Pressions sur l'Allemagne : que va faire Angela Merkel ?

Par Romaric Godin  |   |  2213  mots
Angela Merkel entendra-t-elle l'appel pour un plan de relance ?
Le retour du risque de récession outre-Rhin va-t-il décider l'Allemagne à agir ? Inventaire des pressions qui s'exercent sur Berlin et de ses possibles actions...

Plus que jamais, tous les regards se tournent vers l'Allemagne. Alors que la zone euro est menacée d'une troisième phase de récession depuis 2007, Berlin va-t-elle accepter de participer à la relance de l'économie européenne? La question est désormais ouvertement posée, au moment où la politique monétaire de la BCE semble avoir atteint ses limites et où seule l'Allemagne paraît en mesure d'agir sur le plan budgétaire. Mais, ce jeudi, Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances fédéral, a une nouvelle fois douché ces espoirs.

La chancelière et son très orthodoxe ministre ne veulent pas entendre parler de relance -autrement dit, de dépenses budgétaires supplémentaires- pour stimuler l'économie. La priorité reste le maintien des objectifs budgétaires fixés par le budget 2015: l'équilibre du budget fédéral pendant cinq ans. La logique de cet équilibre, c'est de faire baisser la dette publique, actuellement à 80 % du PIB, rapidement pour pouvoir mieux préparer le choc démographique prévu dans les années 2020. Mais le gouvernement d'Angela Merkel pourra-t-il résister longtemps aux multiples pressions qui s'exercent sur lui? Pour le savoir, il est sans doute utile de relever la liste de ces pressions.

La pression franco-italienne

C'est très clairement la pression la moins forte qui s'exerce sur Berlin. Depuis des mois, la France réclame une politique plus équilibrée en Europe. L'Italie de Matteo Renzi s'est jointe à cette demande. Mais Angela Merkel a, à maintes reprises, prouvé qu'elle savait ignorer, voire mépriser, ces demandes. Lors du sommet européen du 27 juin, on s'est contenté de rappeler les règles européennes existantes. Ni la volonté affichée de la présidence italienne, ni les suppliques du gouvernement français n'ont fait fléchir Berlin. Le mini-sommet du 8 octobre sur l'emploi a ainsi accouché d'une souris: un simple rappel des mesures en place et un refus allemand d'abonder davantage. Mieux, même: l'Allemagne a rappelé ces deux pays à leurs engagements, et la volonté désormais affichée de la Commission de sanctionner les budgets français et italiens ne peut que conduire à l'affaiblissement de ces demandes. Ce n'est pas cette pression-là qui risque de faire bouger Berlin

La pression de la BCE

Le 22 août à Jackson Hole, Mario Draghi a ouvertement affirmé le besoin d'une action économique coordonnée au niveau européen. Le 4 septembre, il a avoué que « la politique monétaire seule ne peut pas faire remonter l'inflation ». Il a alors réclamé qu'en échange d'une politique monétaire expansionniste et d'une politique de réformes structurelles en France et en Italie, l'Allemagne « utilise ses marges de manœuvres budgétaires ». Implicitement, il mettait même en garde Berlin : ou des investissements ou un rachat massif de dettes souveraines européennes.

La menace de la BCE a de quoi inquiéter Angela Merkel sur le papier. Un rachat illimité par la BCE de dettes souveraines reviendrait à socialiser les dettes européennes, ce que la chancelière a toujours refusé et ce qu'elle ne pourra sans doute assumer qu'avec peine devant son opinion publique. Mais Berlin s'est montrée, en septembre, fort peu impressionnée par les pressions de Francfort. Mario Draghi s'est heurté à un véritable mur.

Le pari du gouvernement allemand, c'est que la BCE bluffe, qu'elle n'osera pas aller jusqu'à cette mesure qui risque d'être retoquée par le Tribunal de Karlsruhe si on prend en compte ses attendus sur le cas de l'OMT. Mario Draghi semble, du reste, avoir clairement changé de ton lors de la réunion du 2 octobre. Depuis, ses exigences de relance fiscale sont clairement moins appuyées que celles de « réformes structurelles » dans les pays comme la France et l'Italie. Angela Merkel semble clairement avoir emporté son bras de fer avec Mario Draghi. La pression de la BCE ne la fera pas avancer.

