Macron ne pourra pas enfiler le costume européen de Merkel sans alliés

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Macron ne pourra pas enfiler le costume europeen de merkel sans allies[reuters.com]
(Crédits : Stephane Mahe)

par Michel Rose, John Irish et Leigh Thomas

PARIS (Reuters) - Le départ de la chancelière allemande Angela Merkel de la scène européenne fournit en théorie à Emmanuel Macron l'occasion d'enfiler le costume de leader européen et de pousser son projet d'une Union européenne plus indépendante.

Mais de la théorie à la pratique, il y a un gouffre que le président français va devoir franchir avec la plus grande prudence, relèvent des diplomates dans plusieurs pays européens.

Le style très direct d'Emmanuel Macron s'accommode assez mal de la tradition de consensus feutré sur laquelle l'UE s'est construite ces dernières décennies, soulignent-ils, et toute volonté de faire avancer au bulldozer sa stratégie de souveraineté européenne risquerait de finir dans un bac à sable.

"Ce n'est pas comme si Macron pouvait changer l'Europe seul. Il doit prendre conscience qu'il lui faudra être prudent. Il ne faut pas qu'il s'attende à ce que les gens sautent dans un train français en marche", prévient un diplomate d'un des pays fondateurs de l'UE basé à Paris.

"Merkel occupait une place particulière. Elle écoutait tout le monde et respectait tout le monde."

De manière significative, les dirigeants européens ne se sont pas précipités pour soutenir la France après l'annulation du contrat géant de sous-marins par l'Australie au profit d'une alliance avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni.

Le silence embarrassé de certains d'entre eux illustrait bien la méfiance des pays d'Europe centrale et orientale, en particulier, à l'égard de l'autonomie stratégique européenne défendue par Emmanuel Macron, à laquelle beaucoup préfèrent le parapluie américain.

Malgré une politique de réassurance envers les pays d'Europe de l'Est plus affirmée que ses prédécesseurs à l'Elysée, de la Baltique à la mer Noire, le président français a fortement entamé son crédit auprès des inconditionnels de l'Alliance transatlantique le jour où il a déclaré que l'Otan était en état de "mort cérébrale".

L'Elysée n'a pas répondu aux sollicitations de Reuters pour répondre à cette critique. En privé, des responsables français reconnaissent cependant que la politique de la main tendue avec la Russie n'a pas produit les résultats espérés.

"Nous aurions pu lui dire dès le départ comment sa politique russe finirait", ironise l'ambassadeur à Paris d'un pays d'Europe de l'Est. "Nous comprenons que Macron ait besoin de contacts avec la Russie. Merkel a des contacts avec la Russie. Mais le problème, c'est la méthode."

DRAGHI ET RUTTE COMME RELAIS ?

Angela Merkel a de fait défendu elle aussi des projets qui ont profondément divisé l'UE, comme la construction du gazoduc Nordstream 2 entre la Russie et l'Allemagne. Mais elle a toujours pris le plus grand soin d'éviter tout propos qui pourrait heurter ses partenaires européens, soulignent les diplomates.

"La France a une vision (de l'Europe) mais elle cherche trop souvent à l'imposer et le style de Macron est parfois trop disruptif", ajoute Georgina Wright de l'Institut Montaigne, un centre de réflexion basé à Paris. "Le tandem franco-allemand est très important mais Macron a réalisé qu'il ne suffit pas."

Plusieurs diplomates interrogés par Reuters estiment que le président français gagnerait à s'appuyer sur deux dirigeants européens en particulier, indépendamment de l'issue des négociations pour former un gouvernement de coalition en Allemagne: l'Italien Mario Draghi et le Néerlandais Mark Rutte.

Emmanuel Macron a déjà commencé à courtiser le président du Conseil italien, crédité d'avoir sauvé l'euro lorsqu'il était à la tête de la Banque centrale européenne. Reuters a appris de bonne source qu'il l'avait invité cet été au Fort de Brégançon, avant de devoir annuler leur rencontre en raison de la situation en Afghanistan.

Le chef de l'Etat s'est aussi rapproché de Mark Rutte, qui a fédéré autour de lui un groupe de pays dits "frugaux" en raison de leur conservatisme budgétaire et de leur réticence face aux grands investissements européens.

Les diplomates notent cependant que de plus en plus de pays européens deviennent réceptifs aux idées françaises après avoir notamment constaté l'agressivité ou le manque de fiabilité des Etats-Unis et de la Chine.

"Il semblait un peu excessif mais on s'est rendu compte que certaines des idées qu'il défendait étaient en réalité sensées", dit un diplomate d'un pays balte.

Le Brexit a aussi modifié les rapports de force au sein des Vingt-Sept, alors que la France prendra en janvier la présidence tournante du bloc pour six mois.

"On avait l'habitude de se cacher derrière les Britanniques (quand une idée défendue par Paris ne convenait pas) mais on a perdu notre paravent", reconnaît un diplomate. "On a donc entamé un dialogue."

(Version française Tangi Salaün, édité par Sophie Louet)