La Turquie lance une offensive terrestre dans le nord-est de la Syrie

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L'armee turque lance une offensive dans le nord-est de la syrie[reuters.com]
(Crédits : Stringer)

par Mert Ozkan

ACKAKALE, Turquie (Reuters) - La Turquie a lancé mercredi une offensive militaire dans le nord-est de la Syrie contre les milices kurdes qui ont appuyé la coalition occidentale dans le combat contre le groupe Etat islamique (EI), entraînant la fuite de milliers de personnes et l'arrêt des opérations armées des Forces démocratiques syriennes (FDS).

L'offensive a débuté moins de trois jours après la décision de Donald Trump de redéployer une partie du millier de militaires américains présents à la frontière turco-syrienne.

"Les forces armées turques et l'Armée nationale syrienne ont lancé une offensive terrestre dans l'est de l'Euphrate dans le cadre de l'opération Printemps de la paix", a annoncé dans la soirée le ministère turc de la Défense, après une journée de frappes aériennes.

Selon la presse turque, des troupes ont pénétré en Syrie par quatre points: deux à proximité de la ville syrienne de Tell Abyad et deux autres proches de Ras al Aïn, plus à l'est.

Ankara a déclaré au Conseil de sécurité des Nations unies, dans une lettre que Reuters a pu consulter, que son opération militaire serait "proportionnée, mesurée et responsable". Le Conseil de sécurité se réunira jeudi à huis clos pour débattre de la situation, à la demande de cinq pays européens: la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Belgique et la Pologne.

Des milliers de personnes ont fui Ras al Aïn en direction de la province de Hassaké, contrôlée par les Forces démocratiques syriennes. Les frappes aériennes et d'artillerie visant les positions des Unités de protection du peuple (YPG), milice kurde qui constitue la colonne vertébrale des FDS, ont fait huit morts dont cinq civils et trois combattants, ont rapporté les FDS.

Des journalistes de Reuters présents à Akçakale, du côté turc de la frontière, ont observé les explosions qui ont frappé Tell Abyad. A la nuit tombée, on pouvait voir les fusées éclairantes des roquettes tirées depuis la frontière sur Tell Abyad et des flammes près de la ville.

Les combattants des FDS ont repoussé une attaque au sol des troupes turques à Tell Abyad, a indiqué un porte-parole de la milice arabo-kurde sur Twitter.

"MAUVAISE IDÉE"

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, annonçant le début de l'opération, a déclaré que l'objectif était d'empêcher, selon ses mots, la création d'un "corridor terroriste" à la frontière méridionale de la Turquie.

La Russie, principale alliée du président syrien Bachar al Assad, a préconisé le dialogue entre Damas et les Kurdes de Syrie.

Le régime syrien a exprimé mercredi sa détermination à répliquer à "l'agression" turque par "tous les moyens légitimes" à sa disposition.

Donald Trump a dit mercredi ne pas cautionner l'offensive, que Washington considère comme une "mauvaise idée" et a menacé de "détruire l'économie turque si la Turquie détruisait les Kurdes".

Mais le sénateur américain Lindsey Graham, un républicain proche de Trump, a déclaré que ne pas soutenir les Kurdes serait "la plus grosse erreur de sa présidence".

La représentante républicaine Liz Cheney a dit quant à elle: "Les Etats-Unis abandonnent nos alliés kurdes, qui ont combattu (l'EI) sur le terrain et aidé à protéger le territoire américain. Cette décision aide les adversaires des Etats-Unis - la Russie, l'Iran et la Turquie - et ouvre la voie à une résurgence de l'EI".

La récente décision - empreinte de confusion - de Donald Trump de laisser le champ libre à l'armée turque a été qualifiée par les FDS de "coup de poignard dans le dos".

La France a exigé la fin des opérations turques, jugeant notamment qu'elles constituaient une menace pour la sécurité des Européens.

La Ligue arabe, qui compte 22 pays dont l'Egypte, l'Irak et l'Arabie saoudite, a condamné l'offensive turque et annoncé la tenue d'une réunion d'urgence samedi pour discuter de la situation en Syrie.

RISQUE D'EMBRASEMENT

La Turquie assimile les YPG au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qu'elle considère comme une organisation terroriste, et menace de longue date de les chasser du nord de la Syrie.

Les puissances mondiales craignent que l'offensive turque puisse ouvrir un nouveau chapitre dans le conflit en Syrie et aggraver les troubles dans la région. Ankara dit vouloir créer une "zone de sécurité" dans la région afin de permettre le retour de millions de réfugiés qu'elle a accueillis sur son territoire.

Les FDS contrôlent une grande partie du territoire qui était dominé auparavant par l'EI et retiennent des milliers de djihadistes et des dizaines de milliers de leurs proches qui sont en détention.

La milice arabo-kurde a cessé ses opérations contre l'EI, a-t-on appris auprès d'une source militaire kurde et de deux responsables américains. "C'est impossible de mener quelque opération que ce soit quand une armée majeure vous menace sur la frontière Nord", a dit la source militaire kurde.

(Avec les rédactions d'Ankara, Istanbul et Beyrouth; Sophie Louet, Jean-Philippe Lefief, Jean-Stéphane Brosse et Arthur Connan pour le service français)