Eurogroupe : qui a gagné le match Grèce-Allemagne ?

Par Romaric Godin  |   |  2533  mots
La Grèce a-t-elle battu l'Allemagne vendredi soir ?
Chacun revendique la victoire après l'accord sur la Grèce de vendredi. Mais qu'en est-il vraiment ? Tout d'horizon des critères de victoires et de défaites.

Qui a, vendredi soir, réellement gagné lors de la réunion de l'Eurogroupe vendredi 20 février au soir, la Grèce ou l'Allemagne ? Même si tout le monde convient que la question n'a guère de sens, chacun brûle de disposer d'une réponse... Chacun revendique évidemment la victoire. Le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble a indiqué dès vendredi soir que la partie grecque allait avoir quelques difficultés à justifier l'accord à son opinion publique, tandis que, samedi, le premier ministre grec a affirmé avoir « gagné la guerre. » Pourquoi alors ne pas tenter d'y répondre en examinant le communiqué des 19 ministres de Finances au regard des objectifs que Berlin et Athènes s'étaient fixés ? Ce serait une façon d'y voir un peu plus clair.


1. La bataille des mots


C'est sans doute la question la plus futile, mais peut-être pas la moins importante. En effet, comme chacun veut retourner dans sa capitale en vainqueur, la communication joue un rôle essentiel. Aussi, le gouvernement grec a-t-il obtenu que la troïka n'existe plus, remplacée par le pluriel « les institutions. » Ce n'était pas un détail pour un Alexis Tsipras qui, le soir même des élections du 25 janvier avait proclamé que la troïka était morte.
Deuxième succès grec : les Allemands n'ont pas obtenu la « poursuite du programme actuel. » C'est une importante défaite car Wolfgang Schäuble en avait fait une condition sine qua non de son accord jeudi soir. Dans le communiqué de l'Eurogroupe, l'Allemagne a dû se contenter de cette phrase : « l'objet de l'extension du financement est la réalisation avec succès de la revue (réalisée par les institutions) sur les bases de l'accord actuel (« current arrangement »). On n'est pas très loin du « programme actuel », mais l'absence du mot « programme » est clairement un coup dur pour Berlin qui, dans son refus jeudi soir de la proposition grecque avait répété six fois le terme « current programme » (« programme actuel »). Ici, il y a eu retraite de la part de la Wilhemstrasse, le siège du ministère fédérale des Finances.


En revanche, les Grecs n'ont pas obtenu un de leur objectif en début de négociation : la reconnaissance de la « crise humanitaire » et la nécessité d'y faire face. Cette « crise » a été un des piliers du programme de Syriza. Dans la lettre envoyée le 19 février par Yanis Varoufakis, la Grèce précisait que l'extension devait viser à « permettre au gouvernement grec d'introduire des réformes substantielles qui sont nécessaires à la restauration du niveau de vie de millions de citoyens grecs par une croissance économique durable, un bon de l'emploi et la cohésion sociale. » Pas question pour l'Eurogroupe qui a indiqué dans le communiqué que « les autorités grecques ont exprimé un fort engagement pour réaliser des plus large et plus profondes réformes structurelles visant à améliorer la croissance, les perspectives d'emploi, la stabilité et la solidité du secteur financier et favoriser la justice sociale. » Ici, Athènes a accepté clairement la logique de l'ancien programme : seules les réformes favorisent la justice sociale, pas les « plans d'aide humanitaire. » C'est là un échec pour Athènes.

