Les Irlandais ont plébiscité la légalisation de l'avortement

reuters.com  |   |  839  mots
Large victoire du oui a l'avortement en irlande, selon un sondage[reuters.com]
(Crédits : Max Rossi)

par Padraic Halpin et Conor Humphries

DUBLIN (Reuters) - Les Irlandais se sont prononcés vendredi par référendum à une très forte majorité en faveur de la libéralisation du droit à l'avortement dans un des pays qui était considéré parmi les plus conservateurs d'Europe d'un point de vue social.

Les électeurs étaient invités à se prononcer pour ou contre l'abrogation d'un amendement constitutionnel interdisant, depuis 1983, la promulgation de toute législation sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et protégeant le "droit à la vie de l'enfant à naître" au même titre que celui de la mère.

Le droit irlandais a été modifié en 2013 mais la possibilité d'interrompre une grossesse est depuis cette date limitée aux seuls cas où la vie de la mère est en danger.

Les votants se sont prononcés à 66% en faveur de la légalisation de l'avortement, d'après les résultats officiels annoncés samedi soir.

"C'est un jour historique pour l'Irlande. L'aboutissement d'une révolution tranquille", a déclaré le Premier ministre Leo Varadkar dans un discours après l'officialisation des résultats.

"Tout le monde mérite une seconde chance. Ceci constitue la seconde chance pour l'Irlande de traiter tout le monde avec équité, compassion et respect. Nous avons voté en regardant la réalité", a ajouté celui qui est devenu l'an dernier le premier chef du gouvernement à afficher son homosexualité.

L'Irlande a entamé de fait une révolution sociale silencieuse ces dernières années. Ce pays très catholique où le divorce n'a été légalisé qu'en 1995 - et encore qu'à une très courte majorité - est devenu il y a trois ans le premier pays au monde à légaliser le mariage entre personnes de même sexe.

"OCCASION UNIQUE"

Interrogé par la chaîne de télévision publique RTE, John McGuirk, porte-parole un mouvement anti-avortement "Save the 8th" ("Sauvez le 8e amendement") avait reconnu la défaite de son camp. Il a estimé impossible que l'interdiction de l'avortement, imposée par référendum en 1983, soit maintenue.

"Ce que les électeurs irlandais ont fait hier est une tragédie d'ampleur historique", a déclaré Save The 8th. "Cependant, une erreur ne devient pas un droit simplement parce qu'une majorité la soutient."

Le taux de participation, à plus de 64%, a été l'un des plus élevés jamais enregistrés pour un référendum. Il a dépassé les 61% du référendum qui a conduit à la légalisation du mariage homosexuel en 2015.

Charlie Flanagan, ministre de la Justice, a estimé pour sa part que l'Irlande avait franchi "un grand pas de plus" et s'éloignait de son "sombre passé".

Les sondages pré-électoraux anticipaient tous un succès des partisans du droit à l'IVG dans cette consultation que Leo Varadkar avait qualifiée d'"occasion unique pour toute une génération".

C'est à Dublin, la capitale, que le "oui" a été le plus massif, avec 77% des voix selon l'Irish Times. Mais à l'inverse des précédentes consultations, il ne semble pas y avoir eu cette fois de divergence électorale marquée entre circonscriptions urbaines et rurales. Les pro-IVG semblent l'emporter dans toutes les provinces.

DÉJÀ UNE RÉALITÉ

Pour les partisans du droit à l'IVG, l'avortement est de toute façon déjà une réalité dans la société irlandaise. Chaque année, rappellent-ils, quelque 3.000 Irlandaises se rendent en Grande-Bretagne pour interrompre leur grossesse, d'autres se procurent des "pilules du lendemain" sur internet.

La campagne référendaire a également montré que l'Eglise catholique, jadis toute puissante, était désormais en retrait.

En 1983, la religion avait occupé une place centrale dans la campagne. L'éditorialiste Gene Kerrighan avait alors parlé d'une "guerre civile morale" entre les catholiques conservateurs et les progressistes dans un pays où l'avortement était une question largement taboue.

Cette fois, le débat a été pris en charge par les femmes qui ont décrit publiquement leur expérience personnelle de l'IVG.

Certains des 25 évêques du pays s'étaient certes engagés dans la campagne ces dernières semaines. Dans une lettre pastorale, Mgr William Crean, évêque de Cloyne, avait ainsi demandé à ses fidèles de "ne pas être naïfs". "Ce qui est en jeu avec ce référendum, c'est un grand combat entre la lumière et l'obscurité, entre la vie et la mort", leur écrivait-il, les invitant à "choisir la vie".

Leo Varadkar a déclaré qu'il prévoyait de promulguer la loi autorisant l'IVG avant la fin de l'année. L'avortement sans restriction pourrait être pratiqué jusqu'à 12 semaines de grossesse.

Jim Wells, un membre du Parti unioniste démocrate (DUP) d'Irlande du Nord, a déclaré qu'après le vote, l'Irlande du Nord, où l'avortement reste illégal, et Malte étaient les seuls endroits d'Europe où l'enfant à naître est correctement protégé.

(Avec Graham Fahy et Emily Roe à Dublin, Amanda Ferguson à Belfast et Michael Holden à Londres; Tangi Salaün, Henri-Pierre André, Danielle Rouquié et Jean Terzian pour le service français)