"Plan de croissance" franco-allemand : en route vers la récession

Par Romaric Godin  |   |  1248  mots
Paris et Berlin semblent unis pour une politique économique dangereuse.
Les projets franco-allemands semblent profondément déséquilibrés : ce que la France perdra avec les "réformes", elle ne le gagnera pas avec la "relance" allemande. Mais, plus largement, ce plan trahit une erreur d'analyse.

Peu importe que le « plan pour la croissance » franco-allemand dévoilé succinctement par l'hebdomadaire allemand Der Spiegel ce dimanche 23 novembre soit un vrai plan d'action ou un simple rêve d'artistes. Il trahit une réalité : depuis la rentrée, le « couple franco-allemand » se dirige, pour tenter de soigner les maux de l'économie européenne vers un marché que l'on pourrait baptiser « réformes contre relance. » L'idée est de convaincre les Allemands de dépenser plus en les amadouant par des « réformes structurelles » d'envergure dans l'Hexagone. Or, comme le montre le plan esquissé par Der Spiegel, ce marché n'est qu'un marché de dupes.

La logique qui préside à ce plan

Quelle est la logique économique de cette stratégie ? Il s'agit avant tout « d'améliorer la compétitivité » externe de la France. L'économie française étant plus compétitive, elle pourra profiter pleinement des richesses crées par la relance allemande. Moyennant quoi le rebond de la croissance française viendrait alimenter à son tour les exportations allemandes et la croissance de nos voisins orientaux. Un cercle vertueux se mettrait alors en mouvement, assurant la croissance « à long terme » du vieux continent. Autrement dit, la logique ici à l'œuvre n'est guère différente de celle qui a présidé aux politiques d'austérité de 2010-2013 : le salut ne peut venir que de l'extérieur, autrement dit des exportations. Le modèle allemand - celui qui a plongé l'Europe dans la situation où elle se trouve actuellement - reste la référence.

Les effets du plan de croissance sur la France

L'ennui, c'est que la réalité ne plaide guère en faveur du succès d'une telle logique. Un plan tel que celui présenté par Der Spiegel plongerait immanquablement la France dans une récession déflationniste. La perspective d'un gel des salaires sur trois ans conduirait les ménages à reporter leurs dépenses à plus tard. Un des rares moteurs qui fonctionne tant bien que mal de l'économie hexagonale s'arrêterait net. Les entreprises n'auraient alors d'autres choix que de baisser leurs prix pour inciter les ménages à consommer. En compensation, pour tenter de sauver leurs marges, il y aurait alors un gel des investissements et des licenciements. Peu importe le CICE et les taux bas, les entreprises auront d'autres chats à fouetter que d'investir. La spirale déflationniste serait alors inévitable. D'autant que les autres « réformes » prévues, assouplissement des 35 heures et « flexibilisation du marché du travail » permettraient des licenciements massifs et une explosion du chômage. Outre la récession, la France plongerait alors dans une zone politiquement à risque.

L'illusoire relance allemande

Et quelle sera la récompense d'un tel sacrifice ? 30 milliards d'investissements allemands entre 2016 et 2018. Une relance de 0,3 % du PIB par an dont l'impact sur l'économie allemande et européenne sera minime et, pour tout dire, inexistante. Selon les calculs de Standard & Poor's qui s'est penché sérieusement sur le sujet, un point de PIB de relance en Allemagne conduit à un effet positif de 0,12 point en France. Le plan d'investissement allemand aura donc dans un deux ans un effet de 0,04 point de croissance. Et encore, les calculs de l'agence ne prennent pas en compte un plan de relance uniquement centré sur les infrastructures. Peut-on sérieusement imaginer que cette goutte d'eau vienne compenser les effets des « réformes » en France ?

Trappe à liquidités

Certes, nous dira-t-on, mais la croissance française sera soutenue par le CICE, les fameuses baisses de charges qui auront un effet plein grâce au gel des salaires, mais aussi par la baisse de l'euro et par la politique de la BCE. Mais là aussi, on pourrait bien se bercer d'illusion. Faute de perspectives de croissance sérieuses, le CICE pourrait bien ne servir qu'à compenser la baisse des marges provoquée par la déflation. Quant aux milliards de la BCE, ils pourraient davantage alimenter des bulles financières que des investissements. A quoi bon investir dans l'économie française lorsque la demande semble devoir demeurer atone pendant des années et alors que les marchés financiers sont dopés par l'assouplissement quantitatif de la BCE ? Très clairement, et c'est ce qu'a avoué en août dernier Mario Draghi, la zone euro se trouve dans une trappe à liquidité. Pour paraphraser Balzac dans son roman Les Employés, l'argent que l'on jette par les fenêtres ne rentre plus par les caves.

Quant à la baisse de l'euro, rappelons qu'elle est loin d'être une panacée. D'abord, parce qu'elle ne règle pas les problèmes de compétitivité au sein de la zone euro et que, partant, elle ne permet pas de freiner les courses à la déflation salariale au sein des 19, mais aussi parce que l'économie française fortement désindustrialisée ne peut pas réellement être tirée par les exportations dans l'immédiat et parce que la croissance de la demande mondiale ralentit, réduisant d'autant l'effet positif de la baisse de l'euro.

La route vers la récession

Bref, si ce « plan de croissance » est appliqué, il sera difficile d'éviter à la France la récession. La deuxième économie de la zone euro tombant dans une récession où continue de s'engluer depuis 2011 l'Italie, la zone euro aura bien du mal à éviter une nouvelle rechute. D'autant que l'Allemagne aussi ralentit suite à une demande mondiale moins dynamique. Dans ce cas, le cercle vertueux rêvé par les experts en « réformes structurelles » pourrait bien se muer en cercle vicieux auquel la fragile économie de la zone euro ne résistera pas. Le « plan de croissance » se muera alors bientôt en « plan de récession. »

Refus de la seule arme efficace

Comme le souligne l'économiste britannique Simon Wren-Lewis, le seul moyen de sortir d'une trappe à liquidité est une relance budgétaire « suffisamment large. » Il faut donc relancer tous azimuts, y compris dans les pays endettés comme la France, l'Italie ou l'Espagne et précisément pour cela : seule la croissance et l'inflation est aujourd'hui capable de régler le problème de l'endettement si l'on se refuse à organiser des défauts de paiement. L'avantage de la relance par rapport à la politique monétaire, c'est qu'elle peut avoir un impact direct sur l'économie réelle, non médiatisée par les banques et les marchés. Lorsque la politique monétaire est inefficace, lorsque plus aucun agent économique ne veut dépenser, l'Etat doit agir et relancer la machine. Or, dans la logique qui domine dans la zone euro, l'arme budgétaire est écartée. L'Allemagne ne veut relancer que dans le cadre de son équilibre budgétaire et la Commission enserre dans les griffes du semestre européen les autres budgets nationaux. Autrement dit, l'Europe refuse la seule arme capable de combattre le mal dont souffre l'Europe. Tout cela ressemble à de l'inconscience qui frise le suicide collectif.

Idéologie à l'œuvre

Pourquoi cet aveuglement ? Parce que la pensée économique allemande a gagné la bataille idéologique et que les dirigeants de tous les pays de la zone euro estiment que toute dépense budgétaire est mauvaise et que seul le modèle de croissance fondé sur les exportations assure une « croissance saine et durable. » Dans ce cas, la réalité importe peu, l'essentiel est d'appliquer cette idéologie, de gré ou de force. Voilà qui est inquiétant pour l'état de l'Europe et pour son avenir.