Russie : Plus de 3.000 personnes arrêtées dans des manifestations soutenant Alexeï Navalny

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Russie: plus de 350 personnes arretees dans des manifestations soutenant alexei navalny[reuters.com]
(Crédits : Maxim Shemetov)

par Maria Tsvetkova, Anton Zverev et Tom Balmforth

MOSCOU (Reuters) - Les forces de l'ordre russes ont arrêté plus de 3.000 personnes samedi à travers la Russie et ont utilisé la force pour disperser des rassemblements, alors que des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans le pays pour réclamer la libération de l'opposant Alexeï Navalny.

Alexeï Navalny a été arrêté dimanche dernier et emprisonné pour violation présumée de sa liberté conditionnelle, après être rentré en Russie pour la première fois depuis son empoisonnement par un agent neurotoxique.

Anticipant une probable arrestation, il avait exhorté, avant son retour, ses partisans à participer à des manifestations répétées, dont une samedi.

Les autorités avaient mis en garde les éventuels participants sur le risque d'attraper le COVID-19 et d'être poursuivi en justice et mis en prison, s'ils se rassemblaient.

Mais les manifestants, bravant les températures extrêmes et les injonctions du gouvernement, se sont retrouvés en nombre.

Leonid Volkov, un allié d'Alexeï Navalny, a appelé les manifestants à se réunir encore le week-end prochain pour essayer de libérer l'opposant russe des "griffes de ses tueurs".

Près de 40.000 personnes se sont réunies à Moscou, selon une estimation de Reuters, ce qui en fait l'un des plus gros rassemblements non autorisés depuis des années. La police a fait usage de la force pour arrêter des centaines de personnes et les a regroupées dans des vans.

Les autorités font seulement état de 4.000 participants. Le ministère des Affaires étrangères a mis en doute les estimations de Reuters, faisant usage de sarcasme. "Pourquoi ne pas dire tout de suite qu'il y a quatre millions de participants?", a-t-il écrit sur la messagerie Telegram.

Un autre allié de Navalny, Ivan Zhdanov, a fait état d'une participation de 50.000 personnes dans la capitale russe, selon le média Proekt.

Dans la manifestation, il était possible d'entendre crier : "Poutine est un voleur", "Honte à vous", ou encore "Libérer Navalny!".

LES ÉTATS-UNIS CONDAMNENT DES "TACTIQUES DURES"

La femme d'Alexeï Navalny, Yulia, a annoncé sur les réseaux sociaux qu'elle avait été interpellée lors de la manifestation. Elle a été libérée ensuite.

Certains des alliés politiques de l'avocat de 44 ans avaient été arrêtés dans les jours précédents.

Selon le groupe de surveillance OVD-Info, au moins 2.509 personnes, dont 952 à Moscou et 374 à Saint-Pétersbourg, ont été arrêtées par les forces de l'ordre. L'organisation dénombre des interpellations dans près de 100 villes.

Les Etats-Unis ont condamné ce qu'ils ont qualifié de "tactiques dures" utilisées contre les manifestants et les journalistes et ont demandé la libération "immédiate et inconditionnelle" d'Alexeï Navalny.

"Nous appelons les autorités russes à libérer toutes les personnes détenues pour avoir exercé leurs droits universels", a déclaré le porte-parole du département d'État américain, Ned Price, dans un communiqué.

Le chef de la politique étrangère de l'Union européenne, Josep Borrell, a déclaré dans un tweet qu'il déplorait le "recours disproportionné à la force" des autorités.

De son côté, le ministre britannique des Affaires étrangères Dominic Raab, a condamné "l'usage de la violence contre des manifestants et des journalistes pacifiques".

"FATIGUÉ D'AVOIR PEUR"

Alexeï Navalny, qui accuse le président Vladimir Poutine d'avoir ordonné son exécution, est poursuivi par la justice dans quatre affaires qui, selon lui, sont montées de toutes pièces à des fins politiques, et pour lesquelles il risque des peines de prison se comptant en années, s'il est reconnu coupable.

Vladimir Poutine nie toute implication dans la tentative d'assassinat, et rétorque qu'il s'agit d'une tentative américaine de le discréditer.

Pour certains manifestants, la cause est plus large que la simple libération de l'avocat. "Je suis fatigué d'avoir peur. Je ne suis pas venu juste pour moi et Navalny, mais pour mon fils parce qu'il n'y a pas d'avenir dans ce pays", a dit à Reuters Sergei Radchenko, qui prenait part au rassemblement de Moscou.

Le Kremlin, qui avait décrété ces manifestations illégales, n'a pas fait de commentaire dans l'immédiat.

Les procureurs d'État ont déclaré qu'ils examineraient les allégations de violences commises par des manifestants à l'encontre de policiers.

ARRESTATIONS DE JOURNALISTES

A Berlin, Hambourg et Munich, près de 1.000 personnes ont manifesté. Entre 200 et 300 personnes se sont réunies à Paris tandis que des manifestations plus réduites se sont tenues en Bulgarie.

Des images vidéo ont montré des policiers poursuivre des manifestants dans les rues de Khabarovsk, plus grande ville de l'Extrême-Orient russe, alors que les températures avoisinaient les -14 degrés Celsius. Il était possible d'entendre les manifestants scander : "Bandits".

D'autres images vidéo montrent des policiers attraper un manifestant par le bras et la jambe et le transporter dans un van, à Yakoutsk, en Sibérie, où le mercure est descendu ce samedi à -52 degrés Celsius.

À Moscou, certains journalistes couvrant les manifestations ont été arrêtés, ce qui a fait réagir l'ambassade américaine en Russie qui a dénoncé une "campagne concertée pour supprimer la liberté d'expression".

LE "PALAIS" DE POUTINE

Les services de réseaux téléphoniques et internet ont connu des interruptions samedi, selon le site de surveillance downdetector.ru, une tactique parfois utilisée par les autorités pour rendre les communications et le partage de vidéos entre manifestations plus compliqué.

Pour rallier la population à sa cause, Alexeï Navalny et sa fondation avaient diffusé mardi une vidéo dans laquelle ils dénoncent un "palais" dont se serait doté le président russe. Samedi, la vidéo avait été visionnée plus de 73 millions de fois.

Les Nations unies et les pays occidentaux ont condamné la détention d'Alexeï Navalny et demandé sa libération immédiate. Les ministres des Affaires étrangères de l'Unions européenne devraient débattre lundi à Bruxelles de nouvelles sanctions économiques à l'encontre de la Russie.

Les législateurs européens ont déjà adopté jeudi une résolution demandant à l'UE l'arrêt de la construction du gazoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l'Allemagne, en réponse à l'arrestation de Navalny.

(avec Polina Ivanova, Maria Tsvetkova, Polina Nikolskaya, version française Caroline Pailliez et Blandine Hénault)