Les propositions grecques pour restructurer la dette

Par Romaric Godin  |   |  1290  mots
Yanis Varoufakis, ministre des Finances hellénique, lors de la conférence de presse tenue avec son homologue français, Michel Sapin, dimanche 1er février 2015, à Bercy.
Le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, a présenté des projets pour alléger le poids de la dette de son pays et changer de logique. Les données de la question grecque sont désormais entièrement sur la table.

Insensible aux cris d'orfraie de beaucoup de dirigeants européens et de banquiers centraux, le gouvernement grec continue à développer sa stratégie. En fin de semaine dernière, Yanis Varoufakis, le nouveau ministre grec des Finances, avait supprimé de facto la Troïka et prévenu que la Grèce ne voulait pas de la dernière tranche de 7 milliards d'euros du programme signé en 2012. Il plaçait alors délibérément une épée de Damoclès au-dessus de la BCE et de ses partenaires européens, celle d'un défaut unilatéral accompagné ou non d'une sortie de la zone euro, s'ils refusaient de négocier.

La proposition Varoufakis

Ce lundi, Yanis Varoufakis a présenté l'autre choix qui se présente aux Européens : celui de la restructuration de la dette, moyennant le maintien d'un agenda de réformes et d'excédents primaires du budget national. Dans un entretien au Financial Times, le ministre grec a résumé sa proposition ainsi : "Aidez-nous à réformer notre pays et donnez-nous des marges de manœuvre budgétaires pour le faire." La proposition hellénique consiste donc à trouver une entente dans l'intérêt du pays et de ses créanciers et non plus centrée uniquement, comme au temps de la Troïka, sur les seuls intérêts des créanciers.

Un programme pour tenir jusqu'en juin

Que propose concrètement Yanis Varoufakis ? D'abord, la mise en place d'un "programme de jonction" (Bridging Programme) jusqu'au 1er juin. Ce programme temporaire devrait permettre aux banques grecques de continuer à bénéficier des dérogations accordées par la BCE concernant l'apport de la dette grecque (notée par les agences comme "obligations pourries" ou "junk bonds") comme collatéral à leur refinancement auprès de la banque centrale.

En théorie, la BCE refuse ces dettes mal notées comme collatéraux, mais elle a accordé une dérogation aux pays ayant un "programme d'ajustement" avec la troïka. Le 1er mars, sans accord avec la troïka, les banques grecques ne pourraient donc plus en théorie se refinancer avec la dette de leur pays. Elles seraient alors dans une situation critique et, surtout, l'Etat grec ne pourrait plus compter sur elles pour acheter les bons à court terme nécessaires à son financement. La sortie de la Grèce de la zone euro deviendrait difficilement évitable. Il faut donc régler ce problème rapidement avant d'entrer dans le vif du sujet.

Pas d'annulation

Il sera alors possible de discuter de la dette proprement dite. Yanis Varoufakis sait qu'une annulation de la dette proprement dite est impossible. Dimanche, le ministre français des Finances, Michel Sapin, le lui a rappelé. Mais surtout, en cas d'annulation pure et simple, il faudra inscrire une perte budgétaire qui ne manquera pas de retomber sur les contribuables européens.

Ce serait alors un coup pour la popularité du gouvernement grec en Europe, particulièrement dans les pays du sud de l'Europe. Proportionnellement, l'effet d'un défaut grec serait en effet le plus lourd pour le Portugal. Or, pour imposer ses vues, le nouveau gouvernement grec a besoin d'alliés au sein du Conseil européen. Il ne peut pas apparaître comme celui qui transfère le mistigri de la dette à ses voisins.

Des obligations indexées sur la croissance

L'idée est donc de trouver un moyen de réduire la charge de la dette - celle des intérêts, mais aussi du remboursement du capital - pour la Grèce sans appauvrir comptablement les autres Européens. C'est ce que Yanis Varoufakis appelle "l'ingénierie intelligente de la dette" (Smart Debt Engineering).

