Valls et le piège européen

Par Florence Autret  |   |  694  mots
Michel Sapin et Wolfgang Schäuble. / Reuters
Pour le gouvernement français, la période des examens a commencé. Début mai, Michel Sapin a rendu à Bruxelles sa copie, ce plan de réformes tant attendu par les autres élèves de la zone euro.

Dans deux semaines, quand la Commission rendra son avis sur le Pacte de compétitivité, il connaîtra sa note. Michel Sapin, arrivé dans la classe en cours de cycle, a joué les bons élèves et se dit confiant d'obtenir la « moyenne », autrement dit de convaincre Bruxelles que la France a tracé un chemin crédible pour passer sous la barre des 3% de déficit des finances publiques en 2015. Mais ce ne sera pas la fin de l'histoire. La suite est semée d'embûches. Son Premier ministre, Manuel Valls, va devoir solder le dilemme qui mine depuis des années la politique européenne de son pays et... sa crédibilité.

" Doit faire ses preuves "

Symptôme du malaise, le débat sur l'euro fort, que François Hollande voudrait ouvrir, comme Nicolas Sarkozy avait déjà cherché à le faire en 2008. Pour nombre de ses partenaires, à commencer par l'Allemagne et les Pays-Bas, l'euro fort est un tabou, en dépit du fait qu'il commence à sérieusement peser sur les résultats des groupes européens. Ils ont tort. Mais ils soupçonnent le président français de vouloir s'attaquer à l'indépendance de la Banque centrale européenne par une voie détournée. Le ton du débat à Paris, où la critique de Francfort, partie des marges de la classe politique, gagne progressivement son centre, n'est pas de nature à les rassurer.

Le manque de compétitivité de l'économie française rendrait opportun une dépréciation de sa monnaie. Elle ne l'est toutefois ni pour l'Allemagne, qui continue à empiler les excédents, ni même désormais pour des pays comme l'Espagne ou le Portugal, qui ont pratiqué la dévaluation interne. Même l'Italie tique : sa facture énergétique pâtirait d'une dépréciation de l'euro.

Nous voilà donc ramenés à la critique déjà formulée par l'économiste français Jean-Paul Fitoussi à l'époque du traité de Maastricht : une politique monétaire unique pour des économies dont la compétitivité diverge et dont les marchés restent fragmentés - ce qui est dramatiquement le cas pour l'énergie - peut s'avérer un poison. Cela étant, ce poison n'est pas incurable.

Le remède est connu

Pour « réparer » la zone euro, il faudrait non pas mutualiser la dette passée, mais commencer à émettre de la dette en commun (les fameux eurobonds), créer un budget commun, même limité, inventer une politique économique commune, développer de vraies infrastructures européennes et un socle commun de sécurité sociale.

Le problème est que la France, qui devrait tracer ce chemin si elle voulait être à la hauteur de son propre destin européen, doit au préalable solder son passé, autrement dit passer par la case des réformes, en rationalisant pour de bon sa dépense publique, en acceptant que l'État ne soit plus le dispensateur d'une manne miraculeuse mais plus modestement un instrument au service des entreprises et de la société. Ce renoncement à l'État tout puissant est un défi historique.

Les partenaires de la France sentent confusément qu'il y a là quelque chose qui résiste, non seulement dans le corps politique de la Grande Nation, mais dans son corps social. Et ils sont inquiets. Que les Néerlandais ou les Britanniques s'interrogent sur leur destin européen est certes un problème. Que les Français le fassent et cela devient une menace existentielle. Le triomphe annoncé du Front national ne va pas arranger les choses.

« La classe politique française est en train de prendre une ligne de plus en plus proche de celle des Britanniques ou des Néerlandais », expliquait récemment une source européenne haut placée.

Sa procrastination est en train de miner l'organisme européen de l'intérieur.

Si elle ne s'attaque pas à ce virus, au prix d'une rupture avec sa culture souverainiste, la Grande Nation en sortira plus petite. Et Manuel Valls tombera finalement dans le piège européen au bord duquel la crise nous a conduits, entraînant avec lui bien plus que son propre destin politique.