La Cour européenne de Strasbourg face à la résistance des Etats

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La cour europeenne de strasbourg face a la resistance des etats[reuters.com]
(Crédits : Vincent Kessler)

par Gilbert Reilhac

STRASBOURG (Reuters) - Principal instrument du Conseil de l'Europe pour garantir l'Etat de droit sur le continent, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) est confrontée aux difficultés ou à la mauvaise volonté de certains Etats à exécuter ses jugements.

Alors que le Comité des ministres, chargé de superviser la mise en œuvre des arrêts, se targue d'une baisse de 24%, en 2017, du « stock » d'affaires pendantes, celui des « affaires de référence », qui révèlent un problème systémique au sein d'un Etat membre et dont peuvent dépendre nombre d'affaires similaires, ne diminue que de 7,6 %.

Parmi elles, le stock de celles qui restent inexécutées depuis plus de cinq ans augmente inexorablement. Il représentait 278 cas, soit 20% des affaires de référence en 2011, il en comptait 718, soit 52% du total en 2017.

« Rendre des arrêts, c'est très beau mais s'ils ne sont pas exécutés, c'est toute la crédibilité de la Cour européenne des droits de l'Homme qui est en jeu », souligne Florence Benoît-Rohmer, professeur en droits de l'Homme à l'université de Strasbourg et ancienne présidente du comité scientifique de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne.

« Il y a un certain nombre d'Etats qui rechignent, qui pensent que la Cour va trop loin et se mêle de problèmes nationaux qui ne devraient pas la concerner », ajoute-t-elle.

Les statistiques révèlent que neuf pays - sur 47 Etats membres - sont à l'origine de 80% des affaires sous surveillance soutenue du Comité des ministres, soit celles qui nécessitent une action urgente ou révèlent des difficultés particulières. Ils sont également ceux qui engendrent le plus grand nombre de requêtes, soit, dans l'ordre, Russie, Ukraine, Turquie, Moldavie, Bulgarie, Italie, Roumanie, Azerbaïdjan, Grèce.

Certains arrêts ne sont toujours pas pleinement exécutés dix ou vingt ans après leur prononcé : Arrêt de 2005 demandant à la Russie de mener des enquêtes « effectives » sur les personnes disparues en Tchétchénie au début des années 2000 et d'indemniser leurs familles, arrêt de 1998 condamnant la Turquie pour une législation antiterroriste qui conduit à des violations récurrentes de la liberté d'expression, arrêts de 1997 et 1998 condamnant la longueur des procédures judiciaires en Italie.

Si la « satisfaction équitable », le dédommagement que la CEDH peut accorder au requérant, est presque toujours acquittée, il en va autrement du « plan d'action » que l'Etat condamné doit fournir dans les six mois au Comité des ministres pour garantir la non-réitération des violations constatées.

DÉFIANCE

"L'Etat membre a une obligation de résultat mais il a le choix des moyens », rappelle Christos Giakoumopoulos, directeur général des droits de l'Homme et de l'Etat de droit au Conseil de l'Europe.

« Jusqu'à présent, nous n'avons pas eu d'Etat disant qu'il ne peut pas ou ne veut pas exécuter un arrêt », ajoute-t-il, reconnaissant parfois « un manque de volonté politique » qu'aucun Etat ne reconnaît officiellement.

Le représentant permanent de la Turquie auprès du Conseil de l'Europe, Erdoğan Şerif Işcan, assure ainsi à Reuters que les difficultés à exécuter certains arrêts ne sont dues qu'au contexte intérieur marqué par la lutte contre le terrorisme et le coup d'Etat manqué de 2016.

Une défiance croissante vis-à-vis de la CEDH se fait néanmoins sentir dans plusieurs pays.

En Russie, le Parlement a adopté en 2015 une loi affirmant la suprématie de la Cour constitutionnelle sur les décisions des juridictions internationales. C'était après un arrêt de la CEDH condamnant Moscou à verser 1,8 milliard d'euros aux actionnaires de Ioukos, une compagnie pétrolière démantelée à l'issue d'un procès jugé inéquitable.

En Grande-Bretagne, le Parlement s'est opposé, en 2011, à la levée de l'interdiction du droit de vote pour les détenus, à la suite de l'arrêt « Hirst » qui condamnait son automaticité. Le Premier ministre conservateur de l'époque, David Cameron, s'était dit « malade » à l'idée de changer la loi.

Pourtant, le gouvernement russe affirme toujours chercher une solution pour dédommager les actionnaires de Ioukos sans utiliser le budget de l'Etat - ce qui serait « inconstitutionnel » - et le Comité des ministres s'apprête à clore le suivi de l'arrêt Hirst sur la base d'un compromis a minima avec Londres.

Il a en revanche activé en décembre une procédure inédite contre l'Azerbaïdjan, qui refuse de libérer Ilgar Mammadov, un opposant - et ancien directeur de l'école d'études politiques du Conseil de l'Europe à Bakou - toujours emprisonné en dépit d'un arrêt de 2014 jugeant sa condamnation sans fondement.

L'arrêt a été renvoyé à la CEDH qui devra dire à Bakou comment exécuter l'arrêt. Un moyen de pression qui pourrait constituer un message à d'autres Etats.

(Edité par Sophie Louet)