Production nucléaire : comment EDF tente de redresser la barre

La relance de l’atome en France voulue par Emmanuel Macron ne passera pas que par la construction de nouvelles centrales : à court terme, un point majeur de cette stratégie consistera à doper la production des réacteurs existants, après une année 2022 catastrophique. Il n’empêche, les prévisions de production d'EDF pour 2025 restent, pour l’instant, bien inférieures aux niveaux d'avant-crise.
Marine Godelier
L'objectif est désormais d'aller « chercher 100 TWh de plus », a souligné en avril le gouvernement. (Photo de la centrale nucléaire du Tricastin, dans la Drôme.)
L'objectif est désormais d'aller « chercher 100 TWh de plus », a souligné en avril le gouvernement. (Photo de la centrale nucléaire du Tricastin, dans la Drôme.) (Crédits : Reuters)

Depuis des mois, le gouvernement le répète : EDF devra doper sa production d'électricité nucléaire d'ici à 2030, sans quoi les prix resteront durablement élevés en France. Mais comment procéder, alors que les nouveaux réacteurs voulus par Emmanuel Macron ne verront pas le jour avant 2035, au mieux ? D'ici là, il faudra en réalité compter sur le parc existant, en optimisant ses performances, aujourd'hui catastrophiques. Et pour cause, en 2022, celui-ci a difficilement généré 279 térawattheures (TWh), un chiffre en recul de 30% par rapport à la moyenne des vingt dernières années. Le but est désormais d'aller « chercher 100 TWh de plus », a souligné en avril le gouvernement, qui prévoit même de fixer un objectif d'efficacité dont dépendra une partie de la rémunération des dirigeants du groupe.

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De quoi donner un coup de fouet en interne. Ce mercredi 15 novembre, EDF a ainsi présenté un point d'étape sur son programme pour « améliorer la performance des arrêts de tranche », baptisé START 2025 et lancé en 2019, dont 80% des solutions sont désormais « déployées », selon l'entreprise. Alors qu'une quarantaine d'arrêts de réacteurs sont prévus chaque année (sur un total de 56), pour recharger le combustible, réaliser des contrôles ou encore changer certaines pièces, l'idée est d'améliorer la gestion de ces interruptions, parfois trop longues et mal organisées. Et ce, en modifiant le management et l'organisation des équipes dédiées, ou encore en prévoyant davantage d'entraînements et de standardisation pour certains gestes de maintenance.

70% de réussite sur le premier jalon, contre 10% en 2021

Or, les premiers résultats s'avèrent encourageants. Sur le premier jalon clé, c'est-à-dire la phase initiale de l'arrêt (lorsque le réacteur est déconnecté du réseau, la cuve ouverte et le premier élément de combustible retiré), le taux de réussite dans les délais impartis s'élève désormais à 70%, a précisé EDF mercredi. Contre un pourcentage inférieur à 10% en 2021...et 42 échecs sur 43 en 2019 !

« Quand vous démarrez par une victoire, [...] cela change complètement l'état d'esprit ! », souligne Etienne Dutheil, directeur de la Division production nucléaire.

Le processus a en effet été raccourci, puisqu'il a gagné 48 heures par rapport à l'an dernier sur les installations de 1.300 mégawatts (MW) (comme Cattenom ou Golfech), et une douzaine d'heures sur celles de 900 MW (comme Chinon).

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Par ailleurs, dans les centrales récemment arrêtées, EDF affiche désormais des records historiques en termes de durée des fermetures. « La visite partielle de Paluel, en Normandie [qui a consisté à recharger le combustible et réaliser des opérations de maintenance, ndlr] s'est étendue sur 100 jours [...] Nous sommes remontés jusqu'en 2011, et nous n'avons pas trouvé une seule visite partielle de moins de 100 jours pour cette centrale », s'est félicité mercredi Etienne Dutheil. Même chose à Saint-Laurent, en Centre-Val-de-Loire, où un rechargement de combustible a duré 40 jours, soit « le plus court depuis huit ans ». Au global, d'ailleurs, les prolongations d'arrêt se sont réduites d'un tiers par rapport à 2022, selon EDF.

En-dehors de ces périodes d'arrêt, le nombre de jours non prévus d'indisponibilité a également chuté en 2022 et 2023, avec un pourcentage d'interruption « fortuite » inférieur à 3,5%. Soit davantage qu'avant 2017, mais moins que ce qui a été observé ces dernières années (jusqu'à 5% en 2020). Au global, la disponibilité s'avère d'ailleurs meilleure qu'en 2022, avec 5 à 10 gigawatts (GW) supplémentaires. Si bien qu'à l'heure actuelle, « 35 réacteurs fonctionnent, fournissant 37 GW », contre « 30 réacteurs fournissant 31 GW » à la même période l'an dernier, a souligné EDF.

