Réformes en Allemagne : François Hollande a-t-il raison ?

Par Romaric Godin  |   |  1284  mots
Comment l'Allemagne a-t-elle regagné sa compétitivité ?
Le président de la république a indiqué jeudi ne pas vouloir que l'on exige de la France en 5 ans ce que l'Allemagne a fait pour sa compétitivité en 10 ans dans un contexte plus favorable. A-t-il vu juste ?

Lors de sa quatrième conférence de presse, François Hollande a demandé grâce à l'Allemagne sur la question des réformes. Une grâce qui prend la forme de temps et de soutien à l'activité. « Qu'on ne nous demande pas d'améliorer notre compétitivité en cinq ans quand il en a fallu dix à l'Allemagne dans un contexte plus favorable », a-t-il proclamé. Qu'y a-t-il de vrai dans cette affirmation ?

Hésitations de Gerhard Schröder

Premier fait : le gouvernement de centre-gauche de Schröder n'a pas engagé d'emblée des réformes sur le marché du travail. Arrivé au pouvoir en septembre 1998, le nouveau chancelier a certes réalisé rapidement une forme d'aggiornamento économique en limogeant en mars 1999 son ministre des Finances Oskar Lafontaine, jugé « ennemi de l'économie. » Un renvoi qui n'est pas sans rappeler celui d'Arnaud Montebourg le 25 août dernier. Mais le départ du Sarrois ne signifie pas de changement radical de politique.

Pendant encore près de trois ans, le chancelier social-démocrate va hésiter et reculer devant le coût politique des réformes. La Commission sur la modernisation du marché du travail, présidé par Peter Hartz, entre en fonction le 22 février 2002. Elle remet son rapport un mois avant le scrutin de septembre 2002, remporté par Gerhard Schröder d'une courte tête.

Quelles réformes ?

Les quatre lois qui découlent du travail de cette commission - les lois Hartz - seront promulguées en janvier 2003 et janvier 2004. Les lois Hartz ne représentent cependant que la partie immergée de l'iceberg. Certaines réformes ont été mise en œuvre plus tard, notamment sous le gouvernement de Grande coalition  (SPD-CDU) de 2005 à 2009. C'est notamment le cas en 2007 avec la réforme des retraites et la baisse de l'impôt sur les sociétés de 25 % à 15% financée par la hausse du taux de TVA de 16 à 19 %. Globalement, la période de réforme a donc été assez longue. Entre l'arrivée au pouvoir de la SPD et des Verts et les dernières réformes du système de santé en 2011, il s'est passé 13 ans. Mais l'essentiel des mesures d'amélioration de la compétitivité ont eu lieu sur une période comprise entre 2004 et 2008, soit quatre ans.

La nature des réformes Hartz

Les réformes Hartz sont souvent caricaturées en France, mais elles n'ont pas été « gratuites » pour l'administration allemande et elles n'ont pas été aussi radicales qu'on le croit. Les chômeurs ont certes été indemnisés moins longtemps (un an au lieu de trois), mais ceux qui sont sortis du chômage « normal » ont obtenu des prestations nouvelles, proche du RMI français. Les communes ont notamment reçu la charge du paiement du logement et du chauffage de ces personnes. Par ailleurs, la capacité à licencier sans cause n'a pas été accordée. Le salarié allemand bénéficie d'une protection contre le licenciement (Kundigungsschutz). On est loin des réformes grecques ou espagnoles.

