Analyse : Pour Poutine, la Coupe du monde de football est une question d'image

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Analyse: pour poutine, la coupe du monde de football est une question d'image[reuters.com]
(Crédits : Sergei Karpukhin)

par Andrew Osborn

MOSCOU (Reuters) - Alors que Vladimir Poutine peine à obtenir un sommet avec son homologue américain Donald Trump, a peu d'espoirs de mettre fin aux sanctions occidentales contre Moscou et est vu comme un paria par une grande partie de l'Occident, la Coupe du monde de football qui s'ouvre jeudi en Russie est un coup de projecteur bienvenu.

Aux yeux de Poutine, l'organisation de l'événement sportif envoie en effet au reste du monde et à son propre peuple un message qui sied à son récit préféré: malgré les efforts occidentaux pour la freiner, la Russie triomphe et regagne en influence sur l'échiquier mondial.

"Pour Poutine, organiser le Mondial témoigne de l'échec des sanctions et des efforts de l'Occident pour l'isoler (...) Tout le monde vient quand même à la Coupe du monde", estime Sergueï Medvedev, enseignant à la Haute école d'économie de Moscou, en référence aux premières sanctions occidentales prises contre la Russie après l'annexion de la Crimée en 2014.

La Coupe du monde, organisée du 14 juin au 15 juillet, est une nouvelle preuve que les tentatives de l'Occident pour isoler la Russie se brisent, disait récemment un haut représentant russe sous couvert d'anonymat. "Si l'isolement c'est ça, alors nous le savourons", ironisait-il.

"PRESTIGE"

Dans les colonnes du quotidien Sobesednik, l'écrivain satirique Dimitri Bykov soulignait récemment que Poutine "a besoin de prestige international et tout ce qu'il fait va dans ce sens".

"Il veut que le monde parle de nous comme on parlait de l'équipe soviétique de hockey sur glace dans les années 1970", ajoutait-il. "Nous sommes la 'grande machine rouge'. Nous sommes craints. Pas aimés, mais admirés. (Poutine) ne veut pas que nous soyons aimés. L'amour s'efface, pas la peur."

Ces derniers mois, des représentants du gouvernement se sont plaints d'un présumé complot de l'Occident visant à discréditer le Mondial russe, accusations ravivées par les tensions avec Londres après la tentative d'assassinat de l'ex-agent double russe Sergueï Skripal début mars dans le sud de l'Angleterre.

En estimant alors que Poutine utiliserait la Coupe du monde pour améliorer l'image de la Russie de même qu'Adolf Hitler s'était servi des Jeux olympiques de 1936 dans l'Allemagne nazie, le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, a apporté la preuve, vue de Russie, que l'Occident voulait gâcher la fête russe.

"Plus la campagne anti-Russie en amont de la Coupe du monde sera forte, plus les gens vont être surpris quand ils verront qu'il n'y a pas de barbelés dans les stades", prévenait le mois dernier la porte-parole du ministère des Affaires étrangères.

"OBSÉDÉ PAR LA GRANDEUR"

Annexion de la Crimée, en 2014, et soutien présumé aux séparatistes pro-russes du Donbass ukrainien, intervention dans le conflit syrien au côté de Bachar al Assad ou soupçons d'ingérence dans l'élection présidentielles de 2016 aux Etats-Unis: depuis l'attribution, en 2010, de l'organisation du Mondial 2018, l'image de la Russie s'est dégradée.

Des responsables occidentaux ont demandé, en vain, que l'événement soit retiré à la Russie. La Russie a également été accusée d'avoir mis sur pied un système de dopage pour les Jeux olympiques d'hiver qu'elle organisait à Sotchi en 2014.

A la veille de l'ouverture du tournoi, Vladimir Poutine a remercié mercredi la Fédération internationale de football (FIFA) de n'avoir pas mêlé la politique au sport. "J'ai souhaité souligné l'engagement de la FIFA en faveur du principe laissant le sport à l'égard de la politique", a-t-il dit lors du congrès de la fédération internationale, qui se tenait à Moscou.

Peu de Russes semblent cependant s'attendre à ce que la Coupe du monde contribue à changer l'image de paria du pays. "Le Mondial n'aura pas un impact significatif sur l'image de la Russie, parce qu'elle est trop toxique", estime Andreï Kolesnikov, du groupe de réflexion du Centre Carnegie, à Moscou.

En revanche, la Coupe du monde s'accorde bien avec l'une des priorités du quatrième et peut-être ultime mandat de Poutine, réélu en mars: investir dans les infrastructures. De nouveaux stades ont été construits, des stades, des routes et des villes comme Moscou ont été rénovés, de même que les liaisons ferroviaires.

"Bien sûr, il veut laisser une trace. Il est obsédé par la grandeur", dit Sergueï Medvedev, de la Haute école d'économie de Moscou.

(Jean Terzian pour le service français, édité par Henri-Pierre André)