Mario Draghi arrivera-t-il à relancer l'investissement des entreprises ?

Par Fabien Piliu  |   |  1151  mots
La BCE parviendra-t-elle à relancer l'investissement ?
La décision de la Banque centrale européenne (BCE) de faire tourner la planche à billets peut-elle inciter les entreprises à recourir au crédit ? C'est l'autre enjeu de la politique monétaire expansionniste décidée par Mario Draghi, le président de la BCE.

En décidant de faire tourner la planche à billets de la banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi n'espère pas seulement lutter contre la déflation. Avec ce programme d'assouplissement quantitatif, dit quantitative easing, le président de la BCE espère également relancer l'investissement des entreprises européennes. Il n'a progressé que de 0,7% en 2014, après avoir chuté de 2,4% en 2013.

En France, le sujet est éminemment important. Depuis 2008, l'investissement des entreprises est en panne. La formation brute de capital fixe des sociétés non financières a reculé de 1,9%% en 2012 et de 0,6% en 2013 selon l'Insee. En 2014, en dépit de l'entrée en vigueur du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) - les versements ont été effectués à la fin de l'été - l'investissement aurait diminué de 0,2% selon les dernières estimations de l'Institut qui table sur une stagnation au premier semestre 2015. A titre de comparaison, l'investissement a augmenté de 2,9% en 2014 en Allemagne.

Selon une enquête publiée cette semaine par la CGPME, 82% des dirigeants de PME n'ont pas l'intention d'investir au cours des prochains mois, bien que la Banque de France ait constaté un frémissement de la demande de nouveaux crédits d'investissement au quatrième trimestre. Selon la banque centrale, 21 % des PME ont formulé une demande ce trimestre, contre 20 % lors du trimestre précédent...

Dans certains secteurs, la situation est dramatique. C'est particulièrement vrai dans le bâtiment et les travaux publics. Selon les prévisions des économistes de LCL, l'activité devrait reculer de 2,9% dans le bâtiment et de 3% dans les travaux publics en 2015. L'année dernière, ce sont des replis de l'activité de 3,9% et de 4% que ces deux secteurs avaient affiché.

L'investissement peut-il prendre le relais de la consommation et du commerce extérieur ?

Or, une reprise de l'investissement est la condition sine qua non à la reprise de l'économie française, dont la vitalité ne repose actuellement que sur la seule consommation des ménages. Le commerce extérieur ne pourrait-il pas prendre le relais de la consommation et faire oublier l'absence d'investissement ? La France n'est pas l'Allemagne. Quand notre voisin affiche 400.000 entreprises exportatrices, la France n'en recense que 120.000 environ, soit 4% du nombre total d'entreprises enregistrées dans l'Hexagone. Sur ce nombre, seule une moitié exporte d'une année sur l'autre. Sur ces 60.000 entreprises développant des courants d'affaires réguliers à l'international, près de 60% exportent vers les pays de la zone euro qui sont pour la plupart à l'arrêt économiquement. Autrement dit, les gains de compétitivité-prix hors zone euro qu'offre la dépréciation de l'euro face au dollar ne bénéficient en vérité qu'à peu d'entreprises.

Se conjuguant à la montée en puissance du CICE, dont le taux est passé de 4% à 6% de la masse salariale en-dessous de 2,5 SMIC au 1er janvier, à l'entrée en vigueur des allègements de cotisations sociales patronales contenues dans le Pacte de responsabilité, la décision de la BCE est-elle donc de nature à inciter les entreprises à investir ?

Rien n'est certain. Conditionnées par la faiblesse des taux d'intérêts, les conditions actuelles d'accès au crédit sont déjà très favorables. Dans sa dernière note de conjoncture, l'Insee explique :

" En dépit du très bas niveau des taux d'intérêt réels, l'investissement des entreprises n'augmenterait que légèrement d'ici mi-2015, en ligne avec des perspectives de demande modestes et une faible utilisation des capacités de production ".

Celle-ci s'élève actuellement à 81% dans l'industrie selon l'Institut.

Il ne manquerait plus que la consommation des ménages lâche. Est-ce possible ? Face à la montée continue du nombre de demandeurs d'emplois - plus de 6 millions de personnes sont actuellement inscrites à Pôle emploi sur une population active de 26 millions, les intentions des ménages d'épargner sont de plus vives, malgré une progression attendue de 1,3% du pouvoir d'achat entre juin 2014 et juin 2015. C'est ce que révèle la récente enquête de conjoncture de l'Insee réalisée auprès des ménages.

Dans ce contexte, la question de l'obsolescence de l'appareil productif tricolore que souleva le rapport Gallois en novembre 2012 ne devrait pas être résolu avant un certain temps. Selon ce rapport, la robotisation des industries françaises est en retard. La France ne compterait que 34.500 robots industriels, avec une moyenne d'âge élevée, contre 62.000 en Italie et 157.000 en Allemagne. Jugée indispensable par le gouvernement pour lutter contre la concurrence étrangère, la montée en gamme du made in France est donc loin d'être acquise.

Quelques effets directs et indirects

La bombe de la BCE pourrait donc être un coup d'épée dans l'eau ? Si l'effet direct sur l'investissement risque d'être malheureusement limité, les entreprises françaises pourraient bénéficier d'une augmentation de la demande dans les pays ou l'accès au crédit est aujourd'hui limité. C'est notamment le cas en Espagne, en Italie, au Portugal et en Irlande. Par ricochet, l'action de la BCE pourrait donc être efficace, à condition que les entreprises de ses pays aient envie d'investir...

Par ailleurs, en faisant tourner la planche à billets, la BCE devrait mécaniquement peser sur le cours de l'euro face au dollar. Une dépréciation de la monnaie unique devrait donc profiter à l'appareil exportateur français.

Un effet pervers pourrait également se produire. Dans un contexte de financiarisation croissante de l'économie et d'argent facile, les entreprises pourraient être tentées de faire de l'accumulation financière pour diminuer la pression que représentent le paiement des intérêts des emprunts précédents et le versement des dividendes aux actionnaires. C'est ce que qui s'est passé à partir de 2008 aux Etats-Unis. La politique de quantitative easing mise en place par la Fed, la banque centrale américaine, pour sortir l'économie américaine de la crise n'a eu pour seuls résultats une chute de l'investissement, un recul marqué des bénéfices du secteur privé et une augmentation rapide du chômage.

Soutenir l'offre et la demande

Que manque-t-il à la politique de la BCE pour garantir une relance de l'investissement ? Un peu de confiance ? Certainement. Comment redonner le moral aux chefs d'entreprises ? Il faudrait qu'ils aient un peu plus de visibilité sur leurs carnets de commandes. La demande intérieure étant faible, une politique publique de la demande pourrait être la seule planche de salut.

C'est exactement ce que préconisait Mario Draghi dans son discours de Jackson Hole. En substance, le président de la BCE indiquait qu'une politique monétaire expansionniste ne serait efficace que si elle était accompagnée d'un plan de relance conséquent. Le plan Juncker et ses 315 milliards d'euros - que l'on peut comparer aux 13.000 milliards d'euros que représente le PIB de l'Union européenne - correspond-il aux vœux de Mario Draghi ?