L'enquête de l'Otan sur l'incident naval franco-turc mise sous le boisseau

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par Robin Emmott

BRUXELLES (Reuters) - L'enquête de l'Otan sur l'incident naval survenu en juin entre la France et la Turquie en Méditerranée orientale a été classée trop sensible pour être débattue en public et ne débouchera pas sur des sanctions, a-t-on appris auprès de diplomates.

Ce dossier opposant deux Etats membres de l'Alliance atlantique est l'un des contentieux qui met à mal son unité.

Il a éclaté le 10 juin, quand une frégate de la Marine française, le Courbet, dans le cadre de la mission de surveillance de l'Otan Sea Guardian, a tenté d'inspecter un cargo naviguant transpondeur coupé et refusant de communiquer son port de destination, soupçonné de transporter des armes vers la Libye.

Selon les autorités françaises, des bâtiments de la Marine turque ont alors illuminé à trois reprises la frégate avec leurs radars de conduites de tirs.

"Par ailleurs, des personnels (turcs) en gilets pare-balles et casque lourds se sont postés aux affûts des armes légères de ces navires. C'est un acte extrêmement agressif et qui ne peut pas être celui d'un allié face à un autre allié qui fait son travail sous commandement de l'Otan", dénonçait quelques jours plus tard la ministre français des Armées, Florence Parly.

Les autorités turques ont catégoriquement démenti ces "fausses accusations" et exigent des excuses de la France.

Trois mois plus tard, et alors que Paris et Ankara poursuivent leur guerre des mots, il semble improbable que l'enquête ouverte par l'Otan ne puisse régler le litige.

Selon un responsable de l'Alliance, le rapport est terminé, mais il refuse de fournir la moindre précision sur son contenu.

"Il a été balayé sous le tapis", dit un diplomate européen.

Un autre explique que l'Otan veut à tout prix conserver la Turquie en son sein, du fait de son influence militaire et de la position stratégique qu'elle occupe sur le flanc sud-est de l'Alliance. Dans ces conditions, il semble exclu de la désigner du doigt.

"Le rapport sur l'incident avec le Courbet n'a pas abouti car personne ne veut humilier la Turquie, qui a demandé bruyamment des excuses", avance une source européenne, qui ajoute cependant que "l'incident a été acté" et que le conseil atlantique a réaffirmé le respect de l'embargo sur la Libye et les règles de comportement entre Alliés.

"NE CHERCHEZ PAS QUERELLE À LA TURQUIE"

Dans cet entre-deux, les deux parties continuent de crier victoire.

La semaine dernière, en marge du sommet des pays euroméditerranéens qu'il présidait en Corse, Emmanuel Macron a de nouveau dénoncé les "comportements inadmissibles" du président turc Recep Tayyip Erdogan; lequel a répliqué: "Ne cherchez pas querelle à la Turquie."

La France accuse la Turquie de ne pas respecter l'embargo sur les ventes d'armes à la Libye; elle dit aussi défendre la souveraineté de la Grèce et de Chypre, ses partenaires européens, face aux visées turques sur les gisements d'hydrocarbures ou la définition des zones économiques exclusives.

Côté Otan, on tente de favoriser des discussions de "déconfliction" entre les deux Alliés.

Mais là encore, dit un haut responsable de l'Otan, "il est difficile de dire si ces négociations produiront un résultat. Chaque déclaration de Paris, Ankara ou Athènes complique à chaque fois tout retour en arrière".

Un ambassadeur américain en Europe y voit le résultat d'un choc des ambitions entre "la volonté de Macron d'être le grand homme de l'Europe" et celle d'Erdogan.

(avec John Irish et Tangi Salaün à Paris et Tuvan Gurumkcu et Ali Kucukgocmen à Istanbul; version française Henri-Pierre André, édité par Jean-Michel Bélot)