De quoi s'agit-il ? La dette actuelle serait échangée contre deux types de nouvelles obligations. Les premières seraient des obligations indexées sur la performance de croissance de la dette. Une étude du FMI de 2002 avait déjà exploré cette perspective. L'idée est de réduire les paiements quand la croissance est faible et de les accélérer quand elle est forte.

Il s'agit donc d'inverser les priorités par rapport au programme de 2012 : on ne fait pas passer la capacité de remboursement de la dette avant la croissance, on adapte cette capacité à la croissance. Du coup, on permettrait à la Grèce de se concentrer sur sa capacité à générer de la croissance, par les réformes, mais surtout par l'investissement. L'objectif d'excédent primaire de 4,5 % du PIB par an, fixé par la troïka dans l'intérêt des créanciers, deviendrait de facto caduc.

Obligations perpétuelles

L'autre idée est de transformer une partie de la dette en dette perpétuelle. Dans ce cas, la Grèce n'aurait plus à rembourser le capital de la dette, mais seulement à verser des intérêts perpétuels calculés sur le capital versé. Par exemple, si 100 milliards d'euros de dette est convertie en obligations perpétuelles à 3 % (le taux est fictif, on ne le connaît pas), la Grèce ne devra pas rembourser ces 100 milliards d'euros, mais devra, chaque année - et à perpétuité - payer 3 milliards d'euros à ses créanciers.

L'intérêt de cette conversion est d'éviter de devoir rembourser les montants importants que représente le remboursement des capitaux des dettes venant à échéance. Par exemple, cette année, l'Etat grec doit verser 7 milliards d'euros à la BCE au titre d'obligations. De tels remboursements pèsent sur le budget national puisque la Grèce ne peut, comme la France, par exemple, rembourser ces sommes en empruntant sur les marchés.

Pour les créanciers, ces obligations perpétuelles ont aussi des avantages : malgré l'effacement du capital, il n'y a pas défaut puisque, au bout d'un certain temps, le montant total des intérêts versés dépasse le capital versé. Dans l'exemple cité, il faudra 34 ans pour que l'obligation perpétuelle devienne "rentable". Évidemment, si le taux est plus bas, la durée de ce rendement est plus longue... Mais c'est bien pour cette raison que les Etats ont cessé durant le 20e siècle d'avoir recours à cette "rente" pour se financer.

Propositions raisonnables

La proposition de Yanis Varoufakis semble devoir satisfaire à la fois les intérêts des créanciers et du débiteur. Elle permettra au pays de disposer d'une charge de la dette faible qui libérera des moyens pour investir dans le pays. Du côté des créanciers, il n'y aura pas de nécessité d'inscrire une perte au budget. Les contribuables n'auront donc pas besoin de mettre la main à la poche. Certes, plusieurs questions restent en suspens, notamment celle du contrôle des engagements grecs.

Equilibre de la terreur ?

Encore une fois, ces propositions semblent aller à l'encontre de l'image que les autorités - notamment monétaires - tentent de donner du gouvernement Syriza, celui de "fous furieux voulant tout casser". En réalité, Athènes semble aujourd'hui faire des propositions raisonnables.

Reste à connaître la réaction des Européens. Si ces derniers veulent conserver la logique de 2012 à tout prix, ils pourraient tenter de jouer, à leur tour, la politique du pire en espérant qu'Alexis Tsipras, au bord du chaos que constituerait l'effondrement du système bancaire grec, finisse par reculer et accepter de revenir dans "le droit chemin". Ce scénario n'est pas à exclure.

Mais personne ne peut jurer que Syriza ne jouera pas le risque d'un Grexit qui viendrait briser dans l'œuf la reprise européenne et créerait un dangereux précédent. Désormais, et pendant 25 jours, c'est une stratégie de la tension commune et un équilibre de la terreur qui va s'installer entre Athènes et le reste de la zone euro...