L'affaire Özil pose la question de l'intégration en Allemagne

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(Crédits : Dylan Martinez)

par Thomas Escritt et Michelle Martin

BERLIN (Reuters) - La décision de Mesut Özil, joueur d'origine turque, de ne plus porter le maillot de l'équipe allemande de football s'est transformée en débat politique lundi en Allemagne au moment où le pays se déchire sur la question de sa politique d'intégration.

Le milieu de terrain du club anglais d'Arsenal, sacré champion du monde avec la Mannschaft en 2014 au Brésil, a expliqué sa décision par le "racisme et l'irrespect" dont il se sentait victime après les critiques qui l'ont visé pour avoir posé en photo aux côtés du président turc Recep Tayyip Erdogan au mois de mai.

Le joueur, âgé de 29 ans, avait également été visé par les remontrances du patron de la Fédération allemande de football (DFB), Reinhard Grindel, qui lui reprochait l'élimination de l'Allemagne au premier tour de la Coupe du monde en Russie le mois dernier.

L'Allemagne n'avait pas connu un aussi mauvais résultat dans la compétition reine du football depuis 1938.

Cem Ozdemir, ancien chef de file des Écologistes et principal figure politique d'origine turque en Allemagne, a estimé lundi que Grindel allait avoir du mal à remplir ses fonctions à l'avenir, compte tenu de la diversité des joueurs évoluant en Allemagne autant qu'au sein de son équipe nationale.

"Cela va être très dur pour Grindel après ça", a commenté Ozdemir sur la radio Deutschlandfunk. "Il ne reflète pas l'étendue du football en Allemagne et cela va être dur pour les Turcs allemands ou les Croates allemands de considérer la DFB comme leur fédération", a-t-il ajouté.

Gokay Sofuoglu, leader de la communauté turque en Allemagne, a appelé à la démission de Grindel, affirmant que "la diversité dans l'équipe nationale était un grand projet désormais menacé d'échec en raison de dirigeants incompétents".

L'ancien président de la DFB, Theo Zwanziger, cité par la presse locale, a jugé que la Fédération allemande n'avait pas fait assez pour résoudre les contentieux apparus avant le Mondial russe.

"Les erreurs de communication montrent qu'il s'est produit une chose qui ne devrait pas arriver aux migrants : ils ne devraient pas se sentir comme des Allemands de seconde catégorie", a-t-il estimé.

"Le départ d'Özil est un revers majeur au-delà du football pour les efforts d'intégration dans notre pays", a-t-il poursuivi.

"PAYS COSMOPOLITE"

La DFB a regretté la décision du joueur mais a rejeté les accusations de racisme, rappelant que pendant des années elle avait aidé à l'intégration de joueurs d'origine étrangère et qu'elle entendait poursuivre dans cette voie.

Un porte-parole de la chancelière Angela Merkel a précisé lundi que la majeure partie des quelque trois millions de Turcs qui vivent en Allemagne sont bien intégrés.

La chef du gouvernement a tenu à rappeler que l'Allemagne était un "pays cosmopolite" où les gens d'origine étrangère étaient les bienvenus et que le sport jouait un grand rôle dans l'intégration.

Cette affaire intervient alors que le pays est en proie à un vif débat sur la question migratoire après l'arrivée de quelque 1,6 million de migrants depuis le milieu de l'année 2014, phénomène qui s'est accompagné par une poussée du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) à chaque élection.

Elle pose également la question de l'intégration de la communauté turque en Allemagne.

Des centaines de milliers de ressortissants turcs ont émigré en Allemagne dans les années 1960 comme "travailleurs invités" et ont pallié le manque de main d'oeuvre pour la reconstruction du pays. Peu a été fait pour assurer leur intégration.

Une enquête menée en juin par le Centre des sciences sociales WZB de Berlin montrait que les personnes d'origine turque, comme tous les autres groupes de migrants, souffraient de discrimination à l'embauche.

Le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas s'est interrogé sur la polémique autour d'Özil. "Je ne crois pas que le cas d'un multimillionnaire vivant et travaillant en Angleterre apporte beaucoup de pertinence sur le succès ou la faillite de l'intégration en Allemagne", a-t-il dit.

Cem Ozdemir a jugé pour sa part que si Özil avait fait preuve d'une certaine naïveté, sa décision d'arrêter sa carrière internationale était "une bonne nouvelle pour Erdogan, pour l'AfD et pour tous ceux qui sont opposés à la diversité".

"Le rêve de l'intégration ne marche pas même pour les millionnaires du football", a dit Alice Weidel, dirigeante de l'AfD, voyant dans cet épisode "un exemple typique de l'échec de l'intégration".

En Turquie, la classe politique a salué le courage du joueur et a dénoncé ceux qui s'en étaient pris à lui.

(Pierre Sérisier pour le service français)