Nucléaire : construire jusqu'à 1,5 EPR par an, l'objectif très ambitieux d'EDF

Par latribune.fr  |   |  1199  mots
Luc Rémont, PDG d'EDF (Crédits : Reuters)
Le PDG d'EDF, Luc Rémont, compte accélérer dès maintenant la capacité de construction nucléaire du groupe pour la porter de « 1 à 1,5 réacteur par an » en Europe dans la prochaine décennie, a-t-il indiqué mardi, lors du salon mondial du nucléaire civil à Paris. Selon l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), une douzaine de pays devraient passer à l'atome au cours de la décennie. Alors qu'environ 400 réacteurs sont recensés à l'échelle de la planète, l'agence estime qu'il faudrait au moins doubler les capacités de production nucléaire mondiale pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

Passer d'un ou deux réacteurs construits par décennie à « 1 à 1,5 par an » en Europe au cours de la prochaine décennie. C'est le rythme de construction de réacteurs nucléaires de type EPR que prévoit EDF. Alors que La Tribune avait dévoilé cette ambition le 10 octobre, Luc Rémont, le PDG du géant de l'électricité l'a confirmée ce mardi, à quelques journalistes en marge du World Nuclear Exhibition (WNE), le salon mondial du nucléaire civil organisé tous les deux ans à Villepinte, près de Paris.

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L'Europe est le marché prioritaire

« Nous tablons sur une cadence accélérée de la capacité de construction des réacteurs de grande taille, pour aller de ce que nous avons aujourd'hui, c'est-à-dire un ou deux par décennie (...) et pour monter progressivement à 1 voire à 1,5 par an », a-t-il dit, en précisant que cette montée en cadence allait « progressivement » se faire « sur le reste de la décennie » avant d'arriver à ce rythme-là lors de la décennie suivante. Et ce, sur son marché prioritaire, l'Europe. Si une telle cadence peut sembler incroyable au regard des déboires rencontrés par l'EPR depuis une vingtaine d'années en France à Flamanville, mais aussi ailleurs dans le monde, comme en Finlande, en Chine ou au Royaume-Uni, elle n'est pas non plus impossible si l'on songe à la capacité de production d'EDF dans le cadre du fameux plan Messmer de déploiement du nucléaire dans l'Hexagone il y a cinquante ans.

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« On a déjà fait quatre par an », dans les années 1970-80, « mais c'était il y a longtemps, donc s'ils y sont arrivés, c'est que c'est possible », a souligné Luc Rémont. Outre les gains de productivité, cette cadence doit aussi, et surtout, permettre de maintenir à niveau la filière tricolore sur le long terme, après qu'elle ait failli péricliter, faute de chantiers. Objectif : de gagner en productivité grâce à la répétabilité afin de faire baisser ses coûts.

« Dans toute industrie, vous cherchez l'effet de massification pour améliorer la compétitivité, c'est quelque chose qui n'a pas été possible dans les 20 dernières années parce qu'il y avait trop peu de projets », a expliqué le PDG d'EDF.

« A partir du moment où on sait qu'on va en faire un certain nombre, on organise la supply chain (chaîne des fournisseurs, Ndlr), on organise les travaux pour réaliser cette série, on y arrivera et on montera en cadence, comme dans toute industrie », a-t-il fait valoir.

Des avancées en Inde

Alors que la relance française du nucléaire table sur 6 nouveaux EPR2 fermes et huit autres en option, un tel niveau de production passe de facto par l'export. S'il mène des discussions avec plusieurs pays européens à différents stades de maturité (Pologne, en Finlande, Suède, aux Pays-Bas, en Slovaquie, en Slovénie, Italie), EDF annoncé ce mardi la conclusion de plusieurs accords de coopération au Canada, en Inde et en République tchèque à qui le groupe a remis récemment une offre pour construire jusqu'à 4 EPR.

Le groupe français espère notamment une décision sur le projet de construction en Inde de six réacteurs EPR pour la centrale de Jaitapur, dans l'Etat du Maharashtra, un projet dans les tuyaux depuis 15 ans et qui s'est accéléré depuis le printemps 2021. Le PDG, qui s'est rendu la semaine dernière en Inde, a précisé que son groupe continuait d'« affiner les questions techniques » avec son partenaire. Le sujet du financement « viendra plus tard », a-t-il indiqué.

Au WNE, EDF a ainsi renforcé ses partenariats avec des fournisseurs indiens, « en soutien de la démarche "Make In India" promue par le gouvernement indien » Le groupe français a reçu une délégation composée notamment du conglomérat indien Larsen & Toubro (L&T), avec lequel il détient un accord depuis 2017. Il a signé un protocole de coopération avec l'entreprise BHEL. Concernant le Canada, EDF a signé avec Ontario Power Group (OPG) une lettre d'intention pour lancer une évaluation sur le développement potentiel de la technologie EPR dans la province de l'Ontario et d'autres régions.

« C'est la reconnaissance de la technologie EPR en tant que technologie fiable et agile », estime EDF.

En République tchèque, où le groupe français a officiellement candidaté en octobre pour construire un EPR1200, EDF a signé des accords de coopération avec des entreprises locales, au cas où il édifierait la tranche 5 de la centrale de Dukovany (est).

Ces accords, notamment avec l'Alliance tchèque de l'industrie nucléaire, soulignent « l'ambition d'EDF de garantir la localisation d'activités auprès de la "supply chain" tchèque », fait valoir l'énergéticien français. « La signature de ces accords de coopération industrielle démontre clairement notre ambition de développer des partenariats solides avec une chaîne d'approvisionnement locale pour le développement de projets de technologies » de gros réacteurs EPR et de petits réacteurs (SMR), selon le PDG d'EDF, Luc Rémont, cité dans le communiqué.

Les ambitions d'EDF interviennent alors que les projets de relance du nucléaire fleurissent aux quatre coins du globe. L'atome n'est plus « tabou » en particulier dans l'arène des négociations climatiques, a déclaré mardi Rafael Grossi, le patron de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

« Avant, jamais les pays qui recourent à l'énergie nucléaire n'auraient été prêts à le dire. C'était un tabou aux COP, le nucléaire n'était pas considéré comme faisant partie de la solution. Et cette fois, tous les pays qui utilisent le nucléaire vont fièrement s'unir et dire à la COP que pour eux le nucléaire fait partie de la solution » face au réchauffement climatique, a indiqué Rafael Grossi.

Outre les projets de pays européens, ce dernier a cité la Chine championne des nouvelles constructions, « des développements importants en Afrique » avec l'édification d'une centrale de plusieurs tranches en Egypte, le premier démarrage aux Etats-Unis depuis des décennies, et « peut-être des nouvelles à venir en Arabie saoudite ».

Une douzaine de nouveaux pays nucléaires d'ici à 2030

Selon lui, le monde devrait compter une douzaine de nouveaux pays nucléaires dans la décennie à venir, a-t-il aussi dit à la presse. Ghana, Kenya, Kazakhstan, Ouzbekistan, Philippines... dix pays sont en phase de décision et 17 moins avancés. Selon le directeur de l'agence onusienne, le monde a gagné cette année 7 gigawatts (GW) de capacités supplémentaires, et 4 GW l'an dernier, « ce qui veut dire que nous sommes très en deçà du niveau qu'il faudrait »  pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour y parvenir, l'AIEA comme l'Agence internationale de l'énergie (AIE) tablent au moins sur un doublement des capacités de production nucléaire. Aujourd'hui « on a environ 400 réacteurs dans 31 pays, on aurait besoin du double ou peut-être plus », selon Rafael Grossi.