La pression dans la coalition

Depuis la rentrée, la SPD semble se montrer un peu plus agressive face à Angela Merkel. Sigmar Gabriel, le vice-chancelier et ministre de l'économie social-démocrate, n'hésite plus à critiquer certaines positions de la chancelière. Par ailleurs, si les élections régionales de début septembre n'ont guère donné d'impulsion à la SPD, cette dernière négocie dans le Land de Thuringe la constitution d'une alliance avec les Verts et Die Linke. Un « bloc des gauches » qui est inédit dans un gouvernement régional (de 2010 à 2012, Die Linke a soutenu, en Rhénanie du Nord Westphalie, un gouvernement SPD-Verts sans y participer) et qui, rappelons-le, est actuellement majoritaire au Bundestag. Ce peut être une manière de mettre une pression supplémentaire sur l'aile conservatrice de la CDU/CSU.

Pour autant, la chancelière n'a guère de raison de craindre une forte pression sociale-démocrate pour une relance de l'économie. Même si la SPD est officiellement favorable à plus d'investissements, elle n'en fait pas encore un cheval de bataille au sein de la coalition. Il est vrai que la SPD a déjà beaucoup obtenu de sa coalition (salaire minimum, possibilité de départ à la retraite à 63 ans...) compte tenu de son poids dans cette coalition (il ne manque que trois voix aux Conservateurs pour être majoritaires). Difficile donc de faire encore monter les enchères sur le plan économique. Par ailleurs, la SPD a clairement abandonné le champ de la politique européenne où elle sait que ses positions sont très impopulaires dans l'opinion. Or, la SPD n'est pas vraiment en position de force: elle est revenue dans les sondages à ses plus bas niveaux, en dessous de 25% des intentions de vote. Une partie de son électorat fuit même vers les Eurosceptiques d'Alternative für Deutschland (AfD).

Enfin, l'option du « bloc des gauches » est une chimère au niveau fédéral. Même si c'est mathématiquement possible, Il est impossible dans les faits que la SPD rejoigne une « motion de censure constructive » avec les Verts et Die Linke pour renverser le gouvernement Merkel -comme l'avait fait, en 1982, les Libéraux pour remplacer Helmut Schmidt par Helmut Kohl. Les positions de la SPD et de Die Linke sur l'Europe sont difficilement compatibles. D'autant que, concurrencée par AfD, Die Linke durcit son discours européens. Par ailleurs, une grande partie des Sociaux-démocrates estiment encore inacceptable de gouverner au niveau fédéral avec Die Linke. Le cas de la Thuringe, Land de l'ex-RDA où la SPD est très faible, et Die Linke très forte est particulier. Enfin, une alliance de gauche lors du scrutin de 2017 est loin d'être assurée de la majorité, dans l'optique où AfD entrerait au parlement. Dans ce cas, la SPD préfèrerait sans doute renouveler la « grande coalition » avec Angela Merkel. Bref, cette dernière n'a pas grand-chose à craindre de ses partenaires de coalition.

La pression de politique intérieure

La poussée des Eurosceptiques ne semblent pas se tarir. Les sondages leur donnent désormais de 8% à 10% au niveau national, un score qu'AfD a atteint et dépassé lors des trois scrutins régionaux de début septembre. Mais en réalité, l'influence d'AfD est bien plus vaste que son niveau dans les sondages. Les Eurosceptiques sont devenus une obsession pour la CDU et la CSU. Jeudi, Wolfgang Schäuble l'a confirmé en s'emportant contre ce parti qui serait « une honte pour l'Allemagne ». Mais, du coup, les Conservateurs sont contraints à se montrer fermes sur le plan de la politique européenne. Il ne faut en aucun cas prêter le flanc à la critique eurosceptique en donnant l'impression de mettre en danger « l'argent des contribuables allemands ».

D'autant qu'AfD joue sur des idées fort répandues dans l'opinion: l'excellence du modèle allemand, l'incapacité des autres pays européens à se réformer, la responsabilité budgétaire, la mise en danger du modèle social allemand pour « sauver » les autres pays européens. Cette monopolisation du débat public par les eurosceptiques a clairement conduit à un durcissement des positions allemandes en août et septembre. En théorie, cependant, la pression est désormais moindre puisqu'il n'y a pas de rendez-vous électoraux majeurs outre-Rhin en 2015. Mais la pratique du pouvoir d'Angela Merkel montre qu'elle n'oublie jamais ses intérêts politiques intérieurs, même en dehors des périodes électorales.

