Nouvel assaut de la BCE contre l'immobilisme allemand

Par Romaric Godin  |   |  733  mots
Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE, part à l'assaut de la résistance allemande.
Un texte signé par Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE, et son ancien collègue Jörg Asmussen, appelle à s'inspirer de l'exemple japonais. Et demande encore à l'Allemagne d'agir.

La BCE s'inspire désormais clairement du Japon. Dans un texte publié simultanément ce vendredi matin par Les Echos et le Berliner Zeitung, Benoît Coeuré, actuel membre du directoire de la BCE et de Jörg Asmussen, son ancien collègue, proposent une stratégie fondée sur trois piliers pour combattre le risque de déflation en Europe. A l'image des « trois flèches » de Shinzo Abe, ces trois piliers sont la politique monétaire, la politique budgétaire et les « réformes structurelles. »

Les trois piliers

Sur la politique monétaire, le texte rappelle que la BCE a fait beaucoup et « qu'elle est prête à faire plus, si nécessaire. » Mais comme Mario Draghi l'a dit lors de sa dernière conférence de presse, le texte rappelle aussi que la politique monétaire ne peut pas tout. Il faut également utiliser le levier budgétaire. Et ici, le texte vise très clairement l'Allemagne. « L'Allemagne peut utiliser ses marges de manœuvre budgétaire pour soutenir l'investissement et réduire la fiscalité du travail », explique la tribune qui appelle également à utiliser la « flexibilité » au sein du pacte de stabilité. Même les pays en difficulté budgétaire peuvent jouer sur le levier budgétaire en réduisant les « dépenses improductives » pour les remplacer par des dépenses « plus favorables à la croissance. » Bref, le texte appelle à une vraie utilisation du levier budgétaire. Le dernier pilier est plus attendu, c'est celui des réformes structurelles. Mais là encore, surprise, le texte n'appelle pas seulement la France à réduire les charges sur le travail, il appelle aussi l'Allemagne à « encourager l'investissement domestique. » Bref, les réformes structurelles ne doivent pas seulement porter sur le coût du travail et l'Allemagne doit aussi participer.

« Stratégie européenne intégrée »

Ce texte, qui développe la vision adoptée par Mario Draghi depuis un mois, place désormais clairement Berlin dans sa ligne de mire. Il met, en quelque sorte, en demeure le gouvernement allemand de jouer le jeu européen, de participer à une stratégie commune de relance pour éviter à la zone euro le danger déflationniste. C'est ainsi qu'il faut comprendre la demande de « stratégie intégrée » avancée au début de ce texte. Il est intéressant de voir que si le texte n'échappe pas à la tarte à la crème de la demande de réformes en France, il loue le pacte de responsabilité de Paris et, en revanche, n'a aucune tolérance pour la position d'immobilisme tenu par Berlin.

Jörg Asmussen, un signataire pas comme les autres

Une fois de plus donc, la BCE part à l'assaut de la citadelle allemande. Il est piquant de constater que le coauteur de ce texte, Jörg Asmussen, avait été débarqué par Angela Merkel du directoire de la BCE en décembre dernier. Réputé trop « colombe », on lui avait donné comme une (maigre) consolation un secrétariat d'Etat au ministère fédéral allemand du travail. Une forme, donc, d'enterrement de première classe pour un proche de Mario Draghi qui avait été remplacé à la BCE par Sabine Lautenschläger, un vrai « faucon » de la Bundesbank. En cosignant ce texte, Jörg Asmussen rend clairement la monnaie de sa pièce à Angela Merkel et à ses « amis » sociaux-démocrates qui ne l'ont guère défendu.

La provocation Asmussen

Cette cosignature en dit long également sur l'état des discussions au sein de la BCE même. Que Benoît Coeuré défende la stratégie de Mario Draghi avec un membre du directoire évincé par Angela Merkel permet d'évaluer la distance entre les « colombes » de Francfort et les « faucons » qui ont été nommés avec l'appui de Berlin (Sabine Lautenschläger et Yves Mersch). Très clairement, c'est à une véritable guerre entre la BCE et le gouvernement allemand que nous assistons aujourd'hui.

La citadelle allemande

Angela Merkel peut-elle céder ? C'est peu probable. Sa position intérieure et le rapport de force au sein du gouvernement, très favorable au très orthodoxe Wolfgang Schäuble qui, rappelons-le, appelle à la hausse des taux de la BCE et a refusé d'entendre le message de Mario Drgahi à Jackson Hole, plaide plutôt pour une résistance de Berlin. Dans ces conditions, les espoirs de la BCE pourraient bien être rapidement déçus.