La Turquie vote, Erdogan face au défi lancé par Muharrem Ince

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La turquie vote, erdogan face au defi lance par muharrem ince[reuters.com]
(Crédits : Umit Bektas)

par Ali Kucukgocmen et Ezgi Erkoyun

ISTANBUL (Reuters) - Les Turcs étaient appelés aux urnes dimanche pour des élections législatives et présidentielle représentant le plus grand défi lancé à Recep Tayyip Erdogan depuis qu'il est arrivé au pouvoir voici une quinzaine d'années.

Les bureaux de vote ont officiellement fermé leurs portes à 17h00 locales (14h00 GMT) et la participation a été bonne, a dit le président turc, ce qui est généralement le cas en Turquie.

Il n'y a pas de sondage à la sortie des urnes et les premiers résultats sont attendus dans la soirée.

Ce scrutin est le premier au plan national depuis le référendum de 2017 par lesquels les Turcs ont, à une courte majorité, approuvé une révision de la Constitution qui renforce les pouvoirs du chef de l'Etat.

"La Turquie effectue une révolution démocratique", a dit Recep Tayyip Erdogan dans son bureau de vote à Istanbul, où ses partisans ont scandé son nom. "Avec le système présidentiel, la Turquie met la barre beaucoup plus haut, elle s'élève au-dessus du niveau des civilisations contemporaines."

Les sondages prédisent qu'Erdogan ne devrait pas l'emporter dès ce premier tour de la présidentielle mais qu'il devrait être élu au second tour, qui se tiendra le 8 juillet. Sa formation islamo-conservatrice, l'AKP (Parti de la justice et du développement) pourrait perdre la majorité absolue au parlement, ce qui augurerait de tensions entre le pouvoir législatif et l'exécutif. Si le parti pro-kurde HDP (Parti démocratique des peuples) dépasse le seuil des 10% nécessaire pour disposer d'élus au parlement, il sera d'autant plus difficile à l'AKP d'être majoritaire.

En provoquant des élections anticipées avec plus d'un an d'avance sur la date prévue, novembre 2019, Recep Tayyip Erdogan a paru dans un premier temps déstabiliser ses adversaires. Mais ces derniers ont réussi à créer un élan lorsque Muharrem Ince a été désigné en mai candidat du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate et laïque).

Recep Tayyip Erdogan, âgé de 64 ans, dénonce le manque d'expérience de son adversaire, son cadet de 10 ans, qu'il qualifie d'"apprenti".

IRRÉGULARITÉS SIGNALÉES DANS LE SUD-EST DE LA TURQUIE

Dans une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux, on l'entend déclarer que cette élection ne sera pas "une promenade de santé". De même, il n'a pas exclu cette semaine que l'AKP soit contrainte de former un gouvernement de coalition.

Tenant samedi son dernier meeting de campagne à Istanbul, devant plusieurs centaines de milliers de personnes, Muharrem Ince a promis d'en finir avec la dérive autoritaire du pouvoir.

"Si Erdogan l'emporte, vos téléphones continueront d'être écoutés(...). La peur continuera de régner. Si Ince gagne, les tribunaux seront indépendants", a lancé le candidat du CHP. Il a ajouté que s'il était élu, il lèverait dans les 48 heures l'état d'urgence imposé après la tentative de putsch de juillet 2016.

Le chef de file du CHP, Kemal Kilicdaroglu, a déclaré dimanche après avoir voté à Ankara que son parti avait reçu des plaintes au sujet d'irrégularités dans le sud-est de la Turquie.

Le porte-parole de cette formation, Bulent Tezcan, a dit au cours d'une conférence de presse avoir relayé auprès de la commission électorale (YSK) des accusations de bourrages d'urnes et de violences contre des observateurs électoraux dans la province de Sanliurfa, dans le sud-est du pays.

Le président de l'YSK, Sadi Guven, a déclaré à l'agence de presse Anatolie que sa commission était en train de prendre des mesures face aux irrégularités signalées à Suruc, dans la province de Sanliurfa.

Le gouvernement n'a pas réagi dans l'immédiat mais Recep Tayyip Erdogan a assuré qu'aucun problème grave ne s'était produit.

Recep Tayyip Erdogan a imputé le putsch manqué de 2016 à l'un de ses anciens alliés, Fethullah Gülen, qui vit en exil aux Etats-Unis, et il s'en est pris de ce fait aux partisans de ce prédicateur musulman.

Selon les Nations unies, 160.000 personnes ont été incarcérées dans le cadre de la répression après l'échec du putsch et un nombre équivalent de personnes, parmi lesquelles des enseignants et universitaires, des magistrats et des militaires, ont été démises de leurs fonctions.

Les détracteurs d'Erdogan, ainsi que l'Union européenne à laquelle la Turquie souhaite toujours adhérer, estiment que le président turc a profité de la répression post-putsch pour réprimer toute opposition.

(Eric Faye et Bertrand Boucey pour le service français)