La pression légale

L'Allemagne s'est dotée en 2009 d'une règle d'or bien plus stricte que celle du « pacte budgétaire » qu'elle va imposer à la zone euro en 2012. Ce « frein à l'endettement » (Schuldenbremse) limite à partir de 2016 le déficit structurel de l'Etat fédéral à 0,35 % du PIB et interdit à partir de 2020 les déficits structurels des Länder. La marge de manœuvre des Länder pour la relance est clairement nulle car cet objectif est, pour la plupart d'entre eux, très difficile à atteindre. Wolfgang Schäuble envisage de « mutualiser » le déficit structurel autorisé, ce qui serait une façon d'empêcher toute relance puisque la marge de manœuvre de l'Etat fédéral serait dissoute dans les besoins budgétaires des Länder.

Actuellement, la trajectoire de l'Etat fédéral est en effet très favorable. L'équilibre structurel a déjà été atteint, alors que la loi de programmation budgétaire prévoyait en 2014 un déficit structurel autorisé de 1% du PIB. Autrement dit, l'Etat fédéral allemand disposerait d'une marge de manœuvre potentielle de 25 milliards d'euros qui lui permettrait de demeurer dans les clous de Maastricht et de sa constitution.

Le problème est cependant double. D'abord, Wolfgang Schäuble a un rêve, celui d'être le premier ministre des Finances à équilibrer un budget fédéral depuis 1969. Il aura du mal à s'en défaire, mais c'est un obstacle qu'Angela Merkel peut dépasser. En revanche, un autre obstacle se présentera: celui de ne pas pouvoir suivre la trajectoire tracée et revenir à un déficit structurel de 0,35% du PIB en 2016, surtout si la conjoncture se dégrade très fortement et réduit les recettes fiscales. Or, la constitution allemande prévoit des mesures de corrections automatiques en cas de non-respect de la règle d'or. A quoi bon, dans ce cas, dépenser en 2014 et 2015 pour corriger sévèrement en 2016? L'effet d'une relance risquerait de faire long-feu. D'où le refus de Wolfgang Schäuble de revenir sur son plan budgétaire. Reste néanmoins que les marges de manœuvre existent outre-Rhin et qu'elles peuvent être utilisées.

La pression économique

L'économie allemande a fortement ralenti en août et la menace d'une nouvelle récession est désormais réelle. La CDU est le parti de l'économie allemande. Elle ne peut être indifférente à cette évolution. D'autant que les milieux économiques semblent désormais changer de ton, eux aussi. La fédération des industriels (BDI) avait déjà réclamé une politique d'investissements plus agressive de la part de l'Etat fédéral. Jeudi, les grands instituts économiques ont unanimement réclamé une politique budgétaire plus expansive et ont estimé secondaire la question de l'équilibre budgétaire. Ce matin, même le très orthodoxe quotidien économique Handelsblatt estime que l'idée « n'est pas si mauvaise. » Il existe donc très clairement une pression des milieux économiques allemands en faveur d'une relance.

C'est sans doute la pression qui peut être la plus efficace sur Angela Merkel et Wolfgang Schäuble. Si la récession se confirme, sans doute Berlin fera-t-il un geste. Cela risque cependant de prendre du temps. Lors de la faillite de Lehman Brothers, la chancelière avait longtemps freiné des quatre fers devant l'option d'une relance réclamée par la SPD et Nicolas Sarkozy, alors président français. Finalement, un plan de relance avait été monté en janvier 2009, soit cinq mois après le début de la crise. Et pas sans compensation: les conservateurs avaient obtenu l'inscription de la règle d'or dans la constitution. Là encore, tout plan de relance aura des compensations.

Néanmoins, il faut se garder de tout optimisme démesuré. Comme on l'a vu, la seule pression capable de faire bouger Berlin vient... d'Allemagne. Si plan de relance il y a, il sera donc allemand et destiné à l'Allemagne. L'Allemagne ne voulant pas « payer pour les autres », elle concentrera ses efforts sur sa propre économie.

Sans doute y aura-t-il un impact de ce plan sur la croissance européenne. Mais il restera limité. C'est l'avis de la plupart des économistes. Ce plan, on l'a vu, ne pourra dépasser sans doute 25 milliards d'euros en raison de la « règle d'or. » En 2009, 80 milliards d'euros avait été mis sur la table avec un effet limité sur le reste de la zone euro...

Surtout, la compensation à ce plan pourrait être une sévérité accrue envers la France et l'Italie sur le plan budgétaire et des « réformes ». Dans ce cas, l'effet du plan allemand sera nul. Le maintien des règles budgétaires européennes et leur stricte application maintiendra un carcan déflationniste sur la zone euro. Il faudrait évidemment réfléchir à une vraie relance au niveau européen. Mais aucune pression ne s'exerce sur l'Allemagne dans ce sens...