Les virus géants relancent le débat sur l'origine de la vie

reuters.com  |   |  783  mots

par Jean-François Rosnoblet

MARSEILLE (Reuters) - L'identification par des chercheurs français de trois nouveaux membres de la famille de virus géants Pandoravirus, isolés à Marseille, Nouméa et Melbourne, rouvre le débat sur l'origine de la vie, qui ne serait plus forcément issue d'un seul et même ancêtre commun.

L'hypothèse publiée en juin dans la revue Nature Communications, une référence dans l'univers scientifique, fait des virus géants les artisans de la créativité génétique, un élément central encore mal expliqué de toutes les conceptions de l'origine de la vie et de son évolution.

Les chercheurs pensaient pourtant avoir atteint les limites ultimes du monde viral en termes de complexité génétique des virus géants, les seuls visibles en microscopie optique du fait de leur diamètre supérieur à 0,5 micron, après la découverte du premier représentant de la famille des Megaviridae en 2003, puis de deux spécimens de la famille des Pandoravirus en 2013.

"La découverte des virus géants a ouvert un champ des possibles qu'il était impossible d'envisager auparavant. Les virus géants pourraient être le chaînon manquant entre le monde viral et le monde cellulaire", dit à Reuters la microbiologiste Chantal Abergel.

La scientifique dirige le Laboratoire information génomique et structurale (CNRS/Aix-Marseille université) à Marseille, qui a identifié cinq des six familles de Pandoravirus connues.

La grande taille des virus géants n'est pas, en soi, leur caractéristique la plus intéressante. Leur originalité réside dans la complexité de leur génome.

GÈNES ORPHELINS

Beaucoup de virus, parmi les plus pathogènes pour l'homme comme ceux de la grippe ou du sida, ont une dizaine de gènes qui leur suffisent largement pour proliférer.

Les pandoravirus ont un génome qui contient près de 2.500 gènes codant pour des protéines, leur donnant une autonomie par rapport aux cellules et leur permettant de rivaliser de complexité avec celui de nombreuses bactéries.

L'analyse comparative des génomes des six Pandoravirus connus a conduit les scientifiques français à l'hypothèse que les virus géants "inventaient leurs propres gènes".

"On s'est rendu compte que pour chaque nouveau Pandoravirus séquencé on trouvait une proportion très importante de gènes orphelins, c'est-à-dire un gène qui ne ressemble à rien de connu sur terre", affirme Chantal Abergel.

Ces gènes orphelins sont aussi différents d'un Pandoravirus à un autre, rendant improbable qu'ils aient été hérités d'un ancêtre commun à toute la famille.

"Il est clair que lorsque la vie est apparue sur Terre, elle n'était forcément pas aussi complexe qu'elle l'est maintenant. Et donc, on peut avoir des systèmes très simples à l'origine qui vont pouvoir, par ce processus de création de gènes, se complexifier au cours du temps", souligne la scientifique.

"Cela rend les choses plus faciles pour comprendre la manière dont la vie a pu apparaître sur terre et la manière dont elle a pu évoluer au cours de millions d'années", ajoute-t-elle.

ANCÊTRE COMMUN

La proposition bouscule les concepts existants sur l'origine de la vie, les virus géants apparaissent comme des "casseurs de dogme" et des artisans majeurs de la diversité génétique.

Les ancêtres des virus géants seraient apparus sur terre en même temps que la vie elle-même, il y a 4 milliards d'années.

"La variété des familles de virus géants signe probablement l'apparition d'une proto-vie sur terre avec des stratégies alternatives dont l'interaction a permis les grands bonds évolutifs qui ont amené à la vie d'aujourd'hui", résume Chantal Abergel.

"On n'aurait pas un seul ancêtre commun mais des ancêtres différents qui ont pu permettre l'émergence de la vie".

L'étude de ces nouvelles entités, qui semblent beaucoup plus proches de cellules vivantes que les virus classiques, pourrait aussi conduire à d'importantes avancées en matière biomédicale et de biotechnologie.

Selon les scientifiques, il peut y avoir dans les virus géants des voies métaboliques qui n'existent pas dans le monde cellulaire.

"Les virus sont des pros de la manipulation des cellules. Cela peut, à une échéance que je ne verrai probablement pas, amener à des outils pour manipuler par exemple des cellules déréglées et revenir à une normalité", conclut Chantal Abergel.

L'équipe de virologistes à l'origine de la publication est constituée de chercheurs du laboratoire Information génomique et structurale d'Aix-Marseille, associés à ceux du laboratoire Biologie à grande échelle (CEA/Inserm/UniversitéGrenoble-Alpes) et du CEA-Génoscope.

(Edité par Yves Clarisse)