Depuis la chute de Béchir, le Soudan a tourné le dos au Hamas palestinien

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Depuis la chute de bechir, le soudan a tourne le dos au hamas palestinien[reuters.com]
(Crédits : Mohamed Nureldin Abdallah)

par Khalid Abdelaziz, Nafisa Eltahir et John Irish

KHARTOUM (Reuters) - Les autorités de transition soudanaises ont saisi des biens qui servaient depuis des années à financer le Hamas, mettant fin à la bienveillance dont le mouvement islamiste au pouvoir dans la bande de Gaza bénéficiait à Khartoum sous le régime du président déchu Omar el Béchir.

Le gel des avoirs d'au moins une dizaine de sociétés liées au Hamas a facilité le retrait du Soudan de la liste américaine des pays qui financent le terrorisme (SST), préalable à la restructuration de 50 milliards de dollars de dette.

Selon des experts soudanais et palestiniens, le Hamas a ainsi perdu une base arrière où ses militants pouvaient trouver refuge, lever des fonds et acheminer des armes et de l'argent de son parrain iranien.

La diversité des biens saisis - immeubles, hôtel à Khartoum, parts de société, bureau de change, chaîne de télévision, terres agricoles - illustre l'ampleur du réseau que le mouvement palestinien avait pu constituer au Soudan.

Sous la direction d'Omar el Béchir, arrivé au pouvoir à la faveur d'un coup d'Etat en 1989 et qui hébergea un temps le chef d'Al Qaïda, Oussama ben Laden, le Soudan était devenu un centre international de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme, a déclaré à Reuters Wagdi Salih, un membre de la "task force" chargée de démanteler son héritage.

Omar el Béchir soutenait ouvertement le Hamas et était proche de ses dirigeants.

"Il leur accordait un traitement préférentiel lors des appels d'offres, des exemptions fiscales, et il leur permettait de transférer les fonds à Gaza sans limite de plafond", détaille un autre membre de la "task force" sous le sceau de l'anonymat.

PRESSION AMÉRICAINE

Malgré la rupture des liens entre Khartoum et Téhéran en 2016, qui avait permis l'abandon des sanctions commerciales américaines contre le Soudan, le régime de l'époque n'avait pas fermé la porte au Hamas, comme Washington l'imaginait.

Contacté par Reuters, un dirigeant du groupe palestinien, Sami Abou Zouhri, a nié les investissements au Soudan mais reconnu que les changements à Khartoum après la chute d'Omar el Béchir en 2019 avaient porté un coup dur au Hamas.

"Malheureusement, plusieurs mesures ont été prises qui ont affaibli la présence du mouvement (au Soudan) et limité les liens politiques", a-t-il dit.

La bascule s'est opérée l'an dernier lorsque sous la pression de l'administration Trump, le Soudan a accepté de normaliser ses relations avec Israël, comme les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc qui y ont tous trouvé un intérêt.

Pour Khartoum, cela a été le retrait de la liste SST, qui a permis à son tour la renégociation de la dette internationale du Soudan.

La rupture avec le Hamas était la clé de cet accord, et Washington a fourni au gouvernement de Khartoum une liste de sociétés à fermer, selon une source soudanaise et une source au sein d'un service de renseignement occidental. Le département d'Etat américain n'a fait aucun commentaire.

La plupart des soutiens du Hamas au Soudan ont trouvé refuge en Turquie, mais ils ont dû laisser derrière eux près de 80% de leurs investissements, a précisé à Reuters un responsable de la "task force".

"Le coup d'Etat contre Béchir a posé de vrais problèmes au Hamas et à l'Iran", souligne l'expert palestinien Adnane Abou Amer. "Le Hamas et l'Iran doivent trouver des alternatives qui n'étaient pas prêtes tant le coup contre Béchir a été soudain."

(Reportage Khalid Abdelaziz et Nafisa Eltahir à Khartoum,John Irish à Paris, Nidal al-Mughrabi à Gaza, Arshad Mohamedà Washington et Dan Williams à Jerusalem ; version française Tangi Salaün, édité par Sophie Louet)