Macron a-t-il un agenda caché pour le secteur de l'énergie ?

reuters.com  |   |  1393  mots
La hausse des prix de l’electricite tire l’action edf[reuters.com]
(Crédits : Reuters)

par Benjamin Mallet

PARIS (Reuters) - Emmanuel Macron a-t-il en tête un vaste projet pour les grands énergéticiens français ? La question alimente en tout cas les conversations des professionnels depuis plusieurs mois, sur fond de réflexions sur l'architecture d'EDF et sur la stratégie d'Engie.

Un spécialiste du financement du secteur en est convaincu : le chef de l'Etat et le secrétaire général de l'Elysée Alexis Kohler - passé par l'Agence des participations de l'État (APE) de 2008 à 2012 - "ont une idée très claire de ce qu'ils veulent faire... mais personne ne sait laquelle !".

Du côté d'EDF, la hausse des prix de marché de l'électricité depuis le printemps rend la révision du modèle du groupe moins urgente mais ne règle pas ses problèmes de fond, en particulier le poids de sa dette et la nécessité de financer de lourds investissements dans le parc nucléaire français - existant et futur - et dans la transition énergétique.

Le scénario qui consisterait à réguler les prix du nucléaire et à nationaliser le parc de centrales d'EDF pour le mettre à l'abri des soubresauts du marché et de la concurrence, en créant en parallèle une entité regroupant les actifs de production renouvelables, les réseaux et les services énergétiques, séduit nombre d'analystes.

"D'un point de vue purement stratégique, je pense que ça fait du sens et les opérations de ce type se sont plutôt bien passées en Allemagne", estime Pierre Antoine Chazal, chez Bryan Garnier, en référence aux voies empruntées par RWE et E.ON.

"Sanctuariser le nucléaire tout en créant une structure plus 'clean' autour des renouvelables, des réseaux et des services énergétiques permettrait de gagner en visibilité sur les deux tableaux. Si en plus l'Etat peut monétiser une partie de la nouvelle structure - appelons-la 'clean company' -, ça peut faire du sens", ajoute-t-il.

"À L'ETAT DE DIRE CE QU'IL VEUT FAIRE D'EDF"

Si le dossier ouvert par Nicolas Hulot fin 2017 n'a pas connu d'avancées significatives, son successeur au ministère de la Transition écologique François de Rugy a déclaré mercredi que l'Etat envisageait "toutes les solutions" pour EDF - y compris le statu quo - et n'a pas exclu que cette réflexion aboutisse d'ici à l'annonce de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), prévue fin octobre.

Une source proche de la direction du groupe juge que le président de la République doit bel et bien clarifier son projet pour l'entreprise : "Ça ne peut pas être un débat en conseil d'administration, c'est à l'Etat de dire ce qu'il veut faire d'EDF - une question récurrente et lancinante - et de demander un schéma qui 'matche' avec ses attentes."

Alors que les syndicats craignent une scission du nucléaire qui aboutirait selon eux à un "démantèlement" de l'entreprise et à une gestion désordonnée du parc de production français, Emmanuel Macron dispose toutefois d'une marge de manoeuvre limitée avant les élections européennes de 2019 et les municipales de 2020.

Une renationalisation du parc nucléaire impliquerait en outre que les autorités de la concurrence européennes donnent leur aval à une nouvelle régulation des prix de vente d'EDF, aujourd'hui plafonnés par le mécanisme de l'Arenh (Accès régulé au nucléaire historique), dont l'électricien public souligne régulièrement l'impact négatif sur ses résultats.

L'enjeu pour l'Etat serait alors de convaincre Bruxelles que l'électricité nucléaire est un bien essentiel et que la restructuration du groupe ne revient pas à subventionner ses autres activités.

"UN OPÉRATEUR ÉNERGÉTIQUE DE TROP" EN FRANCE ?

Au-delà du cas EDF, certains acteurs du secteur de l'énergie spéculent sur un scénario extrême qui impliquerait Engie - dont Bercy prépare le désengagement de l'Etat (23,6% du capital) - et Total, auteur d'une offensive d'envergure sur le marché français de l'électricité.

