Facebook ouvre ses portes aux régulateurs français

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Facebook ouvre ses portes aux regulateurs francais[reuters.com]
(Crédits : Elijah Nouvelage)

par Michel Rose, Gwénaëlle Barzic et Mathieu Rosemain

PARIS (Reuters) - Une équipe resserrée de régulateurs français va être autorisée à observer en immersion les méthodes de Facebook pour lutter contre les discours haineux sur sa plateforme, un test inédit dont Paris compte s'inspirer alors que les réglementations sur le sujet tâtonnent.

L'annonce de cette expérimentation a été faite lundi par Emmanuel Macron à l'occasion du Forum sur la gouvernance d'Internet réunissant à Paris responsables politiques et dirigeants du numérique.

Elle fait suite à une rencontre entre le chef de l'Etat français et le PDG du réseau social Mark Zuckerberg en mai à l'occasion du sommet "Tech for Good" lors duquel Paris avait appelé les grands acteurs de la tech à s'impliquer pour le bien commun.

"C'est une première", a souligné Emmanuel Macron dans un discours dans l'enceinte de l'Unesco.

"C'est une expérimentation mais une première étape à mes yeux importante", a-t-il dit, réaffirmant la nécessité pour l'Europe de tracer une troisième voie entre l'autogestion prônée par la Silicon Valley et l'internet "cloisonné" érigé en Chine.

La propagation des contenus racistes, sexistes ou appelant à la haine sur les grandes plateformes numériques est un sujet de préoccupation croissant pour les gouvernements qui y voient un risque pour le fonctionnement des démocraties.

En Birmanie, notamment, des posts mis en ligne sur Facebook sont accusés d'avoir alimenté les tensions contre les Rohingas.

Plusieurs exécutifs européens ont décidé de recourir à la loi pour lutter contre le phénomène avec des résultats à ce jour en demi-teinte.

En Allemagne, où une loi menace de 50 millions d'euros d'amendes les plateformes qui ne retireraient pas des contenus haineux sous 24 heures, l'opposition critique le risque d'atteinte à la liberté d'expression, estimant qu'il ne devrait pas incomber aux plateformes de décider de la légalité des contenus.

En dépêchant à partir de janvier une délégation qui pourrait être constituée de quatre à cinq personnes pendant six mois au coeur de Facebook, Paris tente une nouvelle approche en termes de régulation.

NOUVELLE APPROCHE

"Il y a un changement d'approche assez fondamental : on certifie les 'process' de ces entreprises, plutôt que de se contenter de leur demander une obligation de résultats ou une obligation de moyens", note-t-on à l'Elysée.

Si Facebook a déjà accueilli des régulateurs dans ses locaux, c'est la première fois qu'un groupe de travail est mis sur pied réunissant des représentants du géant américain et des experts désignés par Paris.

Issus de l'Arcep (le régulateur français des télécoms), de la Dinsic (réseau interministériel dédié au numérique) ou encore de la justice, ils auront l'opportunité de se rendre dans les différents bureaux du groupe, dont vraisemblablement Dublin, le siège européen, et Menlo Park en Californie.

S'ils ne disposent pas d'un pouvoir de réquisition, l'idée est qu'ils puissent étudier dans le détail les outils utilisés par Facebook pour repérer les contenus haineux, les analyser et éventuellement les retirer.

Pour Paris, l'enjeu est double : comprendre les contraintes de la société et suggérer des améliorations tout en mettant à niveau ses propres experts.

Du côté de Facebook, qui cultive plutôt la discrétion, l'opération a pour but de mieux appréhender les demandes des pouvoirs publics et tenter d'éviter une régulation couperet.

Les plateformes "ont le choix entre quelque chose qui est très intrusif pour elles mais le plus intelligent possible ou une régulation bête et méchante qui ne fait pas de différence entre ce qui est gris clair, gris foncé", poursuit-on à l'Elysée.

Si l'expérience est positive, elle pourrait être étendue à d'autres sujets comme les données personnelles ou la publicité.

"Comme l'a dit Mark Zuckerberg, avec l'importance croissante d'internet dans la vie des gens, nous pensons qu'il y aura un besoin de régulation", a déclaré Nick Clegg, vice-président de Facebook chargé des affaires mondiales et de la communication.

D'autres grandes plateformes pourraient se prêter au jeu, a dit une source gouvernementale française selon laquelle Google et Microsoft pourraient aussi être intéressés.

(Avec Elizabeth Pineau et Jean-Baptiste Vey, édité par Matthieu Protard)