« Nous importions l'équivalent de 3 à 6 GW, aujourd'hui nous exportons de 3 à 13 GW ; la situation est complètement différente », a insisté Etienne Dutheil.

Un contexte favorable qui permet à EDF de confirmer ses prévisions de production : 300 à 330 TWh en 2023, 315 à 345 TWh en 2024, et 335 à 365 TWh en 2025.

Manque d'ambition ?

Mais ces objectifs restent insuffisants, estiment certains observateurs. « On était à 380-400 TWh il y a une poignée d'années. En 2019, EDF produisait encore 380 TWh d'électricité nucléaire ! Aujourd'hui, on nous dit que l'impact du Covid est quasiment terminé, et que le problème de corrosion sous contrainte sera bientôt derrière nous », pointe un ingénieur en sûreté nucléaire ayant requis l'anonymat.

En effet, la crise sanitaire du Covid-19 avait amené l'énergéticien à revoir en profondeur le planning de ses interruptions de tranches. « On a dû encaisser une très forte diminution de la consommation, ce qui a retardé les arrêts, puisqu'il faut consommer du combustible [avant de le recharger] », a rappelé mercredi Etienne Dutheuil. S'est ajouté un autre imprévu, qui explique l'indisponibilité historique du parc en 2022 : la corrosion sous contrainte identifiée dans plusieurs réacteurs dès fin 2021, ayant poussé EDF à contrôler l'ensemble de ses installations, et à remplacer plusieurs pièces importantes. Or, « à partir de 2025, il est certain qu'il n'y aura plus d'effets liés à cette corrosion sous contrainte », affirme-t-on chez EDF. « Dans ces conditions, pourquoi ne parle-t-on pas d'un retour à 400 TWh dès 2025 ? », s'interroge l'ingénieur susnommé.

Des visites décennales 6 fois plus exigeantes

Cependant, EDF doit faire face à un autre phénomène, qui explique probablement, en partie du moins, des fourchettes aussi basses : depuis quelques années, l'exploitant doit réaliser de plus en plus de contrôles et de maintenances. Et donc, mécaniquement, prévoir des arrêts plus longs. Car pour prolonger au maximum les réacteurs, comme voulu par Emmanuel Macron, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) lui a demandé de faire en sorte que ceux-ci atteignent niveau de sûreté aussi proche que possible de ceux de troisième génération (les fameux EPR).

« Cela demande d'ajouter et de modifier beaucoup de matériel. Pour la quatrième visite décennale [l'opération de grande ampleur réalisée tous les dix ans pour vérifier et mettre à niveau les centrales, ndlr], il y a eu 6 fois le volume d'activités que lors des précédents réexamens périodiques. On a complètement changé d'échelle », note-t-on chez EDF.

« Avec l'accident de Fukushima et la question de la prolongation des réacteurs, on observe une envolée des ambitions de sûreté. Mais aussi des prétentions d'EDF, qui a tendance à être maximaliste. Dans ce contexte, la cinquième visite décennale sera-t-elle encore six fois plus exigeante que la quatrième, malgré l'impact sur la production ? », lance un connaisseur du secteur. D'autant que certaines opérations de maintenance comportent des moments critiques, lors desquels un important retard peut s'accumuler. A l'instar du remplacement du générateur de vapeur, qui s'était effondré sur l'un des réacteurs de Paluel, en 2016, entraînant deux ans d'arrêt supplémentaires.

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Marine Godelier

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Commentaires 4
à écrit le 17/11/2023 à 21:44
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Surprenante interrogation que celle de cet « ingénieur en sûreté nucléaire » qui tient à rester anonyme : on le comprend ! Il devrait pourtant être bien placé pour savoir que la médiocre disponibilité des centrales françaises est liée aux volumes de...

à écrit le 16/11/2023 à 10:02
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Comme les EPR ne sont guère qu'un espérance, il faut généraliser le pédalage obligatoire dans les prisons.... et à l'Assemblée Nationale; au moins saurons-nous pourquoi nous payons nos députés. J'en ai ras le 49-3.

à écrit le 16/11/2023 à 0:09
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C'est vite oublier la fermeture de Fessenheim => 12 TWh en 2018. Initialement il était prévu de l'arrêter au démarrage de Flamanville. EDF cherche des boucs émissaires mais ils ont une grande part de responsabilité dans la chute de la production.

à écrit le 15/11/2023 à 21:19
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France a assez des reacteurs pour produire d'electricite gratuit pour tous.

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