"On entend que le gouvernement veut revoir l'organisation des opérateurs énergétiques", assure une source proche du conseil d'administration d'un des trois acteurs. "Selon la rumeur, il pense qu'il y a un opérateur énergétique de trop en France et ça pourrait être Engie."

Cette source précise que l'Etat serait tenté de pousser à la création d'une branche regroupant les actifs de production d'électricité du groupe à l'international - où il détient encore un gros portefeuille de centrales - et à la constitution d'un vaste pôle de services autour de Suez, dont l'ex GDF Suez possède 32% du capital.

Selon le même scénario, certaines activités d'électricité et de gaz d'Engie en France seraient susceptibles d'intéresser Total, dans un mouvement comparable au rapprochement prévu entre SSE et Npower (filiale d'Innogy) en Grande-Bretagne.

"Une façon de valoriser Engie serait de le vendre à la découpe", estime la même source, ajoutant qu'Emmanuel Macron n'apprécie guère le bilan de la directrice générale d'Engie Isabelle Kocher et qu'il a confié à Jean-Pierre Clamadieu la présidence du groupe afin d'en redresser le cours de Bourse, toujours en berne, en vue d'un désengagement de l'Etat rendu possible par la loi Pacte.

A l'Elysée, on dément toute volonté de vaste réorganisation du secteur de l'énergie, de même que l'analyse prêtée à l'exécutif d'un opérateur "en trop".

"Pour être très clair, il n'y a pas de grand plan", déclare-t-on à la présidence de la République. "On n'a clairement pas l'analyse qu'il y a un acteur en trop. Il n'y a aucun plan de l'Elysée pour faire fusionner des acteurs pour en faire disparaître un."

"DE LA CASSE DANS LES PROCHAINS MOIS"

Des interrogations subsistent cependant sur le rôle de Total, qui a lancé il y a un an une offre d'électricité pour les particuliers en France avant de racheter Direct Energie, et qui affiche ses ambitions en visant plus de six millions de clients dans le pays à l'horizon 2022 (contre 4,1 millions avec Direct Energie) et 10 gigawatts (GW) de capacités de production, globalement, à horizon de cinq ans (contre 5 GW aujourd'hui).

Engie fournit pour sa part de l'électricité à un peu plus de 4 millions de clients résidentiels en France et y détient quatre centrales à gaz d'une capacité cumulée de 2,1 GW, tandis que sa part de marché dans la vente de gaz aux particuliers reste largement dominante (environ 70% à fin juin).

Un bon connaisseur de l'ex GDF Suez souligne que même si le groupe s'est montré très offensif ces dernières années sur le marché de l'électricité, le probable maintien des tarifs réglementés d'EDF et la suppression programmée de ceux du gaz, ainsi que la réforme en cours de l'accès au nucléaire donné aux alternatifs, l'inciteront peut-être à revoir sa position.

"Ces décisions et l'arrivée de Clamadieu, qui a probablement des vues différentes de celles de Kocher, peuvent changer la donne", juge-t-il.

Sollicités par Reuters sur l'ensemble de ces sujets, EDF, Engie et Total n'ont pas fait de commentaire.

Les spéculations sur le secteur de l'énergie s'inscrivent dans un contexte de concurrence accrue sur le marché de l'électricité français qui fait perdre quelque 100.000 clients particuliers par mois à EDF et voit de nouveaux acteurs entrer sur le marché sans pour autant investir dans des centrales, à l'instar de Leclerc.

Ces derniers se lancent cependant au moment précis où les opérateurs alternatifs voient leurs marges mises sous pression par la remontée des prix de marchés - sur lesquels ils s'approvisionnent largement - et où l'Etat doit s'assurer que la France dispose de capacités de production suffisantes dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

"On est dans une phase de prises de position, avant consolidation. Avec des prix de marché qui sont passés de 40 à 60 euros, il va y avoir de la casse dans les prochains mois et ça risque d'accélérer la consolidation", estime un spécialiste de la libéralisation du marché français.

(Avec Michel Rose, édité par Jean-Michel Bélot)