L'élection du président de la Commission par le parlement européen : une bonne raison d'aller voter ?

Par Romaric Godin  |   |  1292  mots
Le parlement européen devra "élire" le président de la Commission
Les responsables européens espèrent que la nouvelle procédure de désignation du président de la Commission favorise l'intérêt des citoyens. Pas certain.

Pour convaincre des citoyens européens encore bien réticents à se rendre aux urnes du 22 au 25 mai, les responsables de la communication du parlement européen croient avoir trouvé la martingale : insister sur le caractère « inédit » de ces élections. L'idée est la suivante : faire accroire aux électeurs que, cette fois, leur vote va compter puisque les députés qu'ils choisiront devront « élire » le président de la Commission. C'est tout le sens de la campagne de communication du parlement européen (« utilisez votre pouvoir » et « choisissez qui gouvernera l'Europe» ). Mardi, à Bruxelles, dans une rencontre avec la presse baptisée « cette fois, c'est différent », les fonctionnaires du parlement semblaient persuadés que cet argument allait inverser la tendance de l'abstention.

Une nouvelle procédure

Mais qu'en est-il exactement ? Tout le propos de la communication du parlement repose sur le nouvel article 17 du traité de l'Union européenne, dérivé de l'article 9 du Traité de Lisbonne :

« en tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent. Si ce candidat ne recueille pas la majorité, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose, dans un délai d'un mois, un nouveau candidat, qui est élu par le Parlement européen selon la même procédure. »

Texte modifié, mais dans les faits…

Ce texte modifie dans les faits la procédure décrite dans le Traité de Maastricht de 1992 où le Conseil nommait le président de la Commission que le parlement devait ensuite approuver. Désormais, donc, le Conseil doit « tenir compte des élections » et le parlement doit « élire » à la majorité absolue le candidat du conseil. Dans les faits, la procédure change peu. Même si rien ne les y contraignait formellement, le Conseil devait déjà prendre en compte dans son choix du président le résultat des élections et le rapport de force au parlement. Non seulement pour obtenir l'approbation de son choix (un refus eût été difficilement acceptable), mais aussi pour assurer une majorité à la future Commission. Du reste, en 2004 comme en 2009, les Conservateurs du PPE étaient arrivés en tête au parlement et, logiquement, un des leurs, José Manuel Barroso, a été président de la Commission.

La « grande coalition » restera au pouvoir

Le changement est donc juridique et sémantique plus que réel. Ce n'est certes pas superflu, mais, quoi qu'il arrive, rien ne semble possible sans qu'un consensus entre le PPE conservateur et le PSE social-démocrate ne soit trouvé. La règle de la majorité absolue deviendrait cruciale si une coalition majoritaire à droite ou à gauche se constituait et serait en mesure de l'obtenir. Autrement dit, en cas de bipolarisme. Ce n'est pas le cas actuellement où la seule majorité possible semble devoir être la « grande coalition PSE-PPE. » Implicitement, les deux grands camps s'apprêtent donc à gouverner ensemble, ce qui affaiblit de facto l'intérêt de la campagne. Les électeurs européens ne sont pas dupes et l'effet sur la participation de cette réforme sera donc réduit. Choisir le président de la Commission est intéressant, mais à quoi bon, si l'on sait déjà qu'il gouvernera avec le camp d'en face ?

Une personnalisation qui ne prend pas

Certes, cette nouvelle procédure a amené les partis à choisir des « candidats » à la présidence. Cette « personnalisation » de l'élection européenne est également sensée renforcer l'intérêt du public. Outre qu'il s'agit là d'une conception assez contestable de la démocratie, on doit constater qu'il s'agit là d'un échec patent. Les deux grands candidats, Martin Schulz pour le PSE et Jean-Claude Juncker pour le PPE, ne déchaînent guère l'enthousiasme des foules. Les débats entre les grands candidats n'intéressent pas les masses.

Il est vrai aussi que les deux grands candidats n'incarnent guère le renouveau : Martin Schulz comme Jean-Claude Juncker sont des vieux routiers de la politique européenne et l'on a du mal à y voir le signe d'une vraie « rupture. » Tout deux ont pratiqué des politiques de « consensus » au sein des instances européennes : Jean-Claude Juncker en dirigeant l'Eurogroupe, Martin Schulz en devenant président du parlement avec l'accord du PPE. Là encore, ceci n'incite guère à voir dans le vote un « choix clair. » D'autant que l'on n'est pas sûr que ces « candidats » soient, in fine, soumis au vote du parlement.

Pour relativiser encore cet effet de la personnalisation, on remarquera qu'en Italie, deux listes ont fait le choix de se présenter derrière le nom du candidat paneuropéen : La liste centriste affiche le nom de Guy Verhofstad sur son logo de campagne et la liste d'extrême-gauche s'appelle liste Tsipras, du nom du leader grec de Syriza. Dans les deux cas, les résultats en termes de mobilisation sont nuls puisque les intentions de vote sur ces listes sont inférieures à celle réalisées par les partis lors du scrutin national de 2013.

Une vraie « élection » ?

En fait, le terme « d'élection » du président de la Commission par le parlement semble assez inapproprié. Elire, c'est choisir. Mais dans ce cas précis, le parlement européen n'aura pas le choix des candidats, il aura celui d'accepter ou de refuser le choix du conseil. Ce n'est pas un détail, car cette procédure renvoie le vrai choix du président de la Commission au Conseil, et non au parlement. C'est le conseil qui décidera quel candidat est susceptible d'obtenir la majorité absolue. Il peut certes choisir le candidat désigné du parti arrivé en tête, mais il peut aussi choisir un « candidat de compromis » qui n'a pas été soumis au choix des électeurs. C'est une hypothèse qui prend de plus en plus corps aujourd'hui et l'on dit que François Hollande et Angela Merkel pourraient, dès ce week-end, se pencher sur une candidature. Mais il faut reconnaître qu'elle n'est en réalité possible que parce que l'initiative de cette nomination vient du Conseil. Si le Conseil n'avait pas cette initiative, ce serait alors les parlementaires qui choisiraient « leur » candidat de compromis, légitimé par leur propre élection.

Comme avant le traité de Lisbonne, le Conseil s'arrangera donc pour présenter un candidat qui soit « élu. » Cette procédure n'est pas nécessairement « non démocratique » (rappelons que les chefs d'Etats et de gouvernement du conseil sont issus du suffrage universel de leurs pays). Elle est même davantage démocratique que la nomination du premier ministre français qui ne doit pas être « élu » par l'Assemblée nationale. Pour autant, cette procédure ôte du poids au parlement et donc des raisons à l'électeur de se déplacer pour « choisir » puisque ce choix ne dépendra pas réellement de leur suffrage.

Plus de responsabilité ?

Tout ne sera donc pas comme avant. Il est certain qu'un président de la Commission « élu » pourrait se sentir responsable devant le parlement. Mais rappelons que le mode de censure de la Commission n'a pas changé : il faut toujours deux tiers des exprimés et la majorité des membres pour renverser la Commission de façon collégiale (article 234 du traité de fonctionnement de l'UE). Sa responsabilité réelle ne change donc pas. Bref, cette nouvelle procédure, quoique plus démocratique, semble peu à même de déclencher un vrai intérêt parmi les citoyens européens. Les vieux réflexes continueront à régir la machine institutionnelle européenne.