Le pacte de complexité

Par Jean-Charles Simon  |   |  1459  mots
Avec son pacte de responsabilité, François Hollande propose au patronat un impossible donnant-donnant baisse de charges contre hausse des embauche. Le Medef entretient lui-même la confusion avec son million d'emplois promis à 100 milliards d'euros. Faute de choix clairs, la France reste dans les brumes de la complexité.

Il y a un paradoxe dans la « séquence » actuelle, pour reprendre un mot fétiche des communicants. Avec ses vœux pour 2014 et sa conférence de presse du 14 janvier, le président déchaîne les analyses sur son « virage » qui serait libéral, social-libéral, social-démocrate… Et qui se matérialiserait, selon ses détracteurs de gauche, par des « cadeaux aux entreprises ». Mais on pourrait en fait se demander si ce n'est pas plutôt le patronat qui s'est « hollandisé », en offrant au chef de l'Etat une voie rêvée pour choisir la complexité et l'ambiguïté qu'il paraît si souvent affectionner.

Tout part d'une approche aussi habituelle que saugrenue, celle du donnant-donnant, des contreparties (qui vont désormais avoir leur « observatoire » !), ou, si on est plus virulents, du chantage et du rapport de force. Baisse des charges contre emplois, tel serait le marché. Bien sûr, on comprend la très légitime préoccupation du monde économique, qui pointe sans relâche le niveau exorbitant des cotisations sociales patronales, plus élevées ici qu'ailleurs. Mais avec son discours « un million d'emplois en cinq ans contre 100 milliards de charges et d'impôts en moins », le patronat donne du crédit à un discours très anti-économique. Celui de ses pires critiques, qui considèrent que les entreprises pourraient faire beaucoup plus sur l'emploi si elles n'étaient pas si pingres. Car après tout, si elles sont capables de faire miroiter un million d'emplois contre de l'argent en plus, c'est bien qu'elles pourraient en créer tout de suite si elles faisaient preuve de meilleure volonté… Or, les représentants des entreprises devraient être les premiers à combattre toute vision mécanique laissant penser que l'emploi se décréterait, y compris sous l'effet d'une baisse des charges. Donc se garder de tout engagement, pacte ou même objectif sous condition !

Quand le Medef crée l'emploi à 100.000 euros

Naturellement, une véritable diminution de 100 ou même 50 milliards d'euros des prélèvements qu'elles supportent augmenterait fortement leur compétitivité. Et toutes choses égales par ailleurs, créerait beaucoup d'emplois. Combien au juste ? Un million pour 100 milliards, ce pourrait être en fait… bien peu. Outre que ce lien chiffre l'emploi créé à 100.000 euros, soit beaucoup plus que n'importe lequel des (nombreux) programmes d'emplois aidés qu'affectionnent les pouvoirs publics, ça n'a rien de mirifique en comparaison de périodes passées. Sur une base de population pourtant plus faible, le nombre d'emplois du secteur marchand a ainsi augmenté de près d'un million entre 1985 et 1990, de plus d'un million entre 1993 et 1998, puis d'encore un million rien qu'entre 1998 et 2000, un épisode de forte croissance. Ou encore de 600 000 entre fin 2004 et début 2008. Sans pour autant, dans aucune de ces périodes, qu'on connaisse un choc aussi majeur que la baisse des prélèvements demandée… Depuis 1988, un trimestre sur trois aura connu la création nette d'au moins 50 000 emplois marchands correspondant au rythme d'un million d'emplois supplémentaires en cinq ans. En fait, on le voit, la conjoncture est bien sûr décisive. Un million d'emplois en 5 ans, c'est modeste en période de rebond, mais inatteignable en cas de nouvelle crise.

Un marché de dupes

La majorité pourrait donc apparaître comme dupée dans ce marché que le patronat lui a proposé à travers son « pacte de confiance ». Mais en répondant avec ce « pacte de responsabilité », la duperie est peut-être inversée. Car le président et son gouvernement ont beau jeu de prendre le patronat au mot : des baisses de charges, oui, mais avec des « contreparties », à la fois fumeuses et potentiellement destructrices des effets qu'on peut espérer d'un allégement massif des charges.