Résultat : 2-1 pour la Grèce


2. Le « programme de 2012 » est-il mort ?


Athènes voulait en finir avec la logique du mémorandum signé en mars 2012 et amendé en novembre 2012 par l'Eurogroupe. Samedi, le quotidien Avgi, proche de Syriza, titrait sur la mort du mémorandum. En réalité, la poursuite des « arrangements actuels » est un boulet qui risque d'être lourd à porter pour le gouvernement hellénique. Du reste, le communiqué de l'Eurogroupe répète quatre fois ce terme de « current arrangement. »


Le plan de réformes qu'Athènes doit ainsi présenter ce dimanche devra en effet bel et bien être constitué « sur la base de l'arrangement actuel » et sera jugé recevable ou non par les « institutions » sur cette même base. On a vu que les objectifs restent ceux de 2012. Du reste, Athènes - mais Alexis Tsipras avait cédé sur ce point depuis longtemps - a accepté de « réitérer sans aucune équivoque l'engagement d'honorer leurs obligations financières envers leurs créanciers en temps et en heure. » C'est reconnaître encore la logique du programme de 2012, suite de celui de 2010, qui se donnait pour objectif ce remboursement des dettes.


De plus, Athènes s'engage à « ne pas revenir sur des mesures et à aucun changement unilatéral de politique ou de réformes structurelles qui impacteraient négativement les objectifs budgétaires, la croissance économique et la stabilité financière. » Vendredi soir, Jeroen Dijsselbloem a bien pris soin de préciser que ces trois éléments étaient « depuis toujours les objectifs » des institutions. Bref, Athènes reste dans le cadre du « programme. »

Grèce 2 - Allemagne 2

3. Les objectifs d'excédents primaires

Athènes voulait obtenir un objectif d'excédent primaire lissé à 1,5 % du PIB ; Berlin voulait que les objectifs restent ceux de 2012 : 3 % du PIB en 2015, 4,5 % en 2016.
Ce programme est cependant « aménagé » puisque les objectifs budgétaires, ceux des excédents primaires, sera adapté « aux conditions économiques actuelles. » Autrement dit, les « institutions » vont prendre en compte le mauvais départ de l'économie grecque et la chute des recettes fiscales. Mais il faudra observer quel sera le nouvel objectif. Il n'est pas exclure que les « institutions » prennent au mot le gouvernement grec et tablent sur des recettes fiscales plus importante par la suite. Une chose est certaine : il ne s'agit pas de donner de nouvelles marges de manœuvre budgétaire à la Grèce, mais d'adapter l'objectif à la réalité de la croissance grecque.


Pour le reste ? Officiellement, les engagements de novembre 2012 tiennent. Le communiqué de l'Eurogroupe signale que la Grèce devra dégager des excédents « pour assurer les excédents primaires appropriés pour garantir la soutenabilité de la dette en ligne avec les déclarations de novembre 2012 de l'Eurogroupe. » Dans un tweet, Yanis Varoufakis a précisé qu'il voyait là une « ambiguïté constructive » permettant d'adapter dans l'avenir les objectifs à la situation. Mais on peut lui opposer deux réserves : la référence explicite à novembre 2012 et donc à l'objectif de 4,5 % du PIB d'excédent primaire à cette date, ce qui est un vrai danger pour la croissance grecque, et l'objectif de « soutenabilité de la dette » qui vise précisément, même en cas d'adaptation à ne pas dégager de marges de manœuvre budgétaires supplémentaires à Athènes.


Au final, les deux camps semblent avoir dû mettre de l'eau dans leur vin, même si la logique persistante du programme fait pencher la balance en faveur de Berlin. Néanmoins, l'abandon des objectifs chiffrés est une défaite pour Wolfgang Schäuble. Match nul.

Grèce 3- Allemagne 3

4. La surveillance de la troïka

Tuer la troïka par les mots est une chose. S'en débarrasser dans les faits en est une autre. Certes, la logique de 2010-2012 semble aujourd'hui inversée. C'est une victoire importante pour Athènes qui décide désormais clairement des réformes qu'elle entend mettre en place. La Grèce peut construire son propre programme. Mais, ne l'oublions pas, dans le cadre des « arrangements actuels. »

Surtout, le gouvernement grec sera encore sous haute surveillance. Les institutions, en s'inspirant des « arrangements actuels » devront sans cesse donner leur feu vert. Il n'y aura pas de financement sans accord avec la nouvelle future ex-troïka. Les institutions devront donner leur feu vert pour valider les réformes présentées ce dimanche, puis, fin avril, sur un plan plus détaillé. Autrement dit : si la Grèce ne fait pas un travail satisfaisant au regard de « l'arrangement actuel », la nouvelle ex-troïka aura, comme l'ancienne, le droit, de geler le financement. Et donc, dans les faits, d'imposer ses vues si Athènes veut disposer des fonds.


