Pêche/Brexit : Paris passe à l'action, Londres menace de riposter

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Peche: deux navires anglais verbalises au large du havre[reuters.com]
(Crédits : Benoit Tessier)

par Myriam Rivet

LE HAVRE/PARIS/LONDRES (Reuters) - Un nouveau palier a été franchi jeudi dans l'affrontement entre la France et la Grande-Bretagne sur les zones de pêche dans la Manche après le Brexit, avec l'immobilisation d'un chalutier britannique au Havre et l'annonce par Londres d'une riposte aux mesures que Paris compte mettre en oeuvre la semaine prochaine.

La France a annoncé dans la nuit de mercredi à jeudi avoir arraisonné puis dérouté vers le port du Havre un navire britannique pêchant dans les eaux françaises sans autorisation, ce que les autorités britanniques contestent.

Cette opération de gendarmerie, qui s'est également soldée par la verbalisation d'un second navire britannique, s'est déroulée "dans le cadre du durcissement des contrôles dans la Manche", a précisé le ministère de la Mer dans un communiqué, quelques heures après l'annonce par le gouvernement français de l'entrée en vigueur le 2 novembre de "mesures ciblées" visant notamment les navires de pêche et les importations britanniques.

A Londres, le ministre britannique de l'Environnement, George Eustice, a déclaré devant le Parlement que "si ces menaces venaient être mises à exécution, elles feront l'objet de mesures appropriées et calibrées en retour", puisque les dispositions françaises constituent à ses yeux des infractions au droit international.

La France reproche depuis de longs mois au Royaume-Uni d'avoir délivré aux pêcheurs français un nombre de licences de pêche dans les eaux britanniques jugé insuffisant au vu de ses engagements pris à l'égard de l'Union européenne dans les accords encadrant le Brexit, ce que Londres conteste.

"LANGAGE DE LA FORCE"

"Ce n'est pas la guerre, c'est un combat. Les Français et les pêcheurs ont des droits, il y a eu un accord de signé, nous devons faire appliquer cet accord", a prévenu jeudi sur RTL la ministre française de la Mer, Annick Girardin.

Le secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes, Clément Beaune, a lui aussi adopté jeudi un ton plus martial.

"Nous avons été extrêmement patients (...) Et donc à partir du 2 novembre c'est terminé", a-t-il dit sur CNews. "Maintenant il faut parler le langage de la force, parce que malheureusement ce gouvernement britannique-là ne comprend que cela."

Le gouvernement français reproche également aux Britanniques d'avoir imposé de nouvelles conditions pour délivrer ces licences, qui permettent aux pêcheurs européens - et notamment français - d'accéder aux eaux territoriales britanniques dans une zone de six à douze miles nautiques au large des côtes britanniques, ainsi que de celles de Jersey et Guernesey.

Avec pour conséquence une bataille de chiffres de part et d'autre de la Manche, Paris assurant n'avoir obtenu qu'un peu plus de 50% des permis auxquels les pêcheurs français pouvaient prétendre tandis que Londres assure avoir délivré 98% des autorisations réclamées.

"Les Européens ont demandé 2.127 licences, les Britanniques ont donné 1.913 licences, ça fait 90,3% (donc) le chiffre est faux", a expliqué Annick Girardin jeudi.

"Et deuxièmement - quel étonnement ! - tous ceux qui n'ont pas de licence, ce sont des Français, à part un ou deux Belges. En clair les 10% manquants, c'est les Français", a-t-elle poursuivi.

Côté britannique, George Eustice a déclaré que la Grande-Bretagne avait accordé 1.673 licences aux pêcheurs européens, dont 736 à des navires français.

LA FRANCE MENACE D'AUGMENTER SES TARIFS DE L'ÉLECTRICITÉ

Reste que selon Annick Girardin, qui a dénoncé sur BFMTV la "mauvaise foi" des Britanniques, il manque "184 licences qui ont été demandées" dans les règles. "Ces licences, nous les voulons en urgence, nous les voulons avant la fin du mois" conformément au calendrier fixé par les autorités britanniques elles-mêmes, a-t-elle insisté.

D'après Clément Beaune, les "licences manquantes" concernent notamment des pêcheurs de la région des Hauts-de-France ou allant régulièrement pêcher au large des îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey.

Au-delà des mesures qui s'appliqueront à compter du 2 novembre (interdiction aux navires britanniques de débarquer dans une majorité de ports français, systématisation des contrôles douaniers et sanitaires sur les importations britanniques) faute d'obtention des licences manquantes et qui ont vocation à s'intensifier progressivement, le gouvernement français prépare une deuxième série de mesures.

Pour l'instant "ce sont des tracasseries, des ralentissements, c'est une forme de réciprocité", a expliqué Clément Beaune. Mais sans évolution de la position britannique, "nous pouvons avoir des contrôles plus systématiques, des blocages plus systématiques encore et nous pouvons réviser un certain nombre de coopérations, par exemple augmenter les tarifs de l'électricité", a-t-il ajouté.

Le chalutier Cornelis Gert Jan arraisonné dans la nuit, spécialisé dans la pêche à la coquille Saint-Jacques, était toujours immobilisé à la mi-journée dans le port du Havre.

Son propriétaire, la société McDuff Shellfish, tout comme le gouvernement britannique, ont déclaré qu'il disposait d'une licence de pêche dans les eaux françaises, suggérant qu'il pourrait s'agir d'une erreur administrative.

(Rédigé par Myriam Rivet, avec la contribution de Sudip Kar-Gupta, Richard Lough, Michaela Cabrera, Layli Foroudi, Juliette Jabkhiro et Blandine Henault à Paris, Andrew MacAskill à Londres; édité par Jean-Michel Bélot et Blandine Henault)