Italie : L'atout caché des élections anticipées

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(Crédits : Alessandro Bianchi)

par Dhara Ranasinghe

LONDRES (Reuters) - Les marchés se préparent à une confrontation dans la durée entre Rome et Bruxelles sur le projet de budget 2019 de l'Italie et les investisseurs ne voient pas ce qui pourrait les faire changer d'opinion sur les emprunts italiens, opinion pas très favorable, en dehors d'élections anticipées qui auraient pour effet d'apporter des changements à la composition de l'exécutif.

Au vu des massives positions à découvert constituées sur la dette italienne durant l'été, c'est surtout aux bonnes surprises que le marché obligataire italien risque de réagir.

La stabilité de la coalition gouvernementale est l'un des paramètres, peu nombreux, que les gérants évoquent comme étant susceptibles de changer l'orientation du marché.

Des élections anticipées pourraient amener au pouvoir une coalition de centre-droit et non celle des extrêmes (Ligue pour la droite, Mouvement 5 Etoiles pour la gauche) actuellement en place.

Cette coalition n'est pas immunisée contre les tensions internes, même si les deux formations la composant parviennent parfois à s'entendre. Elles se sont ainsi accordées la semaine dernière pour allonger les délais de prescription de nombreux délits, notamment en matière de corruption, évitant ainsi de déclencher une crise au sein du gouvernement.

Des élections anticipées, improbables au moins jusqu'aux élections législatives européennes en mai, restent un risque qui pourrait prendre de court les investisseurs.

Depuis les législatives de mars dernier, la Ligue de Matteo Salvini est de mieux en mieux considérée par l'opinion publique - et monte à plus de 30% d'opinions favorables dans les sondages - alors qu'il en va autrement pour le Mouvement 5 Etoiles.

"Si des élections anticipées étaient convoquées en Italie, même avec la tendance des sondages actuels, ce serait relativement positif pour les actifs italiens parce que la politique de la Ligue est pour l'essentiel bien orientée côté budget", observe David Zahn (Franklin Templeton).

"Elle veut réduire les impôts mais n'a pas l'intention de dépenser autant que 5 Etoiles le voudrait et il est probable qu'elle s'allierait avec toute autre formation ayant la même ligne de pensée", ajoute-t-il. "De ce point de vue, les emprunts italiens pourraient réagir relativement bien à de nouvelles élections".

C'est un point important parce que la valorisation du marché laisse penser que les investisseurs s'attendent pour l'essentiel à de mauvaises nouvelles sur l'Italie; en témoigne la forte hausse de l'encours des contrats à terme non réglés ("open interest") sur les obligations italiennes.

Si des élections avaient effectivement lieu ou si un compromis se dégageait sur le budget, cela impliquerait un dénouement rapide et massif de ces positions vendeuses à découvert.

L'espoir d'un compromis entre Rome et Bruxelles sur le budget a subi quelques revers cette semaine dans la mesure où l'Italie a soumis mercredi à la Commission européenne un nouveau projet de budget 2019 comportant les mêmes hypothèses de croissance et de déficit que le précédent, avec des projections seulement amendées pour la dette publique.

Scott Minerd (Guggenheim Partners Global), un investisseur chevronné qui avait aidé l'Italie à restructurer sa dette après les crises des changes de 1992 et de 1993 en Europe, a dit à Reuters qu'il y avait une probabilité de plus de 50% de voir l'Italie sortir de l'euro ou d'une autre issue "catastrophique".

Plus de soixante gouvernements se sont succédés à la tête de l'Italie depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et l'instabilité politique de la péninsule est devenue la norme pour l'investisseur.

Mais pour Federico Santi (groupe Eurasia), le scénario d'une chute de la coalition et de la convocation d'élections anticipées n'est pas vraisemblable à court terme car aucun des deux partis ne voudrait prendre un tel risque.

Toutefois, les bisbilles internes qui ont amené le gouvernement la semaine dernière à réclamer un vote de confiance au sujet d'un décret contesté sur la réforme du droit d'asile "confirme notre opinion voulant qu'il soit peu probable que le gouvernement aille au bout de son mandat", ajoute-t-il.

Georg Schuh (DWS) a dit mardi à Reuters que si les élections législatives européennes de mai sont favorables aux mouvements populistes, on peut penser que Rome procèdera à de nouvelles élections.

"Alors, si nous avons une coalition de la Ligue et de Forza Italia (conservateur), ce gouvernement sera un peu stable et moins orienté", a-t-il observé.

Le marché obligataire italien est le moins performant de la zone euro depuis le début de l'année avec un rendement négatif de 9,5% pour l'emprunt de référence à 10 ans.

Ce dernier évolue actuellement autour de 3,5%, contre 2% en début d'année. Ce qui a porté l'écart ("spread") avec le rendement du Bund de même échéance à plus de 310 points de base alors qu'il était de 125 pdb avant le coup de tabac du marché obligataire survenu en mai.

Une économie sans grand dynamisme et la perspective de ne plus pouvoir bénéficier prochainement des coups de pouce financiers de la Banque centrale européenne (BCE) n'arrangent pas les choses.

Mohammed Kazmi (UBP) fait néanmoins remarquer que la plupart des investisseurs avaient considéré favorablement les élections de mars dernier et il en serait sans doute de même en cas de nouveau scrutin.

"Mais avant d'arriver à une telle échéance, il y aura sans doute beaucoup de volatilité", dit-il.

(Avec Helen Reid; Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Blandine Hénault)