Les vrais moteurs de l'amélioration de la compétitivité

Reste à savoir si l'Allemagne a eu besoin de dix ans pour améliorer sa compétitivité. En réalité, les réformes Hartz et les suivantes ne sont pas - loin de là - les seuls éléments qui permettent d'expliquer l'amélioration de la compétitivité des entreprises. Une étude récente de l'Université d'Essen-Duisburg explique certes que « la coïncidence dans le temps donne toutes les raisons de croire que les réformes du marché du travail sont à l'origine du renversement des tendances observé sur le marché du travail allemand », mais que « la baisse du chômage s'explique par une contraction des réserves de main d'oeuvre disponibles, un ralentissement de la progression de la productivité et une répartition de la masse de travail parmi davantage de personnes. » Matthias Knuth, l'auteur de cette étude souligne que «  la part du chômage liée au décalage entre l'offre et la demande des travailleurs ne s'est pas rétrécie. »

Comment la compétitivité allemande s'est améliorée

La seule réforme qui a favorisé directement la compétitivité allemande est la baisse du taux de l'IS en 2007. Mais la baisse du chômage et la reprise allemande a débuté dès 2005. La « TVA sociale » n'est donc qu'un élément du « miracle allemand de l'emploi. » Une des vraies clés de ce miracle, c'est d'abord la modération salariale et le développement des contrats non couverts par les accords de branche. A la demande de la SPD, les syndicats se sont montrés très coopératifs avec les entreprises à partir de 2003, année de récession pour l'Allemagne. C'est d'ailleurs à ce moment que l'on a vu le coût du travail commencer à freiner outre-Rhin. Parallèlement, la productivité a commencé à décliner, notamment dans les services. Le développement des emplois précaires dans ce secteur, encouragé il est vrai à partir de 2003 par la création des « minijobs » a permis de réduire les coûts des entreprises présentes sur les marchés internationaux et donc leur compétitivité, tout en améliorant l'emploi dans les services.

Une croissance mondiale porteuse

Enfin, - et sur ce point François Hollande a raison - cette amélioration de la compétitivité s'est effectuée dans un contexte favorable. Contexte macroéconomique d'abord puisque les années 2004-2008 correspondent à une forte croissance du commerce mondial lié au développement rapide de plusieurs pays émergents avides de biens d'équipement, autrement dit de ce que l'Allemagne vend le plus. Mais le contexte industriel a également joué un rôle clé. L'amélioration de la compétitivité prix a certes permis aux entreprises allemandes de gagner des parts de marché, mais il convient de ne pas oublier que, même au creux de la vague en 2002-2003, l'économie allemande était industrialisée et reconnue pour la qualité de ses produits. Dans un tel contexte structurel, les « réformes » sont naturellement plus efficaces.

Un contexte européen favorable

Il convient également de ne pas oublier le contexte européen. Il a été très favorable à l'Allemagne. D'abord, le gel de fait du pacte de stabilité négocié en 2003 entre Gerhard Schröder et Jacques Chirac a permis au gouvernement allemand d'attendre le retour de la croissance pour relever la TVA et baisser les impôts sur les sociétés. Par ailleurs, la politique de taux bas de la BCE alors dirigée par Jean-Claude Trichet a été très favorable à l'Allemagne et a soutenu l'investissement, tout en encourageant les pays du sud à se concentrer sur leur demande intérieure et donc... à réduire leur compétitivité. Sans pouvoir dévaluer. Les industriels allemands ont donc profité durant cette période d'un élan interne, d'un soutien de la croissance internationale et de la disparition de ses concurrents. C'est le mélange de l'ensemble de ses éléments qui a permis à l'Allemagne de voir sa croissance s'accélérer en 2006 et 2007, puis de 2010 à 2011. Mais notons qu'en 2009 et 2012-2013, lorsque la demande externe était en berne, la croissance allemande n'était guère vaillante.

 La phrase de François Hollande contient donc du vrai et du faux. La compétitivité allemande s'est améliorée certes pendant plus d'une décennie, mais les mesures qui l'on favorisé ont été prises sur une période plus courte. Ce qui est certain, c'est que le contexte dans lequel l'Allemagne a mené ces réformes n'est absolument pas comparable à celui de la France de 2014. Ce devrait, du reste, faire réfléchir les dirigeants européens sur la pertinence d'appliquer indistinctement à tous les pays européens ce « modèle. »