Une PME sancerroise, laboratoire des ordonnances Macron sur le travail

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Une pme sancerroise, laboratoire des ordonnances macron sur le travail[reuters.com]
(Crédits : Charles Platiau)

par Caroline Pailliez

MENETOU-RATEL, CHER (Reuters) - "Quand moi je marche à un certain rythme, le monde court". Jean-Pascal Godon, fondateur d'une PME de 45 personnes près de Sancerre, résume en quelques mots ce qui l'a amené à se saisir d'un dispositif controversé des ordonnances d'Emmanuel Macron, au risque d'écorner les droits de ses salariés.

Plasti-Tremp, une entreprise spécialisée dans la plastification de pièces métalliques ou en verre, est l'une des premières en France à avoir signé un accord de performance collective (APC) - une mesure emblématique de la réforme du Code du travail adoptée en septembre 2017 pour améliorer la compétitivité des entreprises.

Ces accords permettent d'aménager la durée du travail, de réviser la rémunération des salariés et de déterminer leurs conditions de mobilité professionnelle ou géographique, sans avoir à justifier de difficultés économiques et sans que le salarié ne puisse s'y opposer.

Si ce dernier refuse les changements, il peut être licencié, sans qu'il n'y ait de contestation juridique possible. Seul garde-fou, mais d'importance, ces accords doivent avoir été signés par les organisations syndicales en place lorsqu'il y en a, ou bien un représentant du personnel, si l'entreprise compte moins de 50 salariés.

Seulement 200 entreprises ont signé de tels accords, qui suscitent d'importantes réserves dans les rangs syndicaux.

Parmis les remèdes administrés chez Plasti-Tremp figurent notamment le passage de 35 à 39 heures travaillées et la baisse du nombre de jours indemnisés en cas d'arrêt maladie.

"Force est de constater qu'aujourd'hui dans le monde, il y a peu de pays qui sont aux 35 heures. Et ma concurrence est quand même dans des pays où le coût de la main d'oeuvre n'est pas du tout pareil que chez nous", fait valoir Jean-Pascal Godin, évoquant la situation en Chine ou encore en Europe de l'Est.

"DUR À ENTENDRE"

Selon ce natif de la région, qui a créé l'entreprise avec son épouse sur la propriété agricole de son père, des absences à répétition de la part de certains salariés généraient un grand stress et déstabilisaient la chaîne de production.

L'allongement de la durée du travail, qui s'est accompagné d'une hausse de salaire, a été plutôt bien accepté par les équipes.

"Ça donne davantage de prévisibilité que les heures supplémentaires que nous devions faire", déclare à Reuters Marie-Solange Devallière, 58 ans, qui perçoit 200 euros par mois en plus, soit de quoi "mettre de côté" pour sa retraite.

Les cinq jours de carence qui sont maintenant imposés en cas d'arrêt maladie ont, en revanche, suscité une vague d'indignation. Quand Brice Thomas, représentant du personnel, a réuni ses collègues dans l'atelier de l'usine pour présenter l'accord collectif, il savait que la discussion serait animée.

"Certains salariés ne comprenaient pas pourquoi ils devaient être pénalisés alors que d'autres abusaient du système", dit-il.

"C'est vrai que ça a été dur à entendre sur le moment", témoigne Martine Canoine, 47 ans, un cutter à la main, travaillant à la finition d'une centaine de soufflets, des enveloppes plastiques recouvrant les leviers de vitesse des engins de chantier. "Mais on a compris pourquoi Jean-Pascal l'avait fait."

PÉRÉNNISER LES PRIMES

Si les avocats d'affaires et milieux patronaux se félicitent de ces nouvelles dispositions qui apportent une flexibilité accrue aux entreprises, la plupart des organisations syndicales y voient plutôt une attaque en règle contre les droits des salariés.

"Dans le monde entier, on nous envie notre système social, et on est en train de le démonter", déclare à Reuters Michel Beaugas, secrétaire confédéral de Force ouvrière, qui craint un "chantage à l'emploi" de la part des entreprises.

Pour Jean-Pascal Godon, il est encore trop tôt pour mesurer l'impact des changements sur la compétitivité de sa PME, mais il a bon espoir que tout le monde puisse y trouver son compte.

"Si, à Noël, la prime d'intéressement, qui était l'an dernier de 2.800 euros, passe à 3.000, 3.500 ou même 4.000 euros, j'ai gagné mon pari", estime-t-il.

(Caroline Pailliez, édité par Jean-Michel Belot)