En réalité, seule la pratique permettra de décider qui est vainqueur dans ce domaine. Si les « institutions » décident de demander la fin du relèvement du salaire minimum (abaissé par la volonté de « l'arrangement actuel ») et d'en faire un casus belli, que fera Alexis Tsipras ? Une nouvelle crise pourrait alors s'ouvrir. Et Athènes aura alors bien du mal à sortir gagnant puisque la Grèce a reconnu la « base de l'arrangement actuel. » Yanis Varoufakis a prétendu que si les réformes étaient rejetées, alors l'accord du 20 février serait « mort. » Mais c'est difficile à croire puisqu'il a reconnu et accepté l'accord préalable de l'Eurogroupe, puis des institutions. Il y a un vrai risque que la liberté retrouvé par le gouvernement grec ne soit qu'un leurre. C'est cependant trop tôt pour en juger. Pas de score, donc.

Grèce 3- Allemagne 3


5. La fin de l'austérité

Syriza l'a emporté sur deux promesses : les réformes et la fin de l'austérité. Sur le plan des réformes promises, notamment dans le domaine fiscal, on voit mal comment elles pourraient être rejetées par l'Eurogroupe. Ce dernier a d'ailleurs vendredi « salué que les priorités de la politique grecque peuvent contribuer à renforcer une meilleure réalisation de l'arrangement actuel. » Mais le point délicat sera celui de l'austérité.


Le communiqué de l'Eurogroupe a en effet, on l'a vu, interdit de revenir unilatéralement sur les mesures prises, ni de se lancer dans une politique budgétaire de soutien aux plus déshérités. Pas question donc, en théorie, de revenir sur les principales mesures prises entre 2010 et 2014, ce qui pose ouvertement le problème du relèvement du salaire minimal. De même, Athènes devra trouver des moyens propres pour gérer la « crise humanitaire » et financer l'accès des plus démunis, à l'eau, à la santé et à l'électricité. Sans véritable marge de manœuvre. Il faudra donc redresser les recettes par des réformes énergiques, sur les exemptions fiscales et l'évasion fiscale, pour pouvoir agir. Ceci prendra du temps et, en attendant, il faudra sans doute se contenter de mesures symboliques.


En théorie, cependant, la Grèce devrait échapper aux mesures exigées par l'ex-troïka à l'ancien gouvernement : de nouvelles coupes et de nouvelles hausses d'impôts. Ces mesures visaient à atteindre un objectif d'excédent primaire qui n'est plus d'actualité. C'est une victoire pour Athènes. A défaut d'obtenir la fin de l'austérité, le gouvernement a obtenu qu'on ne l'aggravât pas. Ceci vaut bien une victoire.

Grèce 4 - Allemagne 3

6. Le financement par le HFSF

Athènes cherchait à obtenir pour son budget l'argent détenu par le fonds de stabilité financière hellénique (HFSF) destiné à recapitaliser les banques et disposant de 10,9 milliards d'euros. Berlin voulait que cet argent revienne aux Européens, puisque les banques grecques ont rempli les conditions des stress tests de la BCE. L'Eurogroupe n'a pas dissout le HFSF, mais il en a strictement limité l'usage à la recapitalisation ou à la résolution bancaire sous la surveillance de la BCE. Athènes a perdu là un point important qui lui aurait donné une marge de manœuvre budgétaire. L'Allemagne égalise.

Grèce 4 - Allemagne 4

7. La bataille de la dignité

Syriza voulait prouver que l'on ne donnait plus d'ordre au peuple grec par e-mail et le pays était respecté sur la scène internationale. Ces trois semaines de discussions difficiles l'ont prouvé et Alexis Tsipras va en jouer sur la scène intérieure. Le nouveau premier ministre a prouvé qu'il pouvait faire céder l'Allemagne. Au feu du « qui a peur du Grexit ? », il a certes cédé en premier, mais a réussi à obtenir des concessions allemandes, preuve que Berlin n'était pas prêt à aller jusqu'au bout. Ou du moins qu'Angela Merkel n'a pas donné sur ce point carte blanche à Wolfgang Schäuble. D'une certaine façon, pour un pays humilié comme la Grèce par quatre ans de mesures brutales, de mémorandums, de « coup d'Etat » comme en novembre 2011 avec George Papandréou, un match nul avec l'Allemagne, même une courte défaite, est une victoire immense.

Elle prouve qu'elle peut agir en Europe et si la Grèce ne semble pas pouvoir changer l'Europe, elle peut lui arracher des concessions importantes. Mieux même, l'Eurogroupe a reconnu que les 4 prochains mois devront servir à « des discussions sur un possible arrangement nouveau entre la Grèce, les institutions et l'Eurogroupe. » On admet donc le principe initié par la Grèce d'une négociation. C'est une grande victoire pour Syriza et Alexis Tsipras. Pour Wolfgang Schäuble, qui aurait bien fait un exemple avec Syriza pour faire le ménage dans la zone euro, c'est clairement un désaveu.

Grèce 5 - Allemagne 4

8. La bataille du temps

En obtenant un financement de quatre mois, la Grèce est en position de faiblesse. Elle va devoir inévitablement négocier un nouveau financement en juin puisqu'elle doit débourser 6,7 milliards d'euros en juillet et août pour rembourser les bons détenus par la BCE. Il est évident qu'Athènes n'aura pas cet argent. Certes, Athènes compte sur la négociation sur la dette pour régler ce problème. Mais ce sera délicat.

On commence, en effet, là par le plus difficile. Les obligations détenues par la BCE. En principe, la BCE n'a pas le droit d'accepter une restructuration. Certes, elle l'a fait dans le cas irlandais, sous la pression. Mais la Grèce a-t-elle les moyens de faire pression sur la BCE ? Est-elle crédible dans ce jeu alors que la menace de voir la liquidité d'urgence s'épuiser l'a amené à faire de larges concessions ? La BCE sait désormais qu'Alexis Tsipras n'ira pas jusqu'au Grexit. Mario Draghi n'a pas de raison de négocier : il proposera à la Grèce de prendre un nouveau financement auprès des « institutions. » Alexis Tsipras va devoir retravailler sa crédibilité pour peser. Lorsque l'on sait qu'un adversaire aux abois ne renversera pas la table et qu'on dispose de plus de fonds que lui, la partie de poker est un peu déséquilibrée.

Par ailleurs, cette échéance de fin juin va immanquablement peser sur ce quatre mois. Si la Grèce veut des conditions favorables à un nouveau prêt, elle va devoir faire preuve de bonne volonté. Au détriment des promesses électorales de Syriza ? L'équilibre sera difficile à trouver. Enfin, en juin, la Grèce va, comme au cours de ce mois de février, courir après le temps. Ce n'est pas la meilleure façon de négocier. Bref, cet accord de quatre mois est clairement un piège pour la Grèce.


Score final : Grèce 5 - Allemagne 5


Ce match nul ne correspond sans doute pas à la réalité, car il faudrait pondérer les victoires et les défaites des uns et des autres. La Grèce a certainement plus cédé dans les faits que l'Allemagne, mais sa résistance est une immense victoire. Ce score montre pourtant l'essentiel : la partie n'est pas jouée et c'est sans doute pour cela que tout le monde crie victoire.