Erdogan en passe de renforcer son emprise sur les médias

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(Crédits : Umit Bektas)

par Daren Butler et Ece Toksabay

ISTANBUL/ANKARA (Reuters) - La vente de la branche média du groupe turc Dogan à une société réputée proche de Recep Tayyip Erdogan va renforcer l'emprise du président turc sur les médias avant les élections programmées en 2019.

Considéré pendant longtemps comme un pilier du sécularisme en Turquie, Dogan Media possède notamment le quotidien Hurriyet, l'un des plus lus du pays, la chaîne de télévision CNN Türk et d'autres radios et télévisions.

Son rachat pour un montant d'environ 720 millions d'euros par le groupe Demiroren, qui possède déjà deux journaux pro-gouvernementaux, va offrir à Recep Tayyip Erdogan un contrôle quasi absolu sur les médias de son pays.

Les deux groupes ont confirmé l'opération à Reuters.

Hurriyet est distribué à environ 300.000 exemplaires, selon les chiffres disponibles, et est l'un des rares journaux turcs à ne pas être vu comme pro-Erdogan dans un pays où la plupart des journaux d'opposition sont ancrés à gauche et n'ont qu'un faible lectorat.

"Cette vente marque la fin du pluralisme et du journalisme indépendant au sein des médias grand public en Turquie", souligne Erol Onderoglu, représentant de Reporters sans frontières (RSF) en Turquie.

"Le gouvernement exerce désormais un contrôle absolu sur les médias en vue des élections générales de 2019. Dans le contexte d'une répression sans précédent de la société civile et de l'opposition politique, seule une poignée de journaux à la diffusion confidentielle fourniront encore une alternative à la propagande gouvernementale", ajoute-t-il.

ÉPÉE DE DAMOCLÈS JUDICIAIRE

Recep Tayyip Erdogan a reproché par le passé à Aydin Dogan, le fondateur du groupe, aujourd'hui octogénaire, de se montrer hostile à l'idéologie islamiste de sa formation politique, le Parti de la justice et du développement (AKP).

Le groupe Dogan s'est vu infliger une amende d'environ deux milliards d'euros à la suite d'un redressement fiscal en 2009, sanction destinée selon les opposants à faire taire toute voix discordante en Turquie.

Pour renflouer les comptes du groupe, Dogan Media avait déjà cédé deux de ses titres, Milliyet et Vatan, au groupe Demiroren, qui en a fait des journaux pro-gouvernementaux.

L'an dernier, Aydin Dogan a de nouveau été convoqué devant la justice pour des accusations de trafic d'essence, un jour seulement après des critiques d'Erdogan contre un article de Hurriyet évoquant des désaccords entre le gouvernement turc et l'armée.

Dogan a contesté ces accusations mais l'affaire n'est pas close et plane au-dessus du dirigeant octogénaire "comme une épée de Damoclès", souligne-t-on de source proche du dossier et de l'AKP au pouvoir.

On ne sait pas dans quelle mesure cette menace judiciaire a influé sur la vente du groupe de presse.

Le pouvoir n'entend pas s'arrêter là dans sa reprise en main du pays : jeudi, le Parlement turc a voté une loi octroyant à l'organe de contrôle des médias audiovisuels le droit de réguler les contenus sur internet.

L'opposition et la société civile avaient jusqu'alors mis à profit l'absence de contrôle sur la production en ligne pour contourner la censure et les réglementations très strictes imposés aux médias en ouvrant des plateformes de streaming, comme PuhuTV et BluTV, dont certaines émissions ou séries n'auraient jamais été diffusées à la télévision.

(Tangi Salaün pour le service français, édité par Gilles Trequesser)