Après le Brexit, les marchés vont devoir composer avec les risques politiques

Par Christine Lejoux  |   |  858  mots
L'annonce du Brexit, vendredi 24 juin, constitue "l'un des plus gros choc de tous les temps" sur les marchés, selon ETX Capital.
La victoire du « Leave » au référendum britannique risque de faire des émules au sein des partis eurosceptiques d’autres pays de l’UE. Les incertitudes sur la cohésion de la zone euro vont peser sur la confiance des investisseurs.

La Bourse de Londres qui cède 2,76% à la clôture, Paris et Francfort respectivement en chute de 8,04% et de 6,82%, Milan et Madrid qui s'écroulent de plus de 12%, la livre sterling tombée à son plus bas niveau depuis 30 ans... On parle de krach pour moins que cela. De fait, l'annonce, vendredi 24 juin, de la décision des Britanniques de quitter l'Union européenne (UE) « constitue l'un des plus gros chocs de tous les temps », affirme Joe Rundle, responsable du courtage chez ETX Capital. Dans l'histoire récente des marchés, il faut en effet remonter à l'automne 2008, dans le sillage de l'annonce de la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, pour trouver trace d'un pareil bain de sang sur les places boursières mondiales. Mais la comparaison avec « Lehman » semble s'arrêter là.

« La baisse d'aujourd'hui correspond à une réaction épidermique, qui est davantage celle de spéculateurs cherchant à profiter de la volatilité en la provoquant, que celle des investisseurs de long terme », relativisent les stratégistes de Lazard Frères Gestion.

De plus, rappelle Paras Anand, chez Fidelity International, « l'échelle des mouvements que nous constatons (aujourd'hui) se produit dans un contexte où la livre sterling et les marchés actions avaient enregistré de fortes hausses, au cours des dernières séances », à la faveur de sondages finalement favorables au « Remain » (rester au sein de l'UE). Enfin, de la Banque du Japon à la BCE, en passant par la Banque d'Angleterre et la Réserve fédérale américaine, les banques centrales se sont dites prêtes à injecter des liquidités dans le secteur bancaire, afin que la volatilité des marchés ne contamine pas l'économie réelle par l'intermédiaire d'un durcissement des conditions d'octroi de crédit bancaire.

L'économie britannique pourrait tomber en récession

Pour autant, le choix des Britanniques de quitter l'UE fait entrer les marchés financiers dans une ère d'incertitudes comme ils en ont rarement connue. Des incertitudes qui sont tout d'abord économiques : Brexit oblige, le Royaume-Uni va devoir renégocier ses accords commerciaux avec l'ensemble de ses partenaires, y compris ceux qui ne sont pas membres de l'Union européenne. Quelles formes prendront ces nouveaux accords ? Celle d'un ralliement à l'Espace économique européen (EEE) ? Ou bien seront-ils semblables à ceux qui organisent les échanges commerciaux de la Suisse, de la Norvège et de la Turquie avec l'UE ? Ou bien encore, seront-ils calqués sur les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ? La réponse à cette question d'importance cruciale ne sera pas connue avant deux ans au moins, la durée prévue par l'article 50 du traité de Lisbonne relatif aux conditions de sortie d'un pays de l'UE.

Et encore faut-il savoir quand ce délai de deux ans débutera, celui-ci ne pouvant démarrer tant que le Royaume-Uni n'a pas officiellement invoqué ce fameux article 50 du traité de Lisbonne. Autant d'incertitudes qui risquent de décourager les entreprises britanniques d'investir, et d'inciter les ménages à privilégier l'épargne de précaution à la consommation, au cours des prochains mois. Les experts d'Amundi Asset Management n'excluent donc pas que l'économie britannique tombe en récession. Une extrémité que l'économie de la zone euro ne devrait pas connaître, ses exportations vers le Royaume-Uni représentant 3% seulement de son PIB (produit intérieur brut). « Les effets directs (du Brexit) sur l'économie de la zone euro seront relativement limités, sans doute autour de 0,3% à 0,4% du PIB », précise Lazard Frères Gestion.

Des élections nationales dans 5 des principales économies européennes, au cours des 18 prochains mois

Plus que les incertitudes économiques, ce sont donc les incertitudes politiques qui vont peser sur les marchés européens, dans les prochains mois. « Le risque politique est le plus significatif, la cohésion de la zone euro va être fortement questionnée », explicitent les stratégistes d'Oddo Meriten AM. Une opinion partagée par leurs confrères de SYZ Wealth Management, de Columbia Threadneedle Investments et de Lazard Frères Gestion. De fait, la victoire du « Leave » au référendum britannique risque de faire des émules au sein des partis eurosceptiques d'autres pays de l'UE. Geert Wilders, chef de file de l'extrême droite néerlandaise, n'a-t-il pas réclamé, dès vendredi, la tenue d'un référendum sur l'appartenance des Pays-Bas à l'Union européenne ?

Des sursauts populistes d'autant plus probables que des élections nationales se profilent dans cinq des principales économies européennes, au cours des 18 prochains mois. Les élections législatives qui se dérouleront en Espagne, ce dimanche 26 juin, et qui pourraient voir le nouveau parti anti-austérité Podemos supplanter le Partio socialiste comme première force d'opposition, auront à cet égard valeur de test. « Le thème de « l'Europe à la carte », contraire aux principes de l'Union européenne, risque de peser sur la confiance des investisseurs étrangers », prévient Amundi AM. « Les marchés vont dorénavant vivre au rythme des élections et des déclarations des responsables politiques », renchérit Oddo Meriten AM. Avec, à la clé, une poursuite de la volatilité, les investisseurs ne détestant rien tant que l'incertitude.