Pourquoi l'UE doit avancer prudemment en Moldavie

Par Romaric Godin  |   |  963  mots
Une manifestation à Chisinau en faveur de l'unification du pays avec la Roumanie le 1er décembre 2014.
La victoire du camp favorable à l'UE en Moldavie est entachée d'étrangeté dans un pays très divisé. La modération s'impose pour éviter d'ouvrir dans ce pays un nouveau front de la nouvelle guerre froide.

Le « camp pro-européen » aurait donc gagné en Moldavie. Plusieurs médias français ont ainsi titrés, comme L'Express : « les électeurs choisissent l'Europe. » Ce titre est à la fois vrai et faux. Vrai, parce que, en effet, les partis favorables à l'accord d'association avec l'Union européenne signé le 27 juin et ratifié par le parlement de Chisinau le 2 juillet dernier, ont obtenu 55 sièges sur 101, soit la majorité absolue. Mais on aurait tort de s'arrêter à ce simple résultat et à considérer désormais la Moldavie comme le prochain horizon de l'élargissement européen et comme ancré dans le camp de l'UE. Car, sur place, la situation est beaucoup plus complexe. Pour plusieurs raisons qui empêcheraient en théorie les démocrates de crier victoire.

 Un parti pro-russe interdit trois jours avant le scrutin

 Première raison : l'interdiction du parti pro-russe Patria de l'oligarque russo-moldave Renato Usatii. La cour suprême moldave a jugé, trois jours avant le vote, que ce parti avait reçu des financements illégaux de l'étranger, comprenez de la Russie. Certes, Renato Usatii est proche de ce pays, d'ailleurs il a fui entretemps à Moscou. Mais il est aussi un ancien proche du leader libéral Vlad Filat, dont il avait dénoncé la corruption, qui, ancien premier ministre est lui-même l'âme du gouvernement sortant. Dans un pays où l'on peinerait à trouver un parti parfaitement en règle avec la loi sur le financement politique, cette interdiction a fait émettre des doutes, y compris dans les rangs pro-européens. Cité par la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le politologue pro-européen Cornel Ciurea parle de « justice sélective. » Sans Patria, le camp pro-européen avait bien plus de chances de l'emporter en espérant notamment rejeter les électeurs de ce nouveau parti dans l'abstention.

 Un parti communiste « cloné »

Deuxième raison : la création fort opportune d'un « parti communiste des réformes de Moldavie », arborant comme le parti communiste moldave une faucille et un marteau et une couleur rouge. Nul ne sait vraiment qui est derrière ce parti créé juste avant le scrutin. Mais sur les bulletins de vote, les deux partis affichaient des symboles fort ressemblants. Du coup, même le maire libéral de Chisinau, Dorin Chirtoaca, a reconnu que « quelqu'un de la coalition pro-européenne a fondé ce parti communiste des réformes sans lequel nous serions aujourd'hui dans l'opposition. » Ce « parti clone » comme l'a appelé l'ancien premier ministre communiste Vladimir Voronine a en effet obtenu 5 % des voix, pas assez pour entrer au parlement (il faut au moins 6 % des voix), mais assez pour faire perdre assez de sièges au « vrai » parti communiste et assurer la majorité absolue aux « pro-européens. » *

 Une corruption généralisée

Troisième raison : le paysage politique moldave est marqué par une corruption quasi généralisée. Le pays est classé 102ème sur 177 dans la liste de perception de la corruption de Transparency International de 2013. C'est mieux que l'Ukraine et la Russie (respectivement 144ème et 127ème), mais c'est pire que le plus corrompu des pays de l'UE (la Bulgarie, 77ème). Et cette corruption touche, on l'a vu, le camp des « pro-occidentaux », en particulier l'entourage de l'oligarque Vlad Filat. Du reste, le maire de Chisinau, qui, lui, dispose d'une bonne réputation, a appelé le camp libéral à changer pour « saisir cette dernière chance. » Bref, penser que la vie politique moldave se composent de « gentils » et de « méchants » comme on l'a trop fait pour l'Ukraine serait une erreur et reviendrait à prendre partie dans une querelle entre oligarques corrompus... Le grand vainqueur de ce scrutin, rappelons-le, c'est l'abstention avec 44,5 % du corps électoral demeuré chez lui.

 Un pays divisé

Quatrième raison : le pays est très divisé. Les « pro-occidentaux » ont gagné en sièges. En voix, le rapport est environ de 44 % pour les pro-UE contre 40 % pour les pro-Moscou, avec ce point d'interrogation lié au fameux parti communiste cloné qui a donc obtenu 5 %. Sur le plan géographique, la division entre le nord et le sud du pays, plutôt pro-russes, et le centre du pays, est frappant. A Chisinau, la capitale, les trois partis pro-européens obtiennent 50 % des suffrages, tandis qu'à Taraclia, dans le sud, les partis « pro-russes » obtiennent 55 % des voix. La responsabilité de l'Union européenne sera de sauvegarder une unité nationale pas toujours évidente dans un pays où 30 % de la population n'est pas moldave roumanophone. D'autant que, comme on ne l'aura pas oublié, une partie du pays, la Transnistrie, de l'autre côté du Dniestr, a fait déjà sécession depuis le début des années 1990, sous la protection de la quatorzième armée russe. Il faudra donc traiter cette victoire pour ce qu'elle est : la victoire électorale d'un camp. L'UE devra toujours cherché le plus large consensus, plutôt que d'imposer une position économique et géopolitique tranchée. La marge de manœuvre existe : le parti communiste (le vrai) était un partisan assez tiède de l'adhésion du pays à l'union eurasienne et évoquait une renégociation de l'accord d'association.

 L'UE saura-t-elle être prudente ?

Plus que jamais, l'attitude de l'UE vis-à-vis de la Moldavie doit être mesurée en prudente. Elle doit absolument prendre en compte la réalité du terrain : un pays divisé et des élections contestables. La crise ukrainienne devrait servir d'exemple de ce qu'il ne faut pas faire : radicaliser les camps en demandant à un pays de « choisir » entre l'UE et Moscou. Une récente enquête publiée dans l'hebdomadaire Der Spiegel montrait comment en Ukraine cette radicalisation poussée par l'UE à l'occasion de la négociation de l'accord d'association avait donné la possibilité à Moscou d'avancer ses pions. La leçon aura-t-elle été retenue à Bruxelles ? L'UE saura-t-elle en Moldavie se montrer plus stratège ?