Mélenchon face au péril du coup d'éclat de trop

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Melenchon face au peril du coup d'eclat de trop[reuters.com]
(Crédits : Gonzalo Fuentes)

par Elizabeth Pineau

PARIS (Reuters) - Le coup de sang de Jean-Luc Mélenchon dans ses démêlés avec la justice pourrait nuire à l'image du chef de file de la France insoumise (LFI) dans et au-delà de son parti, à l'heure de nouer des alliances électorales, estiment des analystes.

Prenant l'opinion à témoin de ce qu'il considère comme une "opération de police politique", le député de Marseille ne décolère pas depuis les perquisitions houleuses - filmées et postées sur les réseaux sociaux - menées mardi, notamment à son domicile et dans les locaux de son mouvement.

Habitué de débordements en cohérence avec la "révolution citoyenne" qu'il appelle de ses voeux, Jean-Luc Mélenchon pourrait cette fois sortir abîmé de cet épisode, "qui touche à des institutions républicaines, la justice et la police, alors que la cote d'amour des policiers reste haute chez les Français depuis les attentats de 2015", note Frédéric Dabi, directeur du pôle Opinion et Stratégies d'entreprise de l'Ifop.

Dans cet engrenage politico-judiciaire, Jean-Luc Mélenchon "était obligé d'engager un contre-feu", estime pour sa part Jean-Daniel Lévy, de l'institut de sondages Harris interactive.

"Il reste l'incarnation de ce qu'est le parti de gauche au coeur de son électorat, critique à l'égard du système (...) mais il appelle aussi la critique de ceux qui le considèrent comme un peu trop 'gueulard' et vitupérant", a-t-il déclaré.

"UNE VRAIE HONTE"

La presse française est unanime pour dénoncer, comme Libération, "l'éclat de trop" du leader des Insoumis, décrit dans Le Monde comme "un homme qui ambitionne de rassembler 'le peuple', à commencer par celui de gauche, et qui perd ses nerfs, 'disjoncte' en public, bref, démontre qu'il n'a pas la maîtrise indispensable aux hautes fonctions auxquelles il aspire."

La violence des images de la perquisition a "choqué" le Premier ministre Edouard Philippe, mais aussi des militants LFI comme Clémentine Langlois, chef de file des Insoumis démocrates, collectif créé au printemps pour demander davantage de démocratie à l'intérieur du mouvement.

"C'est une blessure, c'est inacceptable, en tant que représentant d'un mouvement politique, d'avoir ce genre d'attitude face à la justice", a-t-elle déclaré au micro de RMC, évoquant "une vraie honte, une vraie tristesse profonde, un désespoir" au sein des troupes.

Après deux jours de vociférations, Jean-Luc Mélenchon a adopté un ton plus mesuré jeudi en marge de son audition par l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières, dans le cadre de deux enquêtes ouvertes sur l'emploi des assistants parlementaires européens de LFI et sur les comptes de sa campagne présidentielle.

L'épisode pourrait faire douter une partie de l'opinion, notamment parmi les 19,6% d'électeurs ayant voté Mélenchon au premier tour de l'élection présidentielle en 2017.

"Le personnage que Jean-Luc Mélenchon s'était créé d'instituteur de la IIIe République bonhomme, ayant de l'humour, expert de ses dossiers, s'est complètement fracassé avec quelque chose qui rappelle l'extrême droite", note Frédéric Dabi.

"Ce n'est pas de l'ordre du débat de Marine Le Pen mais ça ne pourra pas ne pas avoir de conséquences sur l'image de Jean-Luc Mélenchon auprès des Français et sur sa capacité d'attirer au-delà de l'espace réduit de la gauche de la gauche", ajoute le politologue, en référence au débat télévisé opposant la présidente du Rassemblement national et Emmanuel Macron avant le second tour de la présidentielle.

TRACTATIONS AVANT LES EUROPÉENNES

La séquence intervient en pleines négociations en vue des élections européennes du 26 mai, notamment avec les transfuges de l'aile gauche du PS à qui Jean-Luc Mélenchon propose d'adopter le "label" LFI.

Un appel du pied à la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, qui vient d'intégrer le groupe communiste de la chambre haute et à l'eurodéputé Emmanuel Maurel, tous deux occupés à rebâtir une "gauche républicaine" avec le Mouvement républicain et citoyen.

Interrogé par Reuters, Emmanuel Maurel a estimé que l'épisode les perquisitions ne remettaient pas en cause ses projets de rapprochement avec LFI. "Sur les questions européennes, on a des idées, on est d'accord sur le programme, ça ne sert à rien de se mentir", a-t-il déclaré.

A ses yeux, c'est moins la colère de Jean-Luc Mélenchon qui doit interpeller que le caractère "disproportionné" de l'opération menée. "On s'intéresse beaucoup aux effets et pas à la cause. C'est quand même une opération d'une ampleur inédite à l'encontre d'un parti d'opposition, dans des conditions contestables et un timing qui me parait étrange", a-t-il dit.

Pour Jean-Daniel Lévy, le coup d'éclat du chef de file des Insoumis fera réfléchir "un électorat socialisant (qui) peut considérer que Jean-Luc Mélenchon a de bonnes idées mais ne pas approuver la manière dont il les porte."

Avant même l'affaire des perquisitions, l'ancien candidat à la présidentielle Benoît Hamon avait fermé la porte à un rapprochement avec le chef des Insoumis, avec qui les tractations avaient déjà échoué dans la course à l'Elysée.

"Je constate une pratique personnelle de Jean-Luc Mélenchon qui ne correspond pas à l'idée que je me fais de l'intelligence collective", déclarait-il lundi sur Radio Classique.

(Edité par Yves Clarisse)