Première confusion majeure : l'annonce d'une suppression des cotisations familiales et son articulation avec le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE). Ainsi, les deux mesures seraient imbriquées, avec apparemment une baisse de seulement 10 à 15 milliards d'euros en sus de l'impact du CICE, qui devait être de l'ordre de 20 milliards à plein régime (en 2015). De quoi, d'ailleurs, relativiser le « virage » supposé du président. Selon les confidences distillées et leurs interprétations, les entreprises pourraient dans l'enveloppe donnée choisir le panachage CICE/suppression des cotisations famille qui leur convient… Déjà que le CICE était particulièrement peu intuitif, on imagine le casse-tête. Dans d'autres scénarios, il semble que le CICE serait transformé en baisse des charges directes incluant la suppression des cotisations famille. Après tout, un dispositif fiscal dont les caractéristiques seraient stables plus de deux ans de suite ne serait pas vraiment français…

Les pseudo-contreparties

Admettons néanmoins que le législateur aboutisse à un dispositif global clair. Espérons même que le nouveau cadre soit débarrassé des deux principaux défauts de conception du CICE : le décalage dans le temps entre salaires versés et baisse des charges perçue ; la concentration des allégements sur les seuls salaires inférieurs à 2,5 Smic, avec un nouvel effet de seuil s'ajoutant à celui des allégements « Fillon ». Même dans un cadre ainsi optimisé, il restera encore ce volet des contreparties, dont les pseudo-conditions attachées au CICE étaient une première esquisse. Et là, il y a de quoi redouter le pire en matière d'usines à gaz, de tracasseries administratives, voire de redressements des entreprises, à l'instar de ce qui peut exister pour le crédit d'impôt recherche (CIR). Avec des conséquences majeures sur l'impact et l'efficacité du dispositif en comparaison d'un allégement inconditionnel. La simple évocation d'un « observatoire » dédié au suivi de ces « contreparties », associant le Parlement, donnant lieu à des engagements formalisés au niveau national et déclinés par branche (!) donne, au choix, le tournis ou la nausée. Mais ayant lui-même fait la promotion du marchandage, le patronat est désormais mal placé pour critiquer une démarche qui s'en inspire directement…

Un financement brumeux

Pour finir, le financement de ce nouvel allégement est plutôt brumeux. Comme il l'était pour le CICE, d'ailleurs, dont à peu près la moitié doit reposer sur une baisse des dépenses publiques dont on attend toujours la précision. Sur ce volet, l'engagement de diminution des dépenses prend une nouvelle ampleur, avec 50 milliards de moins annoncés pour la période 2015-2017. Comme à l'accoutumée, on imagine bien qu'il s'agit non pas d'une diminution nominale mais de 50 milliards de dépenses en moins par rapport à leur augmentation attendue… Reste que même ainsi corrigée, la promesse n'engage que ceux qui y croient. Et ce n'est pas un « comité stratégique » qui y changera quoi que ce soit, pas plus que les formules passées type RGPP n'ont été à la hauteur du sujet.

Pas de choix clairs et nets

En fait, François Hollande, comme ses prédécesseurs, ne parvient pas à assumer des choix nets et simples. Qui porteraient sur deux volets. Les entreprises, avec les charges sociales patronales, ont un niveau de prélèvements sur leurs coûts de production (avant IS) qui est un problème majeur pour la compétitivité de l'économie française. Il faut le réduire, sans la moindre conditionnalité. Le taux de marge pourra se redresser et l'investissement et l'emploi en bénéficieront dans un mix que surtout aucune administration, observatoire ou branche professionnelle ne doit fixer, sauf à courir à l'échec. Parallèlement à cette baisse des prélèvements, qui doit être massive pour répondre aux enjeux, et que la situation des finances publiques condamne à financer, il n'y a qu'une seule issue, la baisse des dépenses. Et non le bonneteau fiscal du type TVA sociale que proposait l'ancienne majorité, qui portait sur trop peu (moins que le CICE), et dont la logique de substitution est très contrainte tant ménages et entreprises sont déjà lourdement ponctionnés. Une baisse des dépenses, donc, mais sans pouvoir faire l'impasse sur une remise en cause de notre modèle social, alors que les dépenses de protection sociale représentent près de 60% des dépenses publiques et sont les seules dont la dynamique croissance excède celle du PIB sur longue période. Les mesures de bonne gestion sont toujours les bienvenues, mais les discours lénifiants prétendant qu'elles peuvent suffire et qu'on peut préserver le modèle social français tel qu'il est sont tout simplement illusoires.

En matière de prélèvements obligatoires comme de dépenses publiques, s'ils veulent être efficaces, pouvoirs publics et partenaires sociaux gagneraient à faire enfin des choix clairs et inconditionnels. Donc à modérer leurs penchants traditionnels pour la complexité et le donnant-donnant.