Selon Standard & Poor's, la France prise dans une trappe à réformes

Par Pierre-François Gouiffès  |   |  1190  mots
Une lecture critique de la deuxième dégradation de la notation souveraine de la dette de la France par l'agence américaine Standard & Poor's. Où l'on mesure le piège dans lequel la France est en train de tomber...

Standard & Poors (S&P) a dégradé deux fois la France en moins de deux ans, la faisant d'abord passer de la note maximale AAA à AA+ (perspective négative) le 13 janvier 2012, puis à AA (perspective stable) le 8 novembre 2013. Autant la dégradation de janvier 2012 incluait la France dans une analyse globale des dettes souveraines de la zone euro (16 pays étaient revus et 9 pays dont la France avaient vu leur note baisser), autant la décision du 8 novembre individualise la situation de la dette souveraine française.

Cette dégradation a permis de rouvrir le procès des agences de notation, l'économiste Michel Aglietta leur déniant tout légitimité scientifique et regrettant que les agences soient devenues « le prophète du marché, celui dont on croit la prédiction parce qu'on croit que les autres croient ce qu'elles énoncent. » Au cas d'espèce, l'opinion incluse dans le rapport S&P a quelque peu la teneur d'un procès de la politique conduite en France : la dégradation de S&P serait-elle le dernier avatar du « France bashing » que n'a pas manqué de remarquer le prix Nobel d'économie Paul Krugman, rare mais fervent sponsor des pratiques françaises ?

« Nous croyons que la flexibilité de la France en matière de recettes et de dépenses fiscales s'est réduite »

Jusqu'ici, les trois agences de notation considéraient qu'un des principaux avantages comparatifs de la dette souveraine française tenait en la capacité de l'Etat à collecter et plus encore à augmenter les impôts. Les plans d'ajustement budgétaire (Juppé dans les années 1990 et Fillon/Ayrault au début des années 2010) se sont effectivement appuyés avant tout sur les recettes et les hausses de prélèvements obligatoires. S&P fait sienne la thématique du « ras le bol fiscal » et fait même mention de la suspension de l'écotaxe (« recent policy reversals ») pour remettre en cause cette vision : « l'espace politique » pour de nouvelles recettes s'est réduit. Ici S&P reprend en cœur la critique quasi unanime de l'ajustement budgétaire par les recettes (presse anglo-saxonne, OCDE, Commission Européenne, droite française surtout quand elle est dans l'opposition). Seuls Paul Krugman dans son récent article de blog contre le « France bashing » et d'une certaine manière le FMI dans ses travaux récents remettent en cause cette ligne opposée à l'augmentation des impôts, de fait élevés en France.

Concernant les dépenses, S&P met en avant « l'incapacité du gouvernement à réduire de façon significative les dépenses publiques » et considère que les mesures prévues en la matière dans le PLF 2014 sont modestes. Les dépenses 2013 vont de fait atteindre le niveau inédit de 57,1% du PIB, le plus haut du monde OCDE hors Danemark, tandis S&P constate que la prévision d'atterrissage budgétaire 2013 est un déficit de 4,1% contre 3% au budget initial du fait d'un environnement économique dégradé.

« les réformes du gouvernement français concernant la fiscalité, mais aussi les marchés des biens et services et du travail n'augmenteront pas les perspectives de croissance françaises à moyen terme »

Ici, S&P n'adresse plus le sujet du stock de dette mais celui du potentiel de croissance de la France et donc de la capacité de son Etat à faire face à ses engagements financiers : un niveau d'endettement donné ne devient critique que lorsque la croissance et les revenus qu'elle engendre ne suffisent plus à le soutenir.

L'agence prend certes acte positivement des initiatives mises en avant par le gouvernement (CICE, réforme du marché du travail…) mais considère qu'au final qu'elle sont loin d'être à la mesure des difficultés que connaît la France en matière de croissance et de chômage et de « libérer son potentiel de croissance ».

En relatif, ces réformes ne permettent pas une « flexibilisation » de l'économie française comparable à celle des pays européens les mieux notés. Pire, et en contradiction totale avec l'objectif principal de l'exécutif français sur la baisse du taux de chômage, S&P prévoit un taux de chômage au-delà des 10% jusqu'en 2016. Il y a de fait un écart important entre les trois réformes par exemple mises en avant par le gouvernement lors de la présentation du PLF 2014 (marché du travail, retraites, familles) et les riches recommandations de multiples commentateurs sur l'énorme travail d'adaptation de l'économie et de la sphère publique françaises, avec par exemple le thème devenu récurrent de la remise en cause du « mille feuilles administratif ».

« le haut de niveau de chômage actuel affaiblit le support pour de nouvelles réformes budgétaires et micro-économiques et réduit les perspectives de croissance à long terme »

Après le jugement, les conséquences de moyen terme sur l'économie française. S&P décrit un pays piégé dans une véritable trappe à réformes : la faiblesse des réformes a pour conséquence le maintien d'un haut chômage qui à son tour mine le soutien et rend donc improbable des réformes pourtant indispensables pour redresser la croissance et l'emploi.

Le faible rendement selon S&P des réformes déjà lancées placerait ainsi la France dans un cercle vicieux où des réformes importantes sont rejetées du fait d'un écosystème politique rétif du fait de mauvais résultats économiques et sociaux, alors même que seules ces réformes permettraient - à terme - d'améliorer la situation. S&P prévoit de ce fait la perpétuation d'un déclassement hexagonal : poursuite des pertes de part de marché françaises face à des pays compétiteurs moins rétifs aux réformes, faiblesse de la croissance du secteur privé, réduction de la capacité de l'Etat à stabiliser la situation des finances publiques.

Après un tel procès, on pourrait considérer que la note AA est une très (trop ?) bonne pour un pays tant perclus de difficultés… qui devraient toutefois demeurer stabilisées pour deux ans dans le cadre de la « perspective stable ». S&P n'oublie pas les forces du pays : richesse et productivité élevées, économie diversifiée et résiliente, dynamisme démographique, absence de fragilité du secteur financier, haut niveau d'épargne des ménages, niveau d'éducation et de qualification de la main d'œuvre, stabilité politique, caractère de monnaie de réserve de l'euro.

Ces forces réelles ne permettent toutefois pas d'envisager le redressement de la note, sauf si la dette publique qui n'a fait qu'augmenter depuis 2007 diminuait de façon significative, ou face à des éléments substantiels d'amélioration de la croissance et de la compétitivité auxquels S&P ne croit que faiblement.

L'avenir nous permettra de valider ou d'infirmer l'opinion de S&P sur une France qui fait quelque peu profession de désespérer les commentateurs anglo-saxons mais pour laquelle, comme pour chacun, le pire même envisageable n'est jamais certain.