L'Assemblée vote un projet de réforme de la justice contesté

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(Crédits : Kai Pfaffenbach)

PARIS (Reuters) - Les députés ont voté dans la nuit de mardi à mercredi en première lecture les deux projets de loi qui mettent en oeuvre une réforme de la justice contestée par une partie des professionnels de l'institution judiciaires et par l'opposition.

Le projet de loi de programmation amendé par le Sénat mais largement rétabli dans sa version d'origine par la Commission des lois de l'Assemblée nationale, a été adopté en début de soirée. Le projet de loi organique relatif à l'organisation des juridictions a été voté dans la foulée par 75 voix contre 42.

Le projet de loi de programmation prévoit notamment d'accroître le budget de la justice de 1,6 milliard d'euros en cinq ans, de recruter 6.500 personnes et de créer un parquet national antiterroriste, mission remplie jusqu'ici par une section spécialisée du parquet de Paris.

Il prévoit également une large numérisation de la justice, une accélération et une simplification des procédures civiles et pénales et une réorganisation des juridictions et des peines, pour désengorger tribunaux et lieux de détention.

Pendant l'examen du texte, le gouvernement a par ailleurs introduit un amendement l'autorisant à modifier par ordonnance les dispositions relatives à la justice pénale des mineurs - l'ordonnance de 1945, déjà révisée une quarantaine de fois.

Du fait de ces nombreuses révisions, l'ordonnance de 1945 "a perdu de sa cohérence", elle est "peu compréhensible" et elle est "devenue difficilement utilisable par les professionnels du droit", a fait valoir la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, pendant les débats parlementaires.

L'amendement autorise donc le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures visant à simplifier la procédure pénale applicable aux mineurs, à accélérer leur jugement, à renforcer leur prise en charge et à regrouper les dispositions les concernant dans un code de la justice pénale des mineurs.

CRITIQUES

Nicole Belloubet a notamment assuré qu'il ne s'agissait pas de modifier l'âge de la majorité pénale - "Il existe un principe d'atténuation des responsabilités pénales des mineurs et nous pensons qu'il doit continuer à s'appliquer aux mineurs entre 16 et 18 ans", a-t-elle déclaré lors des débats.

Son introduction dans le projet de loi a néanmoins suscité un tollé de la part des principaux syndicats de magistrats et d'avocats, qui ont dénoncé un "coup de force inacceptable", et de l'opposition, émue d'un dessaisissement de l'Assemblée, alors qu'une mission parlementaire sur la justice des mineurs était censée rendre ses conclusions de façon imminente.

Les critiques vont bien au-delà de cet amendement et portent sur l'ensemble de la réforme, dans laquelle le Syndicat de la magistrature (SM) voit par exemple "une logique de rationnement" et des textes conçus "avec précipitation".

Pour l'Union syndicale des magistrats, comme pour le SM, cette réforme "éloigne" la justice des citoyens et ouvre la voie à une refonte de la carte judiciaire qui ne dit pas son nom, même si Nicole Belloubet n'a de cesse de dire qu'il n'y aura aucune fermeture de juridiction.

Un avis partagé par le Syndicat national des avocats de France (SAF), pour lequel la révision par ordonnances de la justice des mineurs n'est qu'une "ultime provocation".

Ces projets de loi imposent "envers et contre tous une justice désincarnée, privatisée et attentatoire aux libertés", à rebours d'une "justice de proximité, seul rempart contre les disparités territoriales" contre lesquelles protestent les "Gilets jaunes", écrivait récemment le SAF dans un communiqué.

En l'absence de vote conforme à l'Assemblée et au Sénat, les textes seront renvoyés en commission mixte paritaire (CMP) ; et, si sénateurs et députés ne parviennent pas à se mettre d'accord, ils donneront lieu à une nouvelle lecture à l'Assemblée, puis au Sénat, où il est hautement improbable là encore de parvenir à un vote conforme. L'Assemblée nationale aura alors le dernier mot lors d'une lecture définitive.

(Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)