reculé de 0,1 % en 2013), les rémunérations repartent à la hausse. Au premier trimestre, après quatre trimestres de baisse, le salaire réel a bondi de 1,3 % sur un an. Si cette tendance se poursuit, elle devrait soutenir les dépenses. A cela s'ajoute évidemment le quasi plein emploi qui donne également de la confiance. L'indice GfK de la confiance des ménages a ainsi atteint en juin un plus-haut de trois ans. Comme l'inflation reste modérée et les taux bas, la consommation devrait demeurer forte. Or, là encore, la productivité dans le secteur ces secteurs est très faible : quasiment la même qu'en 2005 tandis que la productivité dans la finance a progressé de 22 % et dans l'industrie de 13 % durant la même période. On voit là aussi que l'emploi devrait en profiter.

Des éléments structurels qui soutiennent l'emploi

Troisième soutien : l'élément démographique qui va progressivement prendre en plus en plus d'ampleur. L'Allemagne vieillit vite et elle va avoir un besoin de main d'œuvre croissant, notamment dans les métiers industriels qualifiés (techniciens et ingénieurs). Ceci devrait contribuer à offrir encore des débouchés aux nouveaux entrants sur le marché du travail (directement ou indirectement) et à contribuer à augmenter les salaires. Donc à soutenir la demande intérieure.

Perte de compétitivité prix

Reste néanmoins une ombre au tableau. En disposant d'une croissance fondée sur la demande intérieure, plus autonome, l'Allemagne va naturellement perdre de la compétitivité externe. La hausse des salaires va devenir nécessaire à la croissance, mais va rogner les marges. Au moment même où les importants départs en retraite de techniciens et d'ingénieurs vont mettre en péril les avancées techniques et qualitatives des produits allemands. On est certes encore fort loin de cette situation, mais le fait est que le coût du travail allemand est une des plus fortes progressions de ces dernières années et que la France même commence à rattraper son retard. En 2013, l'écart de coût du travail entre la France et l'Allemagne dans l'industrie manufacturière est passé de 3,4 % à 1 %.

Un effet négatif sur l'emploi industriel ?

Dans l'immédiat, la principale question est de savoir si la croissance des exportations qui se poursuit (de 6 % à 7 % par an) se confirmera et sera suffisante pour soutenir une croissance durable de l'investissement, malgré cette perte de compétitivité prix. L'Allemagne a beaucoup désinvesti en 2012 et 2013. Il y a un effet de rattrapage en 2014 qui ne durera pas. Au final, les industriels allemands pourraient être tentés de réagir soit en gelant à nouveau l'investissement, soit en augmentant la productivité, soit en réclamant une modération salariale, soit enfin en mêlant ces trois éléments. Dans tous les cas, ce sera négatif pour l'emploi. Mais, encore une fois, on n'en est qu'au début du phénomène : les entreprises exportatrices allemandes ont des taux de marge très confortables et ont profité de la crise pour geler les salaires et les dépenses d'investissement. Elles sont armées pour faire face à un ralentissement passager de la demande extérieure.

Quel impact du salaire minimum ?

Reste l'impact du salaire minimum. Les patrons allemands s'inquiètent ouvertement des conséquences de l'introduction d'un niveau minimum de salaire à 8,50 euros par heure sur l'emploi. Selon Bild de ce mardi, il coûterait 10 milliards d'euros aux entreprises allemandes. Mais ce sont les entreprises de services qui seront les plus touchées, notamment celle des services aux entreprises. Or, ce secteur est un de ceux où la productivité s'est le plus fortement dégradée depuis 2005, elle a chuté de 12 % ! Il est donc possible qu'il y ait moins d'embauches dans ce secteur. Mais l'effet net du salaire minimum sur l'emploi sera difficile à évaluer et cette mesure ne sera sans doute pas capable d'inverser la tendance.

Les facteurs semblent donc réunis pour que le « trou d'air » du miracle allemand de l'emploi ne soit que passager. L'Allemagne entre dans une période de plein emploi qui peut être mise à mal à terme néanmoins par le rééquilibrage de l'économie vers la demande intérieure. Mais cette crise à venir n'est pas